Mettre en oeuvre un projet "manger-mains" dans un EHPAD demande un investissement financier, une organisation et une formation des équipes notamment en cuisine, et une adhésion des familles. Géroscopie a donné la parole à différents professionnels pour recueillir les recettes du succès.
Les points clés pour réussir un projet "manger-mains"
1. Bien cibler les résidents
« Bien identifier les résidents qui pourraient bénéficier du manger-mains est une étape cruciale pour la réussite du projet. Le fait de faire du manger-mains engendre un travail supplémentaire en cuisine et un coût. C'est donc un choix stratégique quand on connait les difficultés de financement de postes en EHPAD. Le manger-main est destiné aux résidents atteints de démence, ceux qui déambulent et qui ne veulent pas s'asseoir au moment des repas, ceux qui sont atteints de troubles praxiques ou qui ont des tremblements, ceux qui ont donc des difficultés à utiliser les couverts. Cela concerne également les résidents qui ont des déficiences visuelles, ceux qui ont des troubles de préhension, ou encore les résidents qui refusent l'aide au repas, et enfin les personnes âgées ayant des troubles de déglutition aux solides et/ou aux liquides si la texture des bouchées est adaptée (lisse, sans grain, avec ajout d'un agent de texture), liste Carole Villemonteix, responsable structure de Santé, réseau nutrition Limousin (LINUT).
« Le projet manger-mains est évolutif. Des résidents qui mangent en manger-mains ne le feront peut-être plus demain car ils évoluent dans leur comportement alimentaire », ajoute Julien Garnier, directeur associé du groupe EC6, spécialisé en restauration et nutrition hospitalière et gériatrique.
2. Travailler la conception des bouchées
« Une bouchée doit être agréable visuellement avec un goût identifiable et bon, identique au repas du jour, nutritionnellement équivalente à une préparation en texture normale, facile à enrichir, non salissante, commode à attraper avec les doigts, de petite taille, aisée à déglutir et facile à remettre en température », détaille le réseau nutrition Limousin (Linut).
« Les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou maladies apparentées plébiscitent les couleurs et la sauce. La sauce se trouve sous les bouchées, ce qui permet de les prendre sans qu'elles soient glissantes. De plus, la sauce est travaillée de façon à ce qu'elle ne soit pas trop liquide et qu'elle ne "goutte" pas lorsqu'on porte la bouchée à la bouche », précise Emilie Chardonnieras, diététicienne en EHPAD et co-créatrice du site mangermains.fr.
« Il n'y a pas une importance majeure à donner à la bouchée la forme initiale du produit qui la compose, par exemple à redonner une forme de cuisse de poulet à une cuisse de poulet mixée. Il est surtout important de conserver les couleurs et les saveurs propres de l'ingrédient qui la compose », souligne Julien Garnier.
Selon le travail de recherche doctorale mené par Virginie Pouyet, docteur en sciences des aliments, les bouchées en manger-mains formulées avec de la sauce et bicolores sont significativement plus choisies en premier et consommées par les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou de troubles apparentés. (1)
3. Enrichir les bouchées
« Il y a deux types de manger-main : le manger-mains en textures entières et le manger-mains en textures modifiées. Un projet manger-mains est destiné généralement à de "petits mangeurs". On est donc sur des petites productions, c'est à hauteur de 10 à 15 % maximum. Ce qui représente 10 à 15 résidents, pour un établissement qui va fournir 100 repas pour 100 résidents. Pour trouver une solution au risque de dénutrition de ces "petits mangeurs", on va adapter l'alimentation sur de faibles volumes alimentaires qui seront densifiés nutritionnellement, c'est-à-dire apporter un volume de protéines suffisant dans de petites bouchées. Dans une entrée, on évite de dépasser les 50 grammes au lieu de 80/90 grammes. Pour une viande ou un poisson, on mettra entre 50 et 60 grammes. Et pour une garniture, le dosage est de 50 à 60 grammes aussi. Pour les desserts, on est à 80 grammes. Sur les textures entières, les équipes en cuisine travailleront sur l'enrichissement des sauces et pour les textures modifiées elles apporteront les protéines directement dans la préparation", explique Julien Garnier, directeur associé du Groupe EC6.
4. Communiquer auprès des familles
« Le manger-mains permet au résident de redevenir sujet, acteur, au moment du repas et au soignant d'avoir une autre place que celle du professionnel qui nourrit. Mais il peut y avoir des résistances, des représentations erronées chez certaines familles de résidents. L'inquiétude exprimée est qu'il y ait une régression chez leur proche. Il est donc important de communiquer auprès des familles pour leur expliquer que le manger-mains n'enlève pas la dignité de la personne âgée mais s'appuie sur ses capacités encore existantes. Si la maladie d'Alzheimer ou autres démences altèrent les apprentissages, le geste inné est d'attraper un aliment et de le porter à la bouche. Pour la réussite du projet, il est important de travailler avec les familles sur les représentations mentales liées au fait de manger avec les mains, de leur montrer des photos de la présentation des bouchées, de leur faire goûter, de leur permettre d'assister au repas », précise Annick Bounissou, psychologue clinicienne et co-créatrice du site mangermains.fr.