Dans les logements-foyers, dès 18h l'accueil, les salles d'activités et autres couloirs se vident. Pour les personnes âgées, la tristesse s'installe. Même ambiance le week-end. Pour les directeurs qui gèrent des budgets contraints, pas question de recruter des animateurs. Dans les logements-foyers de Vitry-Sur-Seine (Val-de-Marne), il en va autrement. Dans chaque établissement, trois jeunes assurent à tour de rôle une présence légère et spontanée, en échange d'un logement sur place au loyer de 90 euros mensuels environ, charges comprises.

"Nous nous sommes inspirés des initiatives de Pari Solidaire (groupe SOS) sur le logement intergénérationnel, raconte Jean-Marie Béziat, directeur des services de la Santé, famille et des droits sociaux de la mairie de Vitry-sur-Seine. Les résidents se sentent un peu abandonnés quand les équipes sont parties. Et la télésurveillance ne peut pas suffire..."

C'est en 2010, à l'occasion d'une "remunicipalisation" des logements-foyers alors associatifs, que la Ville aborde ce point délicat. Plusieurs pistes existent : gardiennage, logements d'agents - mais comment demander à des agents en repos d'aller à la rencontre des seniors ? - ou solution innovante avec l'habitat intergénérationnel. La Ville opte pour l'innovation. Elle contacte Le Pari Solidaire, association qui a mis en oeuvre 2 400 binômes de cohabitation jeune/seniors. La Ville passe ensuite, en respect du code des marchés publics, un appel à candidature pour 3 ans (voir encadré). Le Paris solidaire est retenu. Sa mission porte sur la sélection des jeunes, l'organisation des temps de présence, la gestion locative, et le suivi de la globalité du projet.

"Dès 2013, nous avons expérimenté la formule dans la résidence Henri Barbusse. Il convenait d'être prudent : l'intergénérationnel ne se décrète pas !", poursuit Jean-Marie Béziat. La charte du Paris solidaire cadre bien sûr les obligations et le temps de présence des jeunes : 1h30 chaque soir de la semaine et 3h le samedi et le dimanche, à tour de rôle selon un emploi du temps défini. La mission est de créer des moments de convivialité et de solidarité, et ce dans un local collectif. Bref : vivre " ensemble " et non pas " à côté ". En contrepartie, le jeune bénéficie sur place d'un studio meublé de 25 m² avec accès wifi et lave-linge (commun) gratuits.

Quelques mois plus tard, un constat s'impose. "Le dispositif s'avère gagnant-gagnant : lien social et présence pour les seniors, logement à prix intéressant et ambiance familiale pour des étudiants ou jeunes travailleurs, résume Jean-Marie Béziat. Une des premières jeunes recrutées avait 18 ans et vivait seule pour la première fois. Les résidentes lui ont appris à tricoter..."

En septembre 2014, la Ville, qui a instauré parallèlement la colocation intergénérationnelle au domicile des personnes âgées, duplique le projet. Désormais 4 logements-foyers qui accueillent chacun 3 jeunes et la résidence Séniors Paul et Noémi Froment reçoit la visite de Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. Une chose est sûre : à l'heure où certains studios, en étage ou aux baignoires peu pratiques, restent vacants, l'initiative vitriote devrait faire école.

Fiche projet

Date de mise en place : 2014

Premier partenaire : Mairie de Vitry sur seine

Convention : Mise en place d'un habitat intergénérationnel dans les logements foyers du centre communal d'action sociale

Type de gestion : " Intermédiation locative " - Conformément à l'agrément ministériel au titre de l'intermédiation locative et gestion locative sociale - Arrêté numéro DEP - 2011-24-53 - obtenu le 24 janvier 2011

Mise en place dans 4 résidences seniors en 2014 :

Foyer Henri Barbusse - 43 résidents

Foyer Justin Delbos - 23 résidents

Foyer Lucien Français - 39 résidents

Foyer Paul et Noémi Froment - 71 résidents

www.leparisolidaire.fr

Témoignage d'une directrice

"Selon l'histoire et le tempérament des jeunes"

Valérie Wintz, directrice résidence Lucien Français

"Le dispositif répond à un réel besoin de présence. Le recrutement est parfait et les jeunes sont charmants. Les relations des seniors avec les jeunes sont variables. Ainsi, les jeunes retraités sont très contents : ils apprécient d'avoir des relations avec des jeunes de l'âge de leurs petits-enfants. D'autres plus âgés ont Internet et demandent aux jeunes de les aider en cas de problème. D'autres encore ne savent plus comment aborder les jeunes et cela se limite à un bonjour-bonsoir.

Les activités varient selon l'histoire et le tempérament des jeunes. L'un d'entre eux était allé au Japon et a projeté le film qu'il avait fait de son voyage. Ensuite, il a lancé un jeu sur le cinéma. Une jeune homme qui avait déjà eu une expérience de cohabitation avec une personne âgée, a fait venir une de ses amies et celle-ci a fait des portraits de résidents."

Témoignage d'un jeune

"Au fil du temps, la parole se libère"

Morjana, étudiante en école d'infirmière

"Au début, les résidents ont beaucoup de réserves envers les jeunes. Ils n'aiment pas qu'on leur dise qu'ils manquent d'autonomie et tiennent à leur indépendance. Au fil du temps, la parole se libère. Les personnes parlent de leur vie d'avant de leur métier, de leur famille. De leur santé et de leur vie au foyer aussi. S'ils n'ont pas de demande précise, beaucoup sont partants pour des discussions, une partie de scrabble, pour écouter de la musique. J'ai aussi pu montrer à une résidente comment utiliser son ordinateur (copier-coller, envoyer une pièce jointe), et elle m'avait prêté des vieux films italiens. Un résident m'a fait goûter sa cuisine péruvienne. Ce sont de bons moments pour tous."