Dans le n° 48-septembre 2014  -  Interview  4200

Pour un service public du grand âge : l'exemple de l'Essonne.

Il y a un an, au travers du SEGA, Service public essonnien du grand âge, le Conseil général de l'Essonne devenait le premier opérateur public du secteur des maisons de retraite. Avec un prix de journée en EHPAD de 60 euros en région parisienne Jérôme Guedj, initiateur du dispositif et président du Conseil général de l'Essonne, prouve que les politiques gérontologiques doivent compter avec le service public.

Comment le Conseil général de l'Essonne a-t-il décidé de devenir lui-même opérateur d'Ehpad publics ?

Avant d'être président du Conseil général de l'Essonne, j'en ai été vice-président, de 1998 à 2011. J'étais alors chargé des politiques sociales, dont celles destinées aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Parallèlement, en tant qu'inspecteur de l'IGAS, j'ai été saisi d'une mission d'étude sur la structure des coûts en Ehpad pour le compte de la secrétaire d'état aux personnes âgées de l'époque, Nora Berra.

L'idée est partie d'un constat. En Essonne, la part du secteur privé commercial atteint 50%, contre 30% pour les établissements non lucratifs et 20% pour les établissements publics. Cette situation atypique s'explique : le département est récent et en l'absence de grandes villes, il ne dispose pas d'anciens hospices. D'autre part, compte tenu du coût du foncier à Paris et dans la petite couronne, le privé s'est éloigné. En 2006, avant les appels à projet, nous voulions créer 2000 places. Les initiatives ne partaient que du secteur privé commercial ! Les hôpitaux étaient préoccupés par d'autres sujets que la rénovation ou la construction d'Ehpad et les communes ne voulaient pas financer. La part du secteur public allait encore régresser. En établissant le schéma départemental 2006-2011, j'ai donc fait figurer une étude sur la création d'un service public.

Et en 2009, nous avons travaillé sur l'ingénierie du projet avec la FEHP, qui avait un intérêt évident sur le sujet. Puis le SEGA, Service public essonnien du grand âge, est né. Il a fallu ensuite solliciter les communes de l'Essonne qui n'avaient pas d'Ehpad pour obtenir des terrains. Le premier établissement, l'EHPAD Geneviève Laroque, a ouvert en mai 2013 à Morangis, le second à Courcouronnes, dans la ville nouvelle d'Evry, en juin dernier.

Quel est votre objectif dans le projet SEGA ?

Je souhaite maintenir la diversité du choix et garantir l'accessibilité financière pour tous.

De nombreuses personnes âgées, issues des classes moyennes, me disaient ne pas avoir les ressources pour entrer en Ehpad. Le prix de journée du dernier Ehpad privé commercial ayant ouvert en Essonne est de 93 euros... Bien sûr, la situation est plus simple pour les autres catégories : les plus défavorisées sont aidées par l'aide sociale, les plus aisés ont les ressources pour financer l'établissement.

Comment le SEGA choisit-il ses implantations ?

Les projets portés par le SEGA répondent tous à une logique de territoire.

Pour Courcouronnes, il n'y avait pas d'Ehpad dans cette ville donc nous avons anticipé. Le troisième établissement sera construit aux Ulis. Cette ville était la plus grande du département à ne pas disposer d'Ehpad. Les deux prochains Ehpad sont prévus à Draveil et Dourdan, en 2017. A Draveil, le projet se fait en concertation avec l'hôpital de l'AP-HP, qui ferme des lits d'USLD. A Dourdan, il y a un enjeu de reconstruction dont l'hôpital ne pouvait pas se charger.

Comment obtient-on un prix de journée de 60 euros ?

Je précise d'entrée que nos établissements ne sont pas des Ehpad low-cost : il y a des rails lève-malades dans toutes les chambres, des espaces Snoezelen, à Morangis un cabinet de télémédecine _ dans le cadre d'une expérimentation de l'ARS _, des pièces climatisées ou rafraîchies. L'environnement est agréable : nous avons travaillé sur l'architecture, les couleurs...

Le prix de 60 euros vient de plusieurs éléments : il y a un fort niveau de subventions, des annualités d'emprunt basses... Les mairies nous ont donné les terrains, ou mis à disposition dans des conditions très favorables, donc nous ne reportons pas le prix du foncier sur le prix de journée. Un terrain pour un EHPAD en Essonne coûterait environ 1 million d'euros, soit 5 à 6 euros à ajouter au prix de journée. Nous misons également sur la mutualisation des fonctions support : ainsi l'EHPAD de Morangis partage son directeur, son responsable sécurité et des services techniques avec un établissement public de Palaiseau.

Le SEGA a-t-il fait école depuis sa création ?

Je suis convaincu qu'au-delà du sujet de l'accessibilité financière, la loi Autonomie va devoir se pencher sur le rôle du service public. La création de services publics est nécessaire. Cela ne coûte pas en budget de fonctionnement, seulement en budget d'investissement. De toute façon, c'est un choix : je préfère que le Conseil général subventionne des Ehpad plutôt que des ronds-points !

Les réactions des conseils généraux face au SEGA sont variées. Certains sont sceptiques car ils ne sont pas sûrs que les conseils généraux perdurent. Mais c'est justement pour cela qu'il faut agir, créer ! Cette initiative incarne l'action des conseils généraux sur la dépendance. Au début, les conseils généraux ne faisaient qu'accorder des autorisations. Ils sont ensuite devenus signataires des conventions tripartites et gestionnaires de l'APA. Aujourd'hui, une nouvelle opportunité s'offre à eux : devenir opérateurs. Certains conseils généraux le comprennent et viennent voir comment le SEGA fonctionne.

Quelles relations entretenez-vous avec le secteur privé commercial ?

Quand, en 2006 j'ai présenté le projet SEGA au congrès du Synerpa (Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées) à Toulouse, je me suis fait siffler! J'en ai reparlé à Marseille récemment et il y a certes toujours des incompréhensions, mais c'est désormais admis dans une logique de libre choix. Mon rêve serait de débaucher un jour des directeurs du privé commercial convaincus de la qualité de notre prise en charge. Le privé commercial a très souvent de très bons process, un management intelligent...

Quelle est l'étape suivante pour le SEGA ?

Nous avons créé un GCSMS (Groupement de coopération sociale et médico-sociale), qui se nomme "Les Etablissements publics de l'Essonne". Il regroupera les établissements du SEGA, les 9 Ehpad publics du département (FPT et FPH). Nous sommes dans une démarche de convergence.

Peut-on imaginer que le SEGA s'intéresse aux services à domicile ?

Je ne m'interdis pas de réfléchir à de nouvelles pistes pour les services à domicile ou les logements-foyers. Une des difficultés est que les petites structures ont du mal à fonctionner. Leur taille ne leur permet pas de supporter tous les coûts. Je vais également poursuivre la réflexion sur les EHPAD. Pourquoi ne pas imaginer des tarifications différentes selon les résidents ? C'est ce que fait le secteur de la petite enfance.

Je maintiens donc que le secteur public doit être innovant et que la construction de politiques gérontologiques a besoin de partenaires.

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