Sur les journées de l'entretien des textiles (JET)*, le Colloque destiné aux Ehpad aborde des questions cruciales: recherche d'économies, excès de normes ou de médicalisation... Claudy Jarry, président de la FNADEPA (Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et de services pour personnes âgées) et Didier Sapy, directeur de la FNAQPA (Fédération nationale avenir et qualité de vie des personnes âgées) proposent des réponses. Un débat animé par Bernard Jouannaud, directeur du Pôle Gérontologie d'Associés en Edition.
Nouveaux regards, nouvelles postures: les clés d'un meilleur accompagnement du grand âge
L'Observatoire des Ehpad de KPMG répartit les dépenses ainsi: 69% pour les charges de personnel, 20 % pour les charges d'exploitation, 11% pour l'immobilier. Où trouver des économies?
Claudy Jarry: Au-delà du travail sur les recettes et notamment sur le taux d'occupation, les économies sont à rechercher dans une organisation du travail optimum (qualité des prestations/ attentes du personnel), une politique achat construite et une réflexion approfondie en matière de politique immobilière. On se focalise souvent sur les économies d'énergie mais mieux vaut surveiller son taux d'occupation pour gagner en trésorerie! Et là le bâti est fondamental. Le niveau de l'hébergement qualité permet de se positionner clairement sur le marché: haut de gamme, moyen de gamme, entrée de gamme... De plus si le bâtiment est mal conçu, s'il y a trop de couloirs par exemple, on perd du temps, on "consomme" inutilement du personnel. L'établissement doit être à la fois un lieu de vie agréable et un outil de travail performant. Et en la matière, avec 20 centimes d'euro supplémentaires par jour et par résident, on peut faire beaucoup.
Didier Sapy: Si on raisonne en termes de coût global et non en termes de coût d'investissement brut, l'immobilier peut permettre des économies d'exploitation. Un prix de revient de 100 000 € ne veut rien dire en soi. Avec 130 000 ou 150 000 euros de prix de revient, on peut agir efficacement sur les coûts d'exploitation, que ce soit sur des problèmes de consommation, de maintenance, de fonctionnement telles que les conditions de travail, l'absentéisme, les risques psycho-sociaux... Le problème est que les autorités sont mal formées à ces logiques.
CJ: De plus, les acteurs, membres du CA ou directeurs, ne sont pas assez matures sur cette question. Ils sont accrochés à l'idée de porter les murs. A une époque où les banques sont frileuses...
La profusion des normes est-elle en train d'asphyxier les directeurs?
DS: Les directeurs sont étouffés et... terrorisés! J'appartiens à la Commission Normes et Moyens de la CNSA (Caisse Nationale de solidarité pour l'autonomie). Nous n'arrivons pas à lister toutes les réglementations applicables au secteur! Le World Economic Forum a classé la France 126e sur 144 pays sur la production de normes. En quelques années, la législation française est passée de 8 codes pesant environ 800 pages, à 7 codes pesant... 21 000 pages. Et nul n'est censé ignorer la loi.
Certaines réglementations sont aberrantes. Ainsi pour faire des oeufs sur le plat, il faut mettre des gants à usage unique pour casser le premier oeuf, puis changer de gants pour le second oeuf... Conséquence: en Ehpad, on ne fait pas d'oeufs sur le plat!
CJ: A l'inverse, la réglementation sur la liberté d'aller et venir est floue. A cette heure, les résidents ont les mêmes droits que tous les citoyens français... et pourtant cela ne paraît pas, parce que les familles sont ambigües. Elles veulent de la liberté mais n'hésitent pas à aller devant les tribunaux en cas de problème. Nous devons en permanence arbitrer entre la règlementation et l'éthique. La bonne décision sur le plan éthique peut se révéler mauvaise en cas de problème... Par ailleurs, il faut rappeler que la quasi-totalité des coûts induits par ces normes sont à la charge de la personne âgée au travers du prix de journée. Certain pensent, d'autres paient sans être associés aux décisions! Ne nous trompons pas, les normes sont le fruit d'un lobbying puissant d'entreprises qui y voient leur intérêt et aussi d'une demande collective insatiable, politique, judiciaire, médiatique.
Le terme Innovation a-t-il encore du sens ?
DS: Face à la profusion de projets de type Ehpad-plateforme de services etc., l'innovation est souvent entendue comme la reproduction de modèles définis au niveau national, alors que la véritable innovation est toujours venue du terrain. Innover, c'est d'abord être cohérent, faire preuve de bon sens et tenir compte de la logique de territoire. C'est peut-être simplement appliquer le CASF (Code de l'action sociale et des familles) de manière cohérente: exercer des missions en faveur d'une population donnée sur un territoire donné, avec des moyens et une évaluation définis par les pouvoirs publics. Innover, c'est aussi une question de posture: se focaliser sur les attentes plutôt que les besoins, être dans une logique de coût global, se positionner dans le parcours résidentiel, c'est innovant. Tous les établissements ne peuvent pas toujours reproduire les modèles de type Accueil de jour, MAIA...
CJ: Je rejoins Didier Sapy. Plutôt que d'inventer des outils, utilisons-les autrement. En effet, même si le secteur, les outils, les Ehpad bougent, les attentes des personnes âgées bougent plus vite encore. Beaucoup d'opérateurs sont enfermés dans une logique de chapelle. Ainsi la coordination n'est toujours pas suffisamment efficiente. Prenons le sujet Alzheimer, qui implique Ehpad, accueils de jour, domicile. Si trois appels à projets sont lancés à des périodes différentes, ce n'est pas efficient à un moment où il nous faut imaginer un véritable continuum d'accompagnements au plan local. Toutefois, beaucoup de choses sont néanmoins possibles : cherchons en dehors de la loi du 2 janvier 2002 pour véritablement coller aux attentes de nos concitoyens âgés.
EHPAD et médicalisation: la voie unique?
DS: C'est un vrai sujet à la FNAQPA. Il faut résister à la sanitarisation. Toutefois cela ne peut pas être une règle. C'est à étudier dans une logique de territoire, pour une complémentarité entre les structures. Il faut lutter contre la standardisation car l'Ehpad n'est pas un produit standard! Les attentes des personnes âgées ne portent pas sur le sanitaire: les personnes âgées veulent être soignées pour vivre et non pas vivre pour être soignées!
CJ: Il faut quand même respecter les précautions d'hygiène indispensables et la personne âgée doit avoir accès à tous les soins. Ce n'est pas un assuré de seconde zone. Toutefois attention, la "sanitarisation" va bien au-delà de la notion de prise en soi : c'est une posture, une dangereuse prise de pouvoir. On ne doit pas voir chez la personne âgée, que le corps malade mais l'être social qui véritablement l'habite. On reproche cela aux hôpitaux, donc soyons vigilants. Il y a des risques à arriver près de la personne âgée en tant qu'expert : la personne âgée se laisse aller entre les mains perçues comme expertes des soignants. Ces derniers, eux, risquant de se cantonner à des gestes techniques " pauvres ". N'enlevons pas à la personne âgée sa parole, ni le peu d'espace qu'elle peut avoir. Si on ne peut pas réparer le corps abîmé, vécu comme irréparable, il est possible de libérer l'être social confiné dans ce corps qui ne répond plus comme par le passé. Il y a là enfin un formidable espace à investir pour le personnel... et beaucoup de succès à aller chercher.
DS: L'hôpital et l'Ehpad ne sont pas comparables. On vient dans le premier pour être soigné, dans le second pour vivre. A l'hôpital, l'organisation est fondée sur les postes et les tâches, à l'Ehpad elle devrait l'être sur l'adaptation aux attentes. Si un ex-agriculteur veut prendre son café à 4h du matin, cela doit être possible. Aujourd'hui, le client est trop souvent la famille et l'ARS. Considérer que c'est le résident est une posture nouvelle et surtout différente.
Le clivage actuel entre domicile et établissement est-il durable?
DS: Je préfère parler de parcours résidentiel. Les gens veulent rester chez eux, mais est-ce réellement en connaissance de cause? Pourquoi le droit au risque ne serait-il reconnu qu'à domicile? C'est l'attractivité de nos établissements qui est en cause! On peut parler aussi de domicile intermédiaire, on reste ainsi dans une logique d'habitat. Ce devrait aussi être le cas de nos Ehpad, un terme affreux auquel je préfèrerai toujours "maison de retraite", qui doivent avant tout être considérés comme de l'habitat médicalisé.
CJ: A domicile, quand la perte d'autonomie s'installe, des problèmes nombreux se posent. L'espace de liberté se restreint, sous la volonté de la famille qui souvent prend peur. Les services à domicile sont un vieux métier de proximité. Aujourd'hui ils s'exercent dans la même logique que la prise en charge en Ehpad : protocoles, suivi des événements indésirables, certification... On cherche du normatif et la personne âgée est contrainte à s'adapter. Le clivage dans sa forme actuelle va assurément disparaitre car à côté des Ehpad, on aura des Ehpa plus nombreux, des résidences avec services,... des formes de plus en plus diversifiées d'hébergements collectifs dans lesquelles des professionnels du domicile vont intervenir (HAD, SSIAD, SAAD, médecins, kinés...). Nous aurons moins de clivage mais le risque est grand de voir progresser la "sanitarisation" jusqu'au domicile de la personne âgée. Restons vigilants pour faire en sorte que la personne âgée reste un être social, un acteur-désirant, avec des besoins (certes!) mais aussi et peut être surtout et sûrement de plus en plus, des attentes !
* Organisé les 11, 12, 13 et 14 octobre à Paris par Associés en Edition, éditeur de Géroscopie.