Conscient des urgences, le plus jeune président de conseil départemental, entend travailler à un changement de regard, et aborder les solidarités via le prisme des vulnérabilités. A Géroscopie, il explique ses pistes pour mieux anticiper le pic démographique. Interview.

Par principe, on est toujours volontaire pour mener des expérimentations mais ce qui est proposé ne nous semble pas assez ambitieux
Combien d'Ehpad votre département compte-t-il ? Quels tarifs hébergement/dépendance a-t-il fixés ?
Dans l'Eure, on ne compte pas moins de 44 établissements dont 19 privés, 13 publics, 10 hospitaliers et 2 associatifs. Pour répondre très précisément à votre question, le tarif moyen pondéré est de 61,88€ et le point GIR 2024 de 7,25€.
Quelle est leur situation financière ?
Elle est difficile, comme partout. Globalement sur le département, on constate une amélioration du taux de résultat, de la CAF (capacité d'autofinancement). En revanche, la trésorerie tend à se dégrader. L'ARS et le Département ont donc ciblé des établissements en difficulté à partir de plusieurs indicateurs (taux de marge négatif, insuffisance d'autofinancement...) afin d'attribuer des crédits exceptionnels. Ces aides, décidées en lien avec le conseil départemental, s'élèvent à 3,3 M€ et vont permettre de remettre à flot les finances de 11 établissements.
Pourquoi n'avez-vous pas (encore ?) choisi de faire partie des départements expérimentateurs de la fusion des sections tarifaires soins et dépendance ?
Par principe, on est toujours volontaire pour mener des expérimentations mais ce qui est proposé ne nous semble pas assez ambitieux. En effet, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024, plutôt que de repenser le modèle économique des Ehpad et leur soutenabilité financière, se limite à prévoir une expérimentation de la fusion des forfaits globaux soins et dépendance des établissements. On ne souhaite pas participer à une expérimentation qui reste floue sur les enjeux relatifs à la proximité départementale pour l'accompagnement gérontologique. Il faut garder une maille adaptée et en appui aussi des actions propres des CCAS/CCIAS. Nous devons absolument éviter tout risque de "sanctuarisation" de la culture médico-sociale des Ehpad. La place du lieu de vie, du chez soi d'abord, est au coeur de nos préoccupations comme l'a acté notre Pacte Départemental des Solidarités.
Les services autonomie à domicile de votre département rencontrent-ils des difficultés ?
Globalement, les SAD de notre département rencontrent les mêmes difficultés que ceux d'autres départements. Je pense notamment à la problématique du recrutement et au défi de l'attractivité de ces métiers. Par ailleurs, la réforme prévoyant le rapprochement entre les Services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et les Services d'aide à domicile (SAAD) se confronte à la réalité de l'organisation territoriale actuelle. Le périmètre d'intervention des Services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) est différent de celui des SAAD. Un travail est en cours pour répondre aux obligations de la réforme et proposer un maillage territorial au plus proche des besoins.
Vous faites partie des 47 départements expérimentateurs d'un accompagnement rénové des allocataires du RSA, cela s'est-il révélé un levier pour l'emploi dans le secteur du grand âge et en particulier les aides à domicile ?
L'expérimentation de l'accompagnement rénové des allocataires du RSA dans le Département de l'Eure est en effet une opportunité pour remettre les demandeurs d'emploi au travail et en particulier dans le secteur du grand âge et des aides à domicile où les besoins sont immenses. Ce dispositif, qui a touché 2 500 bénéficiaires du RSA, a permis de créer une synergie entre les différents acteurs et de mieux répondre aux besoins spécifiques dans ce secteur en tension via notamment la mise en place des TASK Force Entreprises qui ont regroupé divers acteurs du réseau pour l'emploi (France Travail, Conseil départemental, Mission locale et Cap Emploi). On se heurte néanmoins à un vrai problème d'attractivité de ces métiers. Le secteur de l'aide à domicile souffre d'une image dégradée et il faut vraiment travailler sur la valorisation de ces métiers pour attirer davantage de personnes qu'elles soient dans l'expérimentation RSA ou non.
Allez-vous le généraliser maintenant que la réforme du RSA, « activité » obligatoire de 15 h et inscription obligatoire à France Travail, est entrée en vigueur le 1er janvier ?
Dans l'Eure, nous avons plutôt l'habitude de respecter la loi alors, oui, cette expérimentation sera effectivement étendue à tout le département en tenant compte des spécificités de chaque territoire. Par exemple, l'expérience menée dans le Département de l'Eure, notamment sur ses zones rurales, a permis d'identifier un réel besoin d'accompagnement renforcé dans le secteur du grand âge. Je mets quand même un bémol dans cette généralisation de l'expérimentation : les départements sont dans des situations de tensions financières extrêmes. Un financement national est indispensable pour nous permettre de déployer des moyens d'accompagnement suffisants afin d'être aussi efficaces sur tout le département que nous avons pu l'être sur la zone d'expérimentation.
Est-ce un pont envisagé entre ces deux grandes compétences des départements, grand âge -en pénurie de salariés- et RSA ?
Il est possible, souhaitable et on y travaille. Le secteur de l'aide à domicile tente de répondre aux besoins croissants d'une population vieillissante et fait en même temps face à une pénurie de salariés. En parallèle, 13 000 personnes bénéficiaires du RSA ont besoin de reprendre une activité, de retrouver un emploi. En théorie, il suffirait de connecter ces deux problèmes pour les solutionner. Dans la réalité, on se rend compte qu'au-delà de l'image et du problème d'attractivité dont on a déjà parlé, il y a un véritable besoin de formation et d'accompagnement de ces publics vulnérables pour acquérir les compétences, le savoir-faire et le savoir-être nécessaires.
Votre campagne « Vous avez tous des compétences à faire valoir » sur l'attractivité des métiers va-t-elle cibler en particulier le grand âge ?
Cette campagne va effectivement cibler le secteur du grand âge. Le Département de l'Eure met un accent particulier sur la valorisation des métiers liés à l'aide à domicile et à l'accompagnement des personnes âgées, en raison de la pénurie de salariés dans ce secteur. À travers cette campagne, le département cherche à faire connaître ces métiers et à valoriser les compétences requises, en mettant en avant l'importance de ces professions pour la qualité de vie des personnes âgées. Travailler, positiver l'image de ces métiers est absolument essentiel. En complément de cette campagne de communication, des actions spécifiques sont menées pour sensibiliser et informer sur les opportunités d'emploi et de formation dans le secteur, afin d'attirer des candidats, notamment les bénéficiaires RSA.
En 2025, nous allons également travailler à un changement de regard, pour aborder les solidarités via le prisme des vulnérabilités. Aujourd'hui, 2/3 du budget du Département relève du périmètre des solidarités. Pourtant, dans l'esprit collectif, cela ne touche que 10% des Eurois. Avec cette nouvelle approche -managériale, organisationnelle, culturelle et politique- nous souhaitons à terme toucher 100% des Eurois car la vulnérabilité est partagée et universelle. Nous pouvons tous y être confrontés, directement ou indirectement et nous sommes convaincus que les vulnérabilités peuvent être une force. Nous espérons que cela contribuera pour partie à améliorer l'image des métiers des solidarités, qui sont indispensables dans notre quotidien.
Comment votre département se prépare-t-il au vieillissement de sa population ?
Notre Département a anticipé dès 2021 en commandant une étude à l'INSEE afin d'établir une projection sur 2030 et 2040. Nous savions que même si nous étions un Département jeune, nous allions devoir répondre à une accélération du vieillissement de la population. Actuellement, plus de 25 % de la population euroise a 60 ans et plus, et 9 % plus de 75 ans. On s'attend à une augmentation de 22 % des seniors à l'horizon 2030, et de 50% pour les plus de 75 ans.
Pour faire face à ce défi, nous devons organiser et structurer une offre qui répond à tous les besoins, tous les niveaux de dépendance, en intégrant le fait que 85% des eurois souhaitent vieillir à domicile. Il faut donc « s'attaquer » à cette problématique du vieillissement sous tous les angles : adaptation du logement, résidence senior, habitat intergénérationnel, habitat partagé et Ehpad. Pour faire face, le Conseil départemental a aussi choisi d'investir massivement dans la reconstruction et la rénovation lourde des Ehpad : nous consacrons 46 millions d'euros pour rénover et reconstruire 11 maisons de retraite.
Votre feuille de route d'octobre 2023 (et notamment son pack Maintien à domicile) n'est-elle pas entravée par les difficultés financières que traversent les départements ?
Le lancement du PackAdom pour le maintien à domicile et la lutte contre l'isolement s'est avéré probant. Il a donc été décidé de le généraliser sur l'ensemble du Département. Ce PackAdom fait l'objet d'une étude médico-économique menée par le CHU de Limoges et le département des Landes. Il est aussi examiné avec attention par la CNSA. C'est pourquoi, malgré le contexte financier difficile, nous allons continuer de la diffuser. La prévention est un marqueur de notre politique. Nous sommes convaincus qu'elle est socialement et économiquement intéressante. Le maintien à domicile reste un axe fort de cette politique de prévention.