Les accords de la Bass et de la BAD s'ouvrent à des aides avantageuses du nouveau fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle. Les structures doivent être à jour de leur document unique d'évaluation des risques professionnels.
Les risques professionnels à la croisée des réformes
La réforme des retraites du 14 avril 2023 a créé un fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle (Fipu), rattaché à l'assurance AT/MP. Sa mission ? Améliorer la prévention des expositions aux facteurs de risques professionnels dits « ergonomiques » : postures pénibles, manutentions manuelles de charges et vibrations mécaniques. Ils sont à l'origine des troubles musculo-squelettiques qui représentent plus de 87 % des maladies professionnelles reconnues chaque année.
Doté d'un milliard d'euros sur cinq ans, le fonds accorde des subventions « Prévention des risques ergonomiques » pour des actions de sensibilisation et de prévention, y compris de la désinsertion professionnelle. Avec des aides financières plus avantageuses en cas d'accord de branche.
La branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale (Bass) a été la première à conclure un tel accord. Signé le 17 octobre 2023 entre la confédération d'employeurs Axess (Fehap + Nexem) et la CFDT Santé-Sociaux, il répertorie 40 métiers et 28 activités à risques ergonomiques. Agréé par arrêté du 28 décembre 2023, il a été étendu par arrêté du 22 mars 2024, donc applicable y compris aux employeurs non adhérents d'Axess. Depuis le 1er juillet, le Fipu prend en compte cet accord de branche pour la réalisation de diagnostics ergonomiques, les aménagements de postes de travail, la prise en charge des frais de personnel de prévention... Les associations concernées bénéficient de conditions plus avantageuses : pour moins de 200 salariés, un taux de prise en charge de 85 %, avec un plafond de 50 000 euros par type d'investissements et de 125 000 euros par structure jusqu'à fin 2027, contre 70 %, 25 000 et 75 000 euros sans accord de branche.
La branche de l'aide, de l'accompagnement, des soins et des services à domicile (BAD) était, elle aussi, dans les starting-blocks. Un accord a été signé le 20 mars 2024 entre l'Union syndicale de branche (Adedom, ADMR, FNAAFP-CSF et UNA) et la CFDT Santé-Sociaux. Agréé par arrêté du 19 juin, et étendu par arrêté du 3 septembre, il liste les activités particulièrement exposées à chacun des trois risques ergonomiques en correspondances avec les métiers concernés. Il est assorti d'une intéressante annexe qui détaille les critères en s'appuyant sur le référentiel pénibilité de la branche, homologué par arrêté du 2 mai 2017 « et toujours d'actualité malgré la suppression par les ordonnances de 2017 des seuils d'exposition aux risques ergonomiques » (voir « Trois questions »).
L'une des conditions d'éligibilité au Fipu, il faut le noter, est d'avoir réalisé et mis à jour son document unique d'évaluation des risques professionnels (Duerp) depuis moins d'un an. L'occasion de faire un point sur une réforme... à la peine.
Duerp : le dépôt dématérialisé abandonné
La loi Santé au travail du 2 août 2021 oblige les entreprises à conserver les versions successives de leur Duerp pendant 40 ans, à en transmettre chaque mise à jour au service de santé et de prévention au travail, à le communiquer aux travailleurs et anciens travailleurs et enfin à le déposer sur un portail numérique national. Un décret du 18 mars 2022 a fixé les dates de ce dépôt dématérialisé au 1er juillet 2023 pour les entreprises de 150 salariés et plus, et au 1er juillet 2024 pour les entreprises de moins de 150 salariés. Et dans les faits ? Rien, faute d'un portail numérique opérationnel où les déposer... La faisabilité technique (et financière) en a été jugée sujette à caution - hébergement sur 40 ans, authentification des accès, protection du secret des affaires... - et l'obligation de dépôt dématérialisé du Duerp a été (officieusement) abandonnée. Le 14 mai dernier, dans une réponse à un député, le ministre du Travail Olivier Dussopt a repris à son compte la conclusion de l'Inspection générale des affaires sociales1 (Igas) d'« un bénéfice-risque négatif pour ce portail », et annoncé la poursuite de « concertations avec les partenaires sociaux afin d'identifier une solution alternative ». En attendant, l'employeur doit continuer à conserver, au sein de l'entreprise, sous format papier ou dématérialisé, les versions successives du Duerp.
Le rapport de l'Igas est sévère aussi sur le fond de la réforme : il estime incohérent de fixer des objectifs de traçabilité à un document dont la vocation d'origine (2001) était d'être un outil de prévention. Aurait-on pu faire l'économie d'une réforme mal ficelée ? Sans doute. Une étude de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du 21 mars 2024 montre que 18 ans après sa création, seules 46 % des entreprises et associations déclarent en 2019 avoir rédigé et actualisé un Duerp. Maigre consolation, le Duerp ainsi que les mesures de prévention sont plus fréquents dans les secteurs d'activité où les salariés sont les plus exposés...