Pour en finir avec un tabou
Pour le docteur Claude Plassard, gériatre à l'Hôpital Châtillon-Montbard (Côte-d'Or) et consultant en sexologie, c'est clair. L'activité sexuelle ne connaît pas de limite d'âge et on peut tomber amoureux à 80 ans. Un homme reste un homme jusqu'à la fin de ses jours et regardera toujours un décolleté féminin avec attention. De leur côté, les femmes gardent une vie libidinale et leurs rêves érotiques perdurent tout au long de leur vie...
Comment expliquer alors qu'en EHPAD (Etablissement d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes), la sexualité des personnes âgées en reste un tabou, pour les soignants comme pour la famille des résidents ! Parce que peut-être, comme le suggère le Docteur Gérard Zwang, cofondateur de la Société Française de sexologie clinique, dans son livre " La fonction érotique " : " La décence publique ne veut pas donner à la sexualité une place au rang des valeurs ". Sans doute est-ce encore plus vrai quand il s'agit de corps vieux... " L'institution est encore dépersonnalisante et anti-sexuelle, renchérit Claude Plassard. Actuellement la structure EHPAD fait peu de choses pour les couples. Les lits de 80 cm de large, les matelas à air, les potences et les ridelles, les chambres qui ne ferment pas à clé,... Qui a jamais envisagé de faire changer de chambre pour faciliter les relations ? "
S'ajoutent à cela les réactions, souvent radicales, des familles devant une relation qui s'annonce. " Quand le père fait le Don juan, tout le monde sourit : Papa est resté vert !, poursuit en souriant le médecin-sexologue. Quand c'est la mère qui commence une relation, les choses sont moins simples. C'est difficile de voir sa mère redevenir amoureuse..." Pour beaucoup la mère très âgée ne peut être qu'une maman et en aucun cas une femme amoureuse et pleine de désir.
" Si on autorise le plaisir... "
Certains enfants acceptent les bisous mais pas plus... Les réactions peuvent cacher une problématique financière (et si une part de l'héritage allait au nouvel élu ?) ou une problématique personnelle. Le renouveau de la sexualité de leurs parents peut renvoyer les enfants à leur propre sexualité de couple : un tiers des couples de plus de 50 ans n'ont plus de vie sexuelle de couple... Et une bonne partie des autres connaît des troubles sexuels. De leur côté, les soignants ne savent comment faire face aux relations amoureuses et sexuelles des personnes âgées. Surtout quand ils sont jeunes. Quand on est jeune, on n'imagine pas les relations sexuelles de ses grands-parents, ni même celles de ses parents... D'autres moralisateurs. " Si on autorise le plaisir, plus personne ne voudra accepter les devoirs ", a dit un soignant...
Avec l'adaptation des locaux, la communication apparaît comme une des clés du problème. " L'avenir passe par le dialogue. D'un côté, rencontrer les familles, expliquer, dédramatiser, déculpabiliser... de l'autre former et informer les soignants, explique le médecin. Il faut d'abord préciser à tous ce qu'est que la sexualité quand le grand âge est là. D'abord cette sexualité est souvent solitaire : la masturbation est très fréquente. Quand elle se pratique en couple, elle évolue souvent vers la sensualité. La pénétration est moins fréquente, les caresses ont une grande part. Si le désir n'a pas d'âge, la tendresse n'en a pas non plus ! Les nouveaux couples se repèrent vite en EHPAD : ils se touchent, se prennent la main. Dans la jeunesse, c'est le désir qui suscite l'amour; avec la maturité, c'est l'amour qui génère le désir... "
L'amour donne du sens à la vie
Autre idée à faire passer, celle qui dit que l'intérêt pour la sexualité est dépendant de ce qu'il était antérieurement. Enfin il faut rappeler que l'amour donne du sens à la vie et est le meilleur des antidépresseurs. En d'autres termes, tout le monde devrait se réjouir lors du début d'une relation, voir féliciter les nouveaux amoureux.
Pour faciliter cette vie affective et sexuelle, il faudra aussi permettre aux personnes âgées d'exprimer leurs difficultés à un médecin attentif et respectueux. Les difficultés sexuelles sont responsables de souffrance, quel que soit l'âge et ils sont liés aux problèmes de santé générale. Entre angoisse de performance due à la nature masculine, pathologie cardio-vasculaire ou chirurgie prostate, période durable sans rapports, poids de l'éducation et handicap des préjugés pour les femmes, reprendre une vie sexuelle de couple peut être laborieux. La liste des dysfonctionnements sexuels comprend l'impuissance, les troubles de l'érection, les troubles de l'éjaculation, l'absence d'orgasme, les dyspareunies (douleurs ressenties par la femme lors des rapports sexuels),...
Enfin, dans un environnement collectif d'une part et où évoluent des personnes atteintes de troubles cognitifs, la liberté affective devra maintenant les limites de la vie civile : exhibitionnisme, perte de la pudeur, personne vulnérable non consentante. " Il faut protéger les gens vulnérables, les incapables majeurs, conclut le Docteur Claude Plassard. Une vieille dame désorientée pourra difficilement s'opposer à un homme plus fort qu'elle." Ce sera donc la seule limite à la sexualité en EHPAD.
Marie-Suzel Inzé
Mini CV Docteur Claude Plassard
Praticien Hospitalier - Gériatre
Responsable Pôle EHPAD de l'Hôpital Chatillon-Montbard (Côte d'Or)
Consultant en sexologie dans le cadre des consultations gérontologiques et dans le service cardio-vasculaire
Formateur en DIU de Psycho-Gériatrie (Bourgogne )
Formateur en Ile-de-France pour les médecins généralistes
Bibiographie
- Gérontologie préventive, sous la direction de C.Trivalle, Abrégés Masson
- Gériatrie et Gérontologie N°136 Juin 2007
- Gérontologie pour le praticien, Masson
- La fonction érotique, Gérard Zwang Robert Laffont, 1972
- Guide pratique de Psychogériatrie, Masson