Dans le n° 62-novembre 2015  -  Du côté de...  5131

Maroc : un modèle à inventer pour les personnes âgées dépendantes

Marie-Anne Fourrier, directrice du Centre de Gérontologie Les Abondances, à Boulogne (92), nous propose une analyse de la société marocaine et des problèmes posés par le vieillissement de sa population.

Le nombre de personnes âgées dépendantes au Maroc augmente fortement selon une Enquête nationale (ENPA) confirmant ainsi que ce pays vit une véritable transition démographique.
Si en 1960 le Maroc ne comptait que 833 000 personnes âgées de plus de 60 ans, le recensement de 2012 en dénombrait 2 409 058, soit 8,1% de la population. Ce chiffre devrait franchir le cap des 14% d'ici 2020 et des 20% en 2050. L'espérance de vie a augmenté passant de 59 à 74,8 ans de 1980 à 2011.
La population des +60 ans se caractérise par une forte morbidité liée à diverses pathologies s'accompagnant d'une incapacité à effectuer les actes de la vie quotidienne dans plus de 30% des cas.
A cette dépendance physique et psychique, s'ajoute une dépendance financière. Seulement 16,1 % des plus de 60 ans bénéficient d'une pension de retraite. En milieu rural, ce pourcentage déjà faible descend à 4,1% et la répartition par sexe est encore plus accablante : seulement 3% des femmes bénéficiaient d'une pension. Il en ressort qu'une part importante des personnes âgées de plus de 60 ans se trouvent dans une situation inconfortable.
Malgré la mise en place d'un Régime d'Assurance Médicale pour les Economiquement Démunis (RAMED), seulement 13% des personnes âgées bénéficient d'une assurance maladie.
Si le principe de la solidarité familiale domine encore le modèle de la famille marocaine, il rencontre aujourd'hui des limites même si seulement 6% des personnes âgées vivent en dehors du noyau familial (contre 14% en moyenne dans les autres pays et 24% dans les pays développés). La famille conserve un rôle prépondérant et les plus de 60 ans continuent de vivre avec leurs enfants.
Le rôle de la famille prend de l'importance à mesure que la gravité des incapacités augmente. Alors que les hommes aident principalement leurs conjointes, les femmes constituent la majorité des aidants pour les personnes ayant une incapacité et les personnes âgées.
Mais les changements sociaux et économiques mettent en difficulté la solidarité envers les personnes âgées en cassant le modèle de la famille intergénérationnelle. Avec un taux de chômage élevé et des conditions de logement rendues plus difficiles par l'urbanisation, s'occuper des personnes âgées représente pour les jeunes marocains une lourde charge financière. Qui prendra en charge demain les personnes âgées sachant que le nombre de jeunes en âge de travailler diminue (1) et que l'entrée d'un plus grand nombre de femmes sur le marché du travail contribue aussi à réduire le nombre de personnes disponibles pour s'occuper des personnes âgées.

Rôle et place des aidants

Selon l'étude du HCP, 30,7% des personnes âgées sont incapables d'effectuer les tâches les plus simples de la vie quotidienne comme se laver, se changer ou préparer le repas, tandis que d'autres ont besoin de soins spécifiques. Une situation qui pose problème aux enfants, surtout quand ceux-ci travaillent.

Une étude réalisée sur "les aidants de personnes âgées diabétiques" par le Docteur Amina ESSOLBI du Ministère de la Santé et des Services sociaux met en évidence la nécessité d'accompagner l'entourage des personnes âgées dépendantes. Cette étude démontre que la très grande majorité des aidants sont des femmes, relativement jeunes (42,6 ans en moyenne), avec une charge familiale lourde par ailleurs (62,5% d'entre elles étaient mariées et 80,6% de ces femmes mariées avaient des enfants). Ces aidantes se caractérisent par un niveau socio-éducatif et un revenu faibles; elles sont donc déjà "vulnérables". Le poids que représente l'aide à leur proche âgé(e) est d'autant plus important que cette prise en charge dure en moyenne 7 ans. Cette enquête confirme les risques d'épuisement physique, psychologique et financier des aidants à domicile.
Nombre d'aidants se retrouvent en outre aujourd'hui dans l'incapacité matérielle et économique de répondre aux besoins de leurs proches âgés dépendants ne pouvant pas payer les soins requis par leurs poly-pathologies et maladies chroniques.

Quelles réponses ?

Le ministère de la Santé du Maroc a fait de l'amélioration de la protection médicale des personnes âgées sa priorité dans le cadre du plan du ministère de la Santé 2012-2016. Il prévoit de renforcer la prévention et le traitement des maladies de cette population et d'organiser des formations au profit de 73 médecins généralistes et 39 infirmiers travaillant dans le domaine de la gériatrie.
Des campagnes de sensibilisation sont menées sur le thème: "Les personnes âgées, un trésor dans chaque foyer". L'Etat compte sur la croissance économique, l'adoption d'une politique sociale (notamment le Ramed) et la réforme des retraites.
La priorité du Maroc reste de maintenir à domicile les personnes âgées, et de développer les aides et services à domicile d'infirmiers et auxiliaires médicaux, le développement des Centres de jour permettant d'alléger la charge des aidants pendant la journée, et d'accompagner les aidants.
L'ouverture de maisons de retraite peut constituer une réponse malgré les réticences culturelles mais l'offre en structures d'hébergement collectif pour les personnes âgées nécessite un effort particulier car il n'existe que 46 établissements proposant au total 2500 places, ce qui s'avère insuffisant.
D'autre part, les maisons de retraite existantes sont pour la plupart dans un mauvais état et ne disposent pas de professionnels formés à la gérontologie.

Il faut donc former les aidants mais aussi des professionnels de la gérontologie, et créer des centres d'accueil de jour médico-sociaux dédiés aux seniors en perte d'autonomie. La France a un rôle particulier à jouer en adaptant les dispositifs nationaux aux spécificités culturelles marocaines.

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