Les 25 et 26 septembre 2019 s'est déroulée à Nîmes la 1ère Université d'Automne, organisée par la Fondation I2ML, La Croix Rouge française et Géroscopie. Deux journées sur le thème de l'autonomie et de la liberté. Deux journées disruptives pour lever les tabous et faire la #RéVieuxLution. Décryptage.
Oser la liberté
L'amphithéâtre de l'Université de Nîmes est plein, pas moins de 500 personnes, experts du grand âge, philosophes, directeurs d'établissements, politiques, soignants, autorités de tutelle, observateurs aguerris aux discours affutés, se sont pressés pour participer à cette 1 ère université d'automne, enfin plutôt la seconde puisqu'elle réunissait déjà l'an dernier les Sex'agénaires. Après la sexualité, c'est donc l'autonomie, le risque et la liberté des âgés qui sont aujourd'hui interrogés.
Comment oser le risque, préserver l'autonomie ou continuer de la maintenir ? Comment soutenir une cohérence de discours et d'actes ? comment accompagner ce mouvement de société unique, novateur et pionnier ?
Durant deux journées, l'ensemble des problématiques ont ainsi été abordées proposant des temps réflexifs distincts.
Le temps pour et par les citoyens
« Je veux conduire, je ne veux pas aller en EHPAD, je veux aimer librement... ». Pourtant proches ou professionnels restreignent cette liberté au seul motif de l'âge... Qu'est-ce que la liberté et l'autonomie ? Où s'arrête mon pouvoir et ma liberté ? Pour Colette Eynard, consultante en gérontologie sociale et membre du réseau ARCG, il est utile de se référer à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, qui rappelle, outre l'égalité de droits, que la liberté réside dans le fait de ne mener aucune action nuisible à autrui. Or un des principes d'accompagnement repose sur la possibilité de soutenir l'exercice de cette liberté. Et si l'autonomie consistait à ne pas être obligé de se confronter à un modèle imposé. « Être autonome, c'est mener sa vie comme on l'entend, et ce même si on a besoin d'aide pour mettre en oeuvre ce projet. Être autonome, c'est accepter de prendre des risques. » Le citoyen reste l'acteur de sa propre histoire. Il doit reconnaître ses désirs, formuler ses demandes, agir ses projets. C'est ainsi que l'association Old'Up, plus si jeunes mais pas si vieux, invite dans un souci éthique à repenser l'accompagnement. « Aider, c'est se soucier de faire avec l'autre et non à sa place. C'est une exigence éthique, politique et sociale, une urgence démocratique pour le bien de la nation. » Comme le rappelle Denis-René Valverde, « nous devons choisir si nous voulons une société de la complémentarité ou de la compétition ».
De plus en plus d'âgés vivent seuls, isolés, à domicile ou en établissement. En France, pas moins de 300 000 personnes sont privées de liens (familiaux, de voisinage, associatifs, amicaux). D'où l'impérieuse nécessité de développer les réseaux de proximité tels que Mona Lisa. Pour Armelle De Guibert, déléguée générale des Petits frères des pauvres, « les bénévoles sont souvent eux aussi des âgés, en quête de liens. L'échange s'exerce donc dans une vraie réciprocité. Notre rôle est de créer des infrastructures de fraternité pour permettre à chacun de s'enrichir de la relation.»
Le temps de l'International
La France a une culture du soin. « Nous cherchons à soigner et guérir. Or le vieillissement n'est pas une maladie », explique Didier Sapy, directeur général de la FNAQPA. « Nous sommes centrés sur la tâche à accomplir, à l'inverse des autres pays européens qui ont adopté une approche plus sociale. En France, la première personne rencontrée lors de l'entrée en ehpad est le médecin coordonnateur. Ailleurs, il s'agit d'un travailleur social, qui va engager une réflexion sur la biographie de la personne accueillie. Augmenter le nombre de soignants permettrait d'augmenter leur temps social. » Mais pour Didier Sapy, il reste possible d'améliorer la qualité de vie en établissement. Pourquoi certains établissements, belges ou slovènes, sont-ils capables d'organiser un festival de rock ? D'emmener les résidents écouter le brame du cerf en forêt la nuit ? L'organisation doit s'adapter aux désirs des personnes. « Et c'est justement quand on met de la vie, qu'on répond aux désirs individuels, que tout le monde va mieux, résidents comme soignants ». D'ailleurs en Espagne, le temps de retraite ne s'appelle-t-il pas « Jubilation » ?
Le temps des politiques publiques
C'est en introduction de cette 2è journée que le Pr Jean Jacques Eledjam, président de la Croix Rouge française a présenté son Plaidoyer. 14 propositions pour promouvoir la personne fragile comme une personne à potentiel. « La première réflexion repose sur notre modèle de société, qui doit être repensé sous l'angle du parcours de vie, le critère de l'âge n'ayant aujourd'hui plus de sens tant la période de grand âge est vaste. 30 ans peuvent séparer l'entrée en retraite de la mort. » La transmission auprès des plus jeunes et le changement de regard sur le grand âge doivent aussi contribuer à faire des seniors des experts. L'enjeu pour tous reste la qualité du vivre ensemble. Le Ceser insiste d'ailleurs sur la nécessité d'interroger une représentation sociale de la vieillesse et de mettre en oeuvre un pacte social qui se traduise par trois mots clés : l'investissement des territoires, la solidarité, l'intergénérationnel.
Pour Dominque Libault, auteur du rapport remis en mars dernier à Agnès Buzyn, changer de regard sur le grand âge n'est pas seulement un sujet social ou économique. Il repose sur l'exercice et l'acceptation de cette « nouvelle » liberté. En EHPAD, tout est réglé, codifié. La liberté de choix suppose d'établir une nouvelle offre, une action des pouvoirs publics est nécessaire mais pas suffisante. Il faut aussi imaginer un environnement immédiat, de proximité, plus solidaire et soutenant, notamment pour les aidants familiaux qui concilient vie professionnelle et accompagnement d'un proche.
Pour Marie-Anne Montchamp, présidente de la CNSA, il est urgent de réaliser le virage de la protection sociale. Il convient aujourd'hui de construire une approche différente, ascendante, ancrée dans les territoires mais cela exige une profonde transformation de l'Etat. « Ce n'est pas une option », tonne-t-elle, invitant une nouvelle Greta à se lever et porter haut et fort la cause des plus âgés. Une idée immédiatement adoptée et soutenue par Michèle Delaunay, qui appelle de ses voeux la création d'un ministère de la transition démographique. « Un gouvernement du nouveau monde devrait prendre cette révolution à bras le corps, c'est véritablement une question de justice sociale ».
Alors en attendant la mise en oeuvre des réformes, et notamment les conclusions de la loi autonomie attendue pour la fin de l'année, les professionnels partagent, mutualisent et s'entraident pour continuer de valoriser les initiatives favorisant l'accès à la liberté. « Et si on montrait ce qui se fait de bien en ehpad ? » interroge Aude Letty, secrétaire générale de la Fondation Korian pour le bien-vieillir.
Faire la « #RéVieuxLution, c'est finalement pour Jean-Marc Blanc, directeur général de la Fondation I2ml, « reconnaître les désirs de l'individu vieillissant, et inviter à réfléchir une loi sous le prisme de la personne pour inventer dans le cadre et la norme un espace de liberté. »
Rendez-vous est donc déjà pris en 2020...pour lever un nouveau tabou...