Dans la première partie de cette chronique dédiée à la « fuite des coeurs » dans le secteur de la prise en soin des aînés, nous évoquions la nécessité de renforcer la qualité des emplois.
Métiers de la prise en soin des seniors, crise de sens et mutations sociétales...
À travers la question des salaires certes, mais peut-être plus encore par la puissance du sens. Il s'agit d'une aspiration révolutionnaire pour paraphraser deux auteurs qui viennent de publier un ouvrage important sur le sujet[1]. Le fait de redonner du sens ne se calcule pas sur un tableur Excel, ne peut se limiter à une campagne de communication, ne se décrète pas...
Comment redonner du sens à des métiers trop marqués par la technique, la norme, les hiérarchies et les contraintes de temps ? Oui le temps... Donner du sens au temps, prendre le temps du sens. En parler, s'organiser, s'écouter... Sans doute, aussi, faut-il valoriser les métiers du care dans la société, auprès des jeunes comme des enseignants. Mais aussi aller vers les seniors à la recherche d'une deuxième partie de carrière et s'adresser plus spécialement aux hommes alors que la plupart de ces métiers sont très fortement féminisés. Mais cette valorisation ne peut se faire sans impliquer la société tout entière et sans prendre en compte l'évolution de la sociologie et des modes de vie des soignants comme des soignés. On évoque, par exemple, le manque de médecins, généralistes et spécialistes, or ce n'est pas le nombre qu'il faudrait évoquer mais plutôt le temps de soin. En effet, en 1968, le taux de médecins pour 100 000 habitants était de 119, contre 339 aujourd'hui, selon une étude de la Drees datant de mars 2021. Certes, la population est plus fragile et plus âgée qu'à la fin des années 1960, mais tout de même... La sociologie des populations vivant en France a fortement évolué. Les attentes et besoins de confort des habitants comme des acteurs de la santé au sens large sont très différentes d'il y a 50 ans.
Autonomie et qualité de vie
La question du management est aussi un levier pour renforcer l'attractivité des métiers du prendre soin et de l'accompagnement, en particulier via un travail sur l'autonomie des personnels, en favorisant la délégation des taches entre les acteurs de santé et les évolutions de carrières par la valorisation de l'expérience. Rapprocher lieux d'habitation et lieux d'exercice, aider à l'accès à un parc automobile « propre » et moins coûteux, faciliter le quotidien des personnels, en particulier des femmes seules avec des enfants, sont des pistes complexes mais porteuses de sens pour changer la donne.
Une autre piste féconde consiste à marquer simplement de l'attention et de l'affection par des moments favorisant la qualité de vie des professionnels de l'accompagnement des personnes fragiles : les « petites bontés » évoquées par Levinas. On peut penser pour soutenir et remercier les personnels, par exemple, à la mobilisation des médecines complémentaires adaptées sur leur lieu de travail, au soutien à l'activité physique, à des conseils en nutrition, à de l'aide à l'accès à des produits alimentaires de qualité et cultivés à proximité, ou encore à des temps consacrés à de la chorale, à des pratiques culturelles... L'enjeu, c'est bien de prendre en compte les attentes et modes de vie des soignants pour prendre soin de ceux qui prennent soin.