L'hygiène du corps est une question bien plus complexe que celle de la seule toilette. Entre préservation de la dignité du résident, respect du soignant et maintien de la relation soignant/soigné, les enjeux sont vastes.
Porter un autre regard sur l'hygiène
L'altération du corps et les soins à apporter varient en fonction de la perte d'autonomie de la personne aidée. La toilette ne s'appréhende dès lors pas de la même manière. Divers outils peuvent être mobilisés pour accompagner et soutenir les professionnels.
La sollicitude du soignant comme postulat du prendre soin
Certaines méthodes comme la méthode Montessori invitent à mobiliser les capacités restantes de la personne. Elles proposent d'accompagner le résident en lui réapprenant des gestes de la vie quotidienne. Avec sa devise « Aide-moi à faire seul », Maria Montessori valorise l'autonomie. Cette approche positive se concentre sur les capacités de la personne et non plus sur ses déficits. L'idée est d'éliminer la notion d'échec, en permettant aux personnes fragilisées de retrouver progressivement du contrôle sur leur vie et de la confiance en leurs capacités. « La toilette peut commencer par une invitation du résident à se laver seul le visage puis les épaules, puis progressivement au fur et à mesure des jours qui passent, par phénomène de répétition et de mémorisation, d'étendre aux bras et à l'abdomen », explique le Dr Philippe Walraet, médecin coordonnateur en Ehpad. Cette pratique lui permet de se réapproprier son corps et de retrouver une estime de soi par la redécouverte de ses capacités.
Le report de toilette
Cette « toilette de la bienveillance », comme l'appelle le Dr Walraet, s'exonère de l'échelle temporelle, difficulté majeure des équipes en Ehpad. Elle oblige à repenser les soins de manière globale, en intégrant l'état physique et émotionnel du résident. Un refus de soin peut amener un soignant à reporter la toilette à un autre moment de la journée, plus propice, plus acceptable pour le résident. Il ne s'agit ni d'abandonner la toilette ni de se délester sur d'autres professionnels, mais bien d'intégrer la dimension globale de l'individu, dans un projet individuel.
Dès lors, les équipes du matin délèguent cette toilette à l'équipe de l'après-midi, voire à l'équipe de nuit, sans imposer à l'individu un rythme dicté par l'institution. Cette philosophie, acceptée et intégrée par tous, favorise aussi le dialogue avec les familles. « Découvrir son proche en pyjama à 11 heures du matin peut susciter de l'agacement ou de la colère de la part de la famille. Mais si ce projet est élaboré en équipe, en collaboration avec cette famille, pour le bien-être de son proche, que la toilette est programmée et réalisée à un autre moment de la journée, on se retrouve alors dans un paradigme de bientraitance qui répond à une volonté de s'adapter aux rythmes propres de chacun », ajoute le Dr Walraet.
L'utilisation d'aides externes
Pour favoriser le bien-être du résident, limiter les manipulations douloureuses ou difficiles pour les soignants, les équipes peuvent être amenées à mettre en place des aides externes. La douche au lit, voire la douche aux ultrasons, ou les appareils pour faciliter l'hygiène bucco-dentaire sont autant d'outils qui permettent de répondre à la double exigence de la réalisation des soins et de la limitation de la douleur pour le résident. En parallèle, l'établissement peut travailler sur les moyens donnés à la prise en charge de certaines toilettes difficiles (voir encadré page 22).
L'image « abîmée » du corps
Les soins du corps touchent à l'intimité. « La communication permet de transcender l'image d'un corps abîmé, une incontinence mixte, d'éventuelles odeurs désagréables provoquant des réactions de défense naturelle, notamment du côté des soignants », ajoute le Dr Walraet. Évoquer la bienveillance et le care dans le soin nécessite ainsi des formations spécifiques pour maîtriser ce regard sur l'image corporelle et les projections qui peuvent en découler.
Du côté soignant, il faut adapter les contraintes organisationnelles, humaines et matérielles. Du côté du soigné, il faut adapter les habitudes de vie, les habitudes personnelles et le degré de dépendance. Cette relation soignant/soigné est une relation de confiance et d'échange. « C'est aussi le cas lors des soins de fin de vie, où l'accompagnement passe par une attention singulière et un regard de douceur et d'empathie. »
Dans ce cas particulier de la fin de vie, la prise en soin sera plus orientée vers un soin de nursing, de détente et de bien-être. En fonction de la situation, un rafraîchissement pourra être préféré à une toilette compliquée, car on tiendra compte de la douleur du patient et on cherchera à la limiter.
La toilette mortuaire, toilette ultime
Cette toilette ultime recouvre une portée symbolique majeure. Interdite durant l'épidémie de Covid, la toilette mortuaire peut être à nouveau réalisée en Ehpad. Elle est pour les soignants l'occasion d'un au revoir. « C'est aussi une forme de compagnonnage, d'accompagnement et de formation à la bientraitance des soignants plus expérimentés vers les soignants plus jeunes. C'est en réalité une transmission du savoir », confie Philippe Walraet. Cette dernière toilette, qui respecte des gestes précis, est un soin à part entière réalisé dans le respect, l'exigence et la sécurité.