Président de la Commission de la solidarité et des affaires sociales de l'Assemblée des Départements de France (ADF) et du Conseil départemental du Bas-Rhin, Frédéric Bierry croit à la force du terrain. Pour Géroscopie, il évoque l'impact du dernier Congrès de l'ADF et des enjeux présidentiels.
Les réponses ne viendront pas d'en haut
Vous avez présenté au congrès de l'ADF un rapport et des propositions sur les politiques sociales. Quels en sont les principaux éléments ?
Frédéric Bierry : Les grandes lignes de notre réflexion et du travail réalisé par les conseillers départementaux et la commission des affaires sociales ont été très bien reçus par les membres du congrès, toutes sensibilités politiques confondues. Le groupe de la droite a voté, le groupe de la gauche en revanche ne s'est pas prononcé car il subsiste quelques points de sensibilité différente. Mais il n'y a pas eu d'opposition ou de vote de défiance. La principale divergence porte sur le revenu minimum d'existence. A droite et au centre, nous pensons que les enjeux de la société sont tels que l'on ne peut pas se passer d'une seule personne pour y faire face. Donner un revenu minimum aux personnes qui restent à la maison, c'est se priver de talents. Or aujourd'hui, nous avons besoin de tous. Le congrès nous a permis de valider cette philosophie comme le fait que les départements souhaitent engager une nouvelle étape de la décentralisation pour être réellement en compétence de mettre en oeuvre les politiques sociales. Aujourd'hui, c'est l'Etat qui décide, et les départements doivent payer tout en étant contraints dans la méthode de mise en oeuvre. Ce n'est pas acceptable. D'autant que les départements sont capables d'assumer une politique sociale de bout en bout, à condition qu'on leur laisse les coudées franches.
Je ne veux pas être le censeur des établissements. Nous connaissons le contexte budgétaire. Nous y sommes tous contraints, mais nous pouvons travailler ensemble, intelligemment, pour réduire les dépenses ou peut-être investir davantage sur certaines missions pour améliorer l'efficacité de l'action publique et réduire à terme la dépense. Il faut s'attaquer aux racines, aux causes d'une difficulté plutôt qu'aux conséquences, être dans le curatif plutôt que dans le palliatif.
Comment faire remonter les bonnes pratiques ?
Frédéric Bierry : C'est un enjeu majeur. Nous devons partir des réalités du terrain. Qui peut me parler mieux du fonctionnement et des difficultés rencontrées en EHPAD qu'un directeur ? Lui seul peut nous dire ce qu'il se passe dans son établissement et réfléchir avec nous pour construire des solutions.
Les réponses ne viendront pas d'en haut. Je parle ici des technostructures, qu'elles soient parisiennes ou départementales. Nous devons améliorer la méthode parce que le contexte budgétaire ne nous sera pas favorable. La population vieillit. Les besoins vont de toutes façons augmenter. La ressource publique doit prendre en compte cette évolution. Faut-il créer un 5ème risque ? Quand je vois qu'aujourd'hui les sommes de la CNSA ne sont pas toutes attribuées aux personnes âgées, je suis effaré. La fiscalité doit être visible et affectée pour que nos concitoyens sachent où va leur argent. C'est une demande forte qui est ressortie de notre travail.
Par ailleurs, cette mobilisation de la ressource publique ne suffira pas pour faire face à toute la dépense. Il faut impliquer les familles, mobiliser l'entourage et développer une proximité citoyenne renforcée. Nous devons sortir de la binarité milieu ordinaire/milieu spécialisé. Le contexte et l'environnement changent. Les maisons de retraite se médicalisent, on crée des logements résidences seniors, des logements adaptés avec de plus en plus de domotique, des dispositifs ambulatoires... A terme dans certains endroits, les maisons de retraite seront à domicile.
La famille est donc en première ligne...
Frédéric Bierry : Le digital va nous aider mais le lien humain restera déterminant. C'est d'abord la famille qui doit jouer son rôle. Nous travaillons à réintroduire le recours sur succession avec un seuil patrimonial pour ne pas réduire à néant le travail d'une vie et défavoriser ceux qui ont économisé pour leur famille. Ce serait plus confortable que la société finance mais ce n'est plus possible. Il faut trouver le bon compromis mais soyons clair, on ne pourra rien faire sans les familles. Nous devons re-responsabiliser nos concitoyens. C'est pour cela que nous utilisons le terme de " Bienveillance responsable " sur le volet social. Il ne faut laisser personne au bord du chemin mais impliquer tout le monde.
Pour améliorer l'efficacité, nous voulons d'abord développer les réponses territoriales, partir du terrain, de ceux qui travaillent dans les établissements, s'impliquent dans les associations. Dans mon canton, nous avons réalisé une enquête auprès de 600 personnes âgées. La question de leur isolement est préoccupante. Ce sujet va exploser. Les personnes âgées bénéficient d'aides, médicales ou financières via l'APA, mais c'est insuffisant. Rien ne peut remplacer le lien humain. Seul le bénévolat, les associations ou l'implication de nos concitoyens permettra de répondre à cet enjeu là. Les retraités ont un rôle à jouer car ils ont des talents inexploités. Mais ce travail ne peut se faire qu'à partir des territoires parce qu'il faut un attachement local pour avoir envie de s'impliquer. Il faut intégrer les usagers dans les politique publiques pour redonner de la confiance et du sens. Les départements doivent devenir le réceptacle des initiatives et des idées des territoires. Efficacité et humanité de l'action publique sont à l'ADF nos deux priorités.
Comment construire un lien avec les personnes âgées, entre les institutions, les établissements et la collectivité départementale mais aussi entre le sanitaire et le médico-social ?
Frédéric Bierry : Dans le Bas-Rhin, nous développons les contrats locaux de santé et médico-sociaux. Nous sommes partis de l'idée que si on connait bien les problèmes de santé spécifiques ou de surmortalité prématurée sur un territoire, on peut adapter les moyens aux besoins. Quand on trouve des solutions d'accompagnement ou de prévention, on réduit la dépense sanitaire. Or aujourd'hui, l'ARS ne tient pas compte des efforts que peuvent faire les collectivités pour réduire ces dépenses. Les économies générées par notre action, et réalisées en faveur de la sécurité sociale, pourraient être reversées aux départements. En partageant l'accompagnement, on améliore ainsi l'offre de service globale. Cette démarche vertueuse donne du sens à l'action et permet de toucher la réalité du terrain en s'adaptant aux problématiques locales. Dans la ruralité, les difficultés ne sont pas les mêmes que dans les quartiers. Notre enjeu est d'arriver à faire passer ce message. Nous avons besoin d'une entente nationale mais aussi d'une souplesse dans l'organisation de l'accompagnement. C'est ça que je voudrais réussir à construire avec les établissements. L'idée est bien d'optimiser l'utilisation de l'argent public, d'être plus efficace pour répondre aux enjeux et de redonner du sens à l'action politique des élus.
On entend peu le médico-social dans le débat politique...
Frédéric Bierry : C'est vrai et c'est lié à une méconnaissance de l'action sociale par les acteurs politiques. Pour avoir interpellé et discuté avec certains candidats à la primaire, je me rends compte qu'ils ont un prisme sanitaire. Mais ils ne connaissent pas le médico-social. Il y a toutefois une chose qui est en train d'évoluer, c'est le rajeunissement des élus et la féminisation. Je le vois dans nos départements, c'est une vraie valeur ajoutée, car il se trouve que j'ai plus d'élues engagées sur l'action sociale. Ce travail en transversalité (élus - travailleurs sociaux - associatifs) est en train de se construire. Je sens une évolution concrète et tangible. Le lien social va être un enjeu majeur des années futures, pour intervenir en amont, sur l'origine et les causes des difficultés.
Le FN vient de lancer un "Collectif senior". Qu'en pensez-vous ?
Frédéric Bierry : Le Front national est là dans une posture populiste, car le parti n'arrive pas à toucher les personnes âgées. Ses représentants viennent de se rendre compte qu'ils n'avaient pas d'aura auprès de ce public alors, d'un seul coup avant les élections, ils commencent à s'en préoccuper. J'aurais préféré qu'ils considèrent les personnes âgées comme un vrai sujet de société.
Pour aller plus loin, voir le nouveau site de l'ADF www.departements.fr
Repères biographiques
Président du Conseil Départemental du Bas-Rhin, Conseiller Départemental du Canton de Mutzig, Frédéric Bierry est titulaire d'une maîtrise de droit.
Maire de Schirmeck de 1995 à 2015, il a également occupé des fonctions au Conseil National des Missions Locales. Il est aujourd'hui Président de la Commission Solidarité et Affaires Sociales de l'Assemblée des Départements de France.
Il est aussi père de 3 enfants.