Les personnes âgées ne connaissent pas les directives anticipées
La loi du 22 avril 2005, dite loi Léonetti, relative aux droits des malades et à la fin de vie, offre la possibilité, pour toute personne majeure, de faire connaître ses désirs sur les questions relatives à sa fin de vie, en particulier sur l'arrêt ou la limitation des traitements.
La personne, malade ou non, peut écrire ce qu'elle attend de la médecine dans le cas où elle ne serait plus en état d'exprimer sa volonté : ce sont les directives anticipées. Ces " directives " n'ont pas force obligatoire pour l'équipe en charge du malade mais le médecin doit en tenir compte dans sa décision, plus encore que de l'avis de la personne de confiance ou des membres de la famille.
Pour appréhender la perception qu'ont les personnes âgées des DA, le Centre d'Études Clinique de l'hôpital Cochin a mené une étude entre janvier 2009 et décembre 2010. Elle a construit un échantillon diversifié de personnes de plus de 75 ans : personnes a priori en bonne santé et encore très inscrites dans la vie active, personnes gravement malades, personnes nécessitant une aide quotidienne à domicile, personnes auxquelles avait été annoncé depuis quelques mois un diagnostic de maladie d'Alzheimer, personnes vivant en maison de retraite publique ou privée, personnes membres de l'Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD).
186 entretiens ont été menés. Parmi les personnes enquêtées, on comptait 42 % d'hommes et 58 % de femmes, d'une moyenne d'âge de 83,5 ans.
Un constat : le désintérêt pour le concept de " directives anticipées "
Hormis les adhérents à l'ADMD, 90 % disent ne pas connaître le concept de directives anticipées. Après avoir reçu les explications, 83 % interviewés disent qu'ils ne sont pas intéressés et qu'ils ne s'en saisiront pas. Parmi eux, 42 % de ceux-là considèrent que ce n'est pas une mauvaise idée mais qu'elle ne les concerne pas : ils ont quelqu'un qui pourra dire pour eux, c'est trop tôt, c'est trop compliqué, etc. Pour 36 %, c'est une mauvaise idée parce qu'inutile (les choses ne se présenteront pas comme prévues), dangereuse (ce serait donner un blanc-seing aux médecins pour arrêter de traiter), inappropriée (ce n'est pas à moi de dire mais à la nature ou à Dieu). Enfin, 22 % ne rentrent pas dans la discussion.
À l'opposé, les 19 adhérents de l'ADMD déclarent tous avoir écrit des directives anticipées. Cependant 14 n'ont en fait signé la carte pré-rédigée de l'ADMD. Cinq seulement ont écrit un texte soit pour préciser leur refus de ventilation ou nutrition artificielles ou limiter l'intervention à la réanimation.
Les auteurs pointent un fait important : l'absence de corrélation entre l'état de santé objectif des personnes rencontrées, le fait pour elles de se sentir vieux et/ou malade et l'intérêt qu'elles portent ou non aux directives anticipées.
Les interviewés ne préparent pas plus les autres aspects de leur mort (testament, obsèques). Et si 60 % se disent croyants, ils ne sont que 30 % à considérer que ceci ait une influence particulière sur ce qu'ils ont à dire au sujet des conditions de leur fin de vie ou de leur mort.
Une préoccupation : le sens de la vie qui reste plutôt que le sens de la mort
De l'avis des auteurs, la préoccupation la plus forte des personnes rencontrées concerne le sens de la vie qui reste et non le sens de la mort. 70 % des personnes interviewées ne s'expriment pas vraiment sur leur mort. 40 % ne répondent pas sur " euthanasie " et 40 % de ceux qui s'expriment à ce sujet sont contre une loi. Même dans le groupe ADMD, ils sont 30 % à ne pas vouloir s'exprimer sur le sujet ou à ne pas souhaiter un changement de la loi à cet égard.
Pour autant, ils sont 10 % de la population générale (60 % des adhérents de l'ADMD) qui s'expriment dans le sens d'une " aide active à mourir ". Dans la majorité des cas cette demande est faite à la médecine : les sondés souhaitent que les médecins puissent leur délivrer la mort en toute fin de vie, dans le cadre de leur exercice quotidien et de leurs bonnes pratiques.
Une suggestion : un entretien
Plusieurs faits peuvent expliquer le peu d'intérêt pour les directives anticipées : concept trop récent, respect du pouvoir et du savoir médical, effet " âge " (pense-t-on sa fin de la même façon à tous les âges de la vie ?), réponse inadaptée de l'outil au besoin. À ce sujet et malgré le refus de 40 personnes pressenties de participer à l'étude, les auteurs de l'étude soulignent le souhait des personnes âgées d'avoir une discussion libre sur ce sujet de la fin de vie. Leur proposition : un entretien systématique sur le sujet avec un tiers à un moment-clé de la vie (entrée en maladie chronique, entrée en maison de retraite,...), centré sur le sens de la vie.
Marie-Suzel Inzé
Témoignages
Mme J., 90 ans
" Moi, les "directives anticipées", je ne sais pas ce que c'est. Je veux une bonne piqûre et une bonne tisane, et puis ça suffit. J'ai toujours pensé que le mieux, c'était que la mort arrive vite.
Mme S., 95 ans
" Ecrire des directives anticipées ? C'est quoi, cela ? Non, les paroles volent, les écrits restent. Je préfère que cela reste en l'air. "
Patrick X, 95 ans
" La décision qui est dure, c'est de venir en maison de retraite. Là, ça y est, j'y suis, je l'ai prise, je suis là avec ma femme qui a la maladie d'Alzheimer. [...] " Je ne suis pas au courant des "directives anticipées", c'est du charabia, incompréhensible, il est possible que je perde la tête moi aussi. Et si c'est le cas, c'est mon fils aîné qui décide. Mais je fais confiance au médecin, aussi. "
Mme V., 89 ans
" Les directives anticipées ? Je n'étais pas au courant de leur existence. Mais comme ça, quand j'y réfléchis, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne chose d'en parler. Ce sont des choses un peu discrètes. Cela devrait se passer normalement un peu dans l'ombre, mais pas dans la discussion.
[...]J'ai fait une lettre pour mes enfants, une lettre comme cela, qui vient du coeur. Je ne veux pas qu'à la fin on me donne des soins exagérés. Il y a longtemps que j'ai écrit cette lettre à mes enfants, et je ne me souviens plus trop de ce que j'ai écrit. Là, je peux le dire, j'ai très peur de la mort. Mais je reste avec mes idées, je n'en parle pas trop.