Dans le n° 163-octobre 2024  - Ce qui se voit...  17146

Luxe, calme et propreté

S'il est bien une condition indispensable au bon fonctionnement des Ehpad, c'est à n'en pas douter l'hygiène des locaux. Nettoyage, bionettoyage, hygiène du linge... Les consignes et protocoles ne manquent pas pour assurer l'organisation et l'évaluation de ces tâches quotidiennes. Et pourtant, ce travail reste invisible. Ou plutôt, il n'est visible que quand il n'est pas fait. Paradoxe ?

Vendredi, fin d'après-midi. La semaine a été longue, et je compte impatiemment les dernières heures en attendant la relève. Demain, c'est le week-end, je ne travaille pas, ou plutôt pas ici. Une montagne de repassage m'attend à la maison, il y a les courses à faire, le frigo à nettoyer, peut-être les vitres si j'ai le temps, sans compter les incontournables balai/serpillière/vaisselle, et puis... Je renonce à penser à tout ce qui m'attend, j'aurais presque hâte d'être à lundi pour reprendre le boulot !

Pour l'heure, je me concentre sur le placard de Madame Bonemine. La résidente m'a demandé de l'aide pour ranger ses affaires différemment, les pulls en haut mais pas trop haut, sinon elle ne pourra pas les attraper, les pantalons en bas mais pas trop bas, parce qu'elle ne peut pas trop se pencher.

J'entends des éclats de voix dans la chambre d'à côté. Je passe une tête dans le couloir, prête à bondir, et me retrouve nez à nez avec la fille de Monsieur Tilleul.

- C'est scandaleux ! Une honte ! Au prix que l'on paye !

J'ai à peine le temps de reculer que Madame Tilleul me prend à témoin. Dans ma tête, j'imagine très vite mille et un scénarios : ai-je laissé une fenêtre ouverte ce matin, plongeant la chambre dans un froid polaire ? Ai-je oublié une protection souillée dans la salle de bains ? Monsieur Tilleul a-t-il fait un malaise ? J'inspire un grand coup, m'arme de mon plus beau sourire et suis Madame Tilleul dans la chambre de son père.

- Bonjour Madame. Il y a un problème ? J'ai pris ma voix la plus douce, assortie de mon regard le plus serein et de mon attitude la plus calme. Mais je ne suis pas sûre que tous ces artifices soigneusement travaillés fassent le poids face à la fureur de la visiteuse.

Elle balaie la chambre d'un grand geste de la main.

- Mais constatez par vous-même !

Je regarde. Monsieur Tilleul se tient bien droit dans son fauteuil, coiffure et vêtements impeccables. Le lit est fait. La fenêtre est fermée. La porte ouverte de la salle de bains me laisse deviner que l'espace est propre et rangé. Je cherche, j'observe, je scrute... Mais non, rien.

- Vous ne voyez donc pas ? La poubelle n'est pas vidée !

Aaaaaaaaaah... La poubelle ! Je m'approche de l'objet du délit. En effet, elle n'est pas vidée. Mais il faut dire qu'elle est loin d'être pleine. Un mouchoir usagé, un emballage de gâteau, un papier déchiqueté en tout petits morceaux. Rien d'autre.

- En effet. Cependant il n'y a pas grand-chose, elle a sans doute été vidée très récemment, quand ma collègue est passée faire le ménage.

- Et les miettes, là, par terre ? Et ce gilet qui traîne sur la chaise ? Et cette plante qui n'a pas été arrosée ? C'est ça que vous appelez « faire le ménage » ?

Madame Tilleul ne décolère pas. Tout dans cette chambre lui saute à la figure, du bouquet presque fané au gilet négligemment posé sur le dossier.

J'ai très envie de fuir et très envie d'exploser. Mais je suis bien consciente qu'aucune de ces deux options n'est la bonne.

Avant de commencer mon service, je suis passée prendre une blouse à la lingerie. Les blouses étaient propres, repassées, pliées et rangées par taille. Puis je me suis rendue au vestiaire. Déshabillage, habillage, lavage de mains. La routine habituelle. Tellement habituelle que je n'ai même pas remarqué que le savon et le stock de serviettes en papier avaient été renouvelés.

J'ai commencé ma journée de travail par les transmissions, qui ont lieu en salle de réunion. Un café nous accompagne, tradition d'équipe. Inutile de préciser que la table était propre et débarrassée quand j'y ai posé ma tasse.

L'équipe du matin est partie, non sans être repassée au vestiaire : déshabillage, habillage, les tenues vont dans le sac jaune et seront de retour dans quelques jours, lavées, pliées, rangées et prêtes à l'emploi.

Après ça, la longue course : accompagnements aux toilettes, soins, activités, rangements divers...

Seize heures, petit goûter : café ou chocolat ? Madeleine ou petit gâteau ? Service en salle ou en chambre au choix, puis retour des plateaux et de la vaisselle à l'office.

Rien de palpitant en somme, la routine habituelle. Les journées s'écoulent ainsi, entre soins et activités, levers et couchers, habillages et déshabillages. Nous arpentons les couloirs, les chambres, les salles d'activités et tous les coins et recoins de l'établissement : office, salle de rangement, vestiaire, salle de réunion. Les 10 000 pas par jour, nous les tenons largement et les dépassons même allègrement.

En fin de journée, quand l'équipe de nuit arrive, place aux transmissions du soir : c'est la longue litanie des soins effectués et des faits marquants du jour. Un pansement refait, une sortie, une fausse route parfois, une visite, un rendez-vous médical à prévoir, une discussion particulière... Aides-soignantes et infirmières s'échangent les informations importantes, ce qui a été fait, ce qu'il reste à faire, temps d'échange essentiel. Mais il y a une chose dont on ne parle pas. Une chose qu'on oublie, ou plutôt qu'on ignore, parce qu'elle nous semble tellement évidente qu'on ne s'y attarde pas : l'entretien des locaux. On ne s'extasie pas sur le sol toujours propre et débarrassé des obstacles, on ne prend pas garde au stock de blouses à notre disposition, aux poubelles régulièrement vidées, à la vaisselle rutilante, à la poussière anéantie... On ne voit pas ce qui nous saute aux yeux.

Mais aujourd'hui, devant la réflexion de Madame Tilleul, je le vois, je le remarque.

Tout est impeccable autour de nous. Nos tenues, les locaux, la vaisselle, les meubles... Tout... Sauf cette pauvre poubelle de chambre qui contient honteusement un emballage, un mouchoir et quelques bouts de papiers.

Ce qui est fait ne se voit pas, ce qui n'est pas fait se voit. C'est ce que j'ai très envie de dire à la visiteuse exaspérée, mais je n'en fais rien. Je me contente d'emporter la poubelle en m'excusant platement. Pas envie d'expliquer, de justifier, pas envie de rester là.

Je sors de la chambre propre, fière et droite dans ma blouse propre, traverse le couloir propre, vide la poubelle, remets un sac neuf, rapporte la poubelle, la pose sur le sol propre et salue posément Monsieur Tilleul et sa fille.

En ressortant de la chambre, je prends un moment pour m'arrêter dans le couloir. Les rayons du soleil rasant pénètrent abondamment par la grande fenêtre et inondent joliment la chevelure argentée de Madame Bonemine qui avance à petits pas vers l'ascenseur. Madame Rose regarde distraitement un tableau et j'entends quelques notes de musique émaner de la chambre de Madame Framboise.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et propreté.

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