Placer la santé au coeur de l'action publique
La santé est au coeur du quotidien de l'ensemble de la population. Il n'est que de souligner combien nous nous souhaitons " bonne santé " au moment des voeux de nouvelle année pour saisir l'importance du sujet.
Or, force est de constater que loin d'avoir repoussé la maladie, le mal-être et la souffrance, notre société de haute technologie a généré de nouvelles formes de pathologies. Si la médecine sait de mieux en mieux soigner, si elle connaît de grands succès thérapeutiques, pour autant, elle est de moins en moins en situation de contribuer à soutenir notre bonne santé. Elle semble incapable de répondre à la hausse continue du nombre de personnes fragilisées par la maladie, la dégradation de l'environnement, le stress, la pression et la précarité sociale. Rappelons, par exemple, que l'allongement de la vie implique aussi une forte croissance de certaines pathologies, en particulier les maladies de Parkinson et d'Alzheimer qui concernent, à des degrés divers plus de 1,5 million de personnes. Par ailleurs on compte en France plus de 8 millions de personnes en situation de handicap. Leur famille et leurs proches se retrouvent eux-mêmes fragilisés. Rappelons aussi que si les pathologies infectieuses ont été pratiquement jugulées - du moins en Occident -, les maladies chroniques sont en hausse continue. On compte plus de 9 millions de personnes subissant une affection de longue durée. Ces vulnérabilités sont d'abord liées aux modes de vie des personnes, à la culture de la vitesse et de la productivité, aux conditions de travail de déplacement et d'habitat, à l'alimentation toujours plus industrialisées et plus globalement à un environnement dégradé qui se manifeste par une eau et un air pollué, par l'impossibilité d'échapper au bruit comme à l'inflation de composants chimiques... Il y a comme un décalage entre la promesse de la technologie et la triste réalité du présent et de l'avenir.
Soulignons d'ailleurs que si l'espérance de vie s'est très fortement accrue depuis les années 1960 les différences selon la situation sociale et le style de vie de la personne sont grandissants.
Plutôt que d'en appeler à une médicalisation croissante de la société, je crois à une approche centrée sur la prévention et l'accompagnement, autrement dit le care plutôt que la cure.
Présent comme " grand témoin " lors du GeronForum de la FNAQPA de la fin juin, j'ai pu entendre une présentation de l'expérience du Centre Carpe Diem au Québec qui accompagne des personnes souffrant d'Alzheimer à travers une approche personnalisée et la stimulation douce et conviviale. Là-bas, le recours aux approches médicalisées est minoré et la situation des personnes et de leur entourage apparaît bien plus satisfaisante.
Une autre politique de la santé pose ainsi la nécessité de soutenir les éco-médecines et l'alimentation bio, les modes de soin doux et bienveillants qui cherchent à réduire l'hospitalisation et le recours aux substances chimiques.
Plus largement, une politique de santé implique d'oeuvrer à l'amélioration de l'environnement en agissant en priorité sur le bruit, l'air et l'eau, mais aussi en menant une offensive législative et culturelle contre l'utilisation de composés chimiques dans l'agriculture, l'alimentation, la cosmétique ou encore les matériaux de construction... Cette approche peut conduire, par exemple, à interdire certaines formes de publicités pour des produits d'alimentation à l'instar de ce qui a été fait pour le tabac ou de taxer ces produits et publicités au profit de la mise en oeuvre de politiques de soutien à une alimentation équilibrée qui demandent un accompagnement personnalisé. Il s'agit aussi de prendre des mesures drastiques (et non coûteuse) comme l'interdiction du bisphénol dans l'ensemble des emballages alimentaires.
Mettre la santé au coeur d'un projet politique c'est aussi proposer une nouvelle dynamique de l'emploi : privilégier les métiers du care et valoriser celles et ceux qui accompagnent et prennent soin des personnes fragiles ou en situation de vulnérabilité. Il s'agit de mettre en place des filières complètes, d'améliorer les formations, d'accroître l'emploi et les rémunérations tant dans les institutions d'accueil que dans les services à la personne.
Rappelons que la santé est un secteur économique majeur (11 % du PIB) qui représente une enveloppe de plus de 223 Md€. Des économies sont possibles grâce aux effets d'une politique de prévention et via l'amélioration de l'organisation et la réduction de la consommation médicale. N'oublions pas que les dépenses de santé sont d'abord des investissements utiles et qu'elles contribuent à la dynamique économique et au mieux vivre.
S'il faut se méfier des tentations de l'hyperspécialisation, pour autant, pourquoi ne pas initier la santé au rang de grand projet de ce siècle pour le pays ? Alors que le monde prend de l'âge (les plus de 60 ans passeront de 10 % de la population, en 2000, à 21 % en 2040) et voit une croissance continue du nombre de personnes fragilisées, la France, qui bénéficie encore d'une image d'un pays où il fait bon vivre, pourrait en développant son savoir-faire dans le domaine du prendre soin, retrouver une place de choix dans les échanges mondiaux et générer ainsi des emplois utiles et de qualité.
Serge Guérin
Professeur à l'ESG Management School
Vient de publier " La nouvelle société des seniors ", Michalon 2011