Après la publication en février 2013 de son rapport sur la prévention de la qualité de vie des personnes âgées, le Dr Jean-Pierre Aquino a remis à Laurence Rossignol, en septembre 2015 un plan national d'action de la prévention de la perte d'autonomie.
Ouvrir l'EHPAD sur l'extérieur et créer des liens avec la ville
Le plan s'inscrit dans une démarche globale, multisectorielle et multidisciplinaire. N'y a-t-il pas trop de mesures à prendre dans un contexte de fortes restrictions budgétaires ?
Ce plan est destiné plus particulièrement aux Conférences départementales des financeurs prévues dans le cadre de la loi d'adaptation de la société au vieillissement (loi ASV). Il doit les aider dans leurs choix opérationnels, ce qui explique le nombre de mesures répertoriées dont certaines sont déjà en place. Le but est bien de proposer une vision globale des questions qui se posent au cours de l'avancée en âge et des réponses souhaitées en s'appuyant sur les données scientifiques et sur la réglementation.
La prévention est un axe fort mais elle ne peut se faire sans un système de santé qui l'intègre. Militez-vous pour une réorientation radicale de notre système de santé ?
Il est vrai que la prévention en général est insuffisamment développée dans notre pays. Mais il faut remarquer que l'axe 1 de la loi de modernisation du système de santé est consacré à la prévention. La loi ASV apporte une déclinaison de cet axe dans le cadre du vieillissement. Indiscutablement la prévention est valorisée dans ce texte législatif. Pour preuve l'une des mesures phares de la loi ASV est bien la mise en place des conférences départementales des financeurs dont la prévention de la perte d'autonomie est l'une de leurs missions.
Comment repérer précocement la fragilité chez les personnes âgées et quelle suite donner à ce constat ?
La fragilité expose à un risque de survenue d'événements indésirables, notamment de perte d'autonomie, d'institutionnalisation et de décès. Cet état est potentiellement réversible grâce à des interventions gériatriques multidisciplinaires. Le repérage de la fragilité pourrait ainsi permettre d'identifier les personnes à risque susceptibles de bénéficier d'interventions préventives leur évitant de basculer dans la perte d'autonomie. Le repérage de la fragilité peut être réalisé par le médecin traitant ou par un autre soignant de premier recours : infirmier, pharmacien, kinésithérapeute, aide-soignant....
Les Observatoires régionaux des situations de fragilité (CNAV et CNAMTS) proposent une approche de risques socio-économiques à partir des bases administratives détenues par les organismes de sécurité sociale. La personne âgée repérée comme fragile relève d'une évaluation gériatrique globale pluri-professionnelle. Cette évaluation peut être réalisée en recourant à une équipe mobile gériatrique, à un réseau de santé personnes âgées, à un hôpital de jour gériatrique pour les situations les plus complexes. Cette évaluation doit conduire à la mise en place d'interventions de prévention en lien avec le médecin traitant. Ces interventions portent sur l'activité physique adaptée, la nutrition, la réduction de la polymédication, la prise en charge de la dépression, la mise en place d'aides sociales, l'adaptation de l'environnement et la mobilisation des liens sociaux.
Les résidences autonomie ont une position très stratégique dans la trajectoire de vie. Quel type de prévention mettre en place ?
Il s'agit de donner un nouveau souffle et de moderniser les logements foyers afin de les transformer en un véritable dispositif de prévention de la perte d'autonomie. Ainsi, il est prévu, outre le changement d'appellation - résidences autonomie - , le versement d'un forfait autonomie, afin d'organiser et de proposer aux retraités fragilisés des actions, collectives ou individuelles, de prévention de la perte d'autonomie dans le cadre d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens. Ces actions visent à maintenir et/ou à entretenir les facultés sensorielles, motrices et psychiques, à repérer les difficultés sociales des résidents ainsi que la promotion de comportements de nature à prévenir la perte d'autonomie (nutrition, mémoire, sommeil, activités physiques, équilibre et prévention des chutes, lien social). Ce forfait sera utilisé pour permettre le recours à des professionnels formés à l'accompagnement de publics présentant des fragilités psychologiques et/ou psychiques et/ou sociales.
Etes-vous sur la même longueur d'onde que l'Académie de médecine qui a livré en novembre 2015 neuf recommandations pour prévenir la dépendance liée au vieillissement ?
Le rapport de l'Académie nationale de médecine intitulé " Prévention de la dépendance liée à l'âge " propose sept recommandations de nature médicale (lutte contre le tabac et l'alcool, dépistage du diabète, administration de vitamine D, promotion de l'éducation thérapeutique...). Ces recommandations sont importantes et doivent être suivies des faits. Mais, concernant l'autonomie, l'approche doit être plus globale en s'intéressant à l'environnement (habitat, urbanisme, transports...).
Pour préserver l'autonomie des personnes en EHPAD vous préconisez l'activité physique et sportive. Y a t-il d'autres pistes ?
Oui, d'autres initiatives sont en cours de réflexion : notamment l'intégration de la prévention dans les ordonnances Pathos. Cela porterait sur les chutes, la dénutrition, la dépression, les troubles sensoriels, les escarres et les vaccinations.
Qu'y a-t-il de nouveau en 2016 pour les EHPAD ?
Dans la loi ASV figure la définition d'un socle de prestations minimales et le prix d'un socle de prestations avec la nécessité d'avancer leur variation au 1er janvier de chaque année. L'inscription des EHPAD dans un CPOM est aussi un point important. En marge de la loi, une nouveauté concerne les EHPAD : le lancement du portail national d'information* sur les hébergements qui propose aussi un calcul du reste à charge.
Y a-t-il des évolutions sur la conception des EHPAD ?
Le souhait d'ouvrir l'EHPAD sur l'extérieur. C'est une perspective nouvelle, qui s'oppose à la ségrégation par la constitution de liens plus étroits avec la ville, avec la création de plateformes au sein desquelles il y aurait, à la fois, EHPAD, SSIAD et tous les dispositifs utiles pour que cette intégration soit réalisée.
Les EHPAD développent déjà des actions de prévention de la perte d'autonomie mais peut-on endiguer la maladie d'Alzheimer ?
Un certain nombre de données récentes montrent qu'on peut proposer des mesures préventives qui vont toucher plusieurs domaines et qui vont freiner l'évolution de la maladie. Exemple : les maladies cardio-vasculaires (et notamment l'hypertension artérielle), le diabète, la malnutrition, la sédentarité, le délitement du lien social, autrement dit le repérage des facteurs de risque. Une prise en compte de ces anomalies peut différer la survenue de la maladie (je ne dis pas empêcher, mais différer). Certaines études internationales montrent bien qu'on dispose ainsi d'un levier intéressant pour organiser des actions préventives.
Autre volet : l'utilité des thérapies non médicamenteuses pour l'accompagnement des personnes malades présentant une maladie d'Alzheimer, en l'absence de médication curative. Si ces thérapies ont un effet, quid d'une prise en charge ? Certaines le sont par la Sécurité sociale, par exemple l'orthophonie.
Constatez-vous une évolution dans la population accueillie ?
L'incidence de la maladie d'Alzheimer serait en baisse en particulier chez les femmes, parce qu'elles ont une activité professionnelle et grâce à la prévention cardio-vasculaire.
Envisagez-vous d'autres travaux, d'autres innovations ?
Oui, premièrement, toutes les données des Conférences départementales des Financeurs vont être colligées le 30 juin de chaque année et transmises à la CNSA, cela veut dire que la CNSA va disposer de toutes les informations départementales sur la prévention de la perte d'autonomie. Une observation nationale tout à fait intéressante sera ainsi possible.
Deuxièmement, le plan de prévention de la perte d'autonomie sera probablement évalué par le Haut Conseil de Santé Publique. De plus, la loi prévoit que le gouvernement remette plusieurs rapports au Parlement : hébergement temporaire, logement en cohabitation intergénérationnelle, évaluation de l'expérimentation SPASAD, et rapport d'évaluation de la loi à 18 mois et 36 mois. Toutes ces données vont créer une grande richesse d'informations au niveau épidémiologique.
Par ailleurs, le Comité Avancée en Age que je préside et qui a été à l'origine de mon premier rapport remis en 2013, sera représenté au Haut Conseil de la famille et des âges de la vie*.
Bio Express
Dr Jean-Pierre Aquino.
Gériatre et médecin de santé publique, professeur associé au Collège de Médecin des Hôpitaux de Paris.
Directeur du pôle médico-social et des actions de prévention de l'hôpital la Porte Verte
Conseiller technique de la Fondation Médéric Alzheimer
Président du Comité Avancée en Age