Privilégier les petites unités, créer un environnement sécuritaire et familier rapidement compréhensible par l'habitant, ou encore offrir des capacités d'interaction sociale sont quelques-uns des conseils à suivre dans le cadre de la rénovation, de la construction ou de la reconstruction d'EHPAD. Entretien avec Loïc Bertrand, Directeur de la société Khors.
Pour une conception au service de l'autonomie de la personne
Avant même de se lancer dans un projet de rénovation, construction ou reconstruction d'EHPAD, quels postulats doivent être posés au préalable ?
Plusieurs valeurs sont fondamentales, la première d'entre elles étant la domesticité. La personne doit retrouver dans l'EHPAD confort et sécurité. J'insiste sur la sécurité à l'heure où nombre d'établissements ont tendance à privilégier la sûreté et la recherche du zéro risque qui représentent malheureusement toujours une atteinte à la liberté. Ensuite, nous ne parlons plus de résident mais d'habitant car cette notion traduit davantage l'appropriation de l'espace de vie. Le troisième élément fondamental est la liberté. En EHPAD, il est difficile de manger ou de se lever quand on le souhaite. L'objectif doit donc être d'optimiser les espaces de liberté. D'une façon plus générale, nous conseillons de réduire à 10 ou 12 le nombre d'habitants par unités de vie et de minimiser les espaces de circulation pour maximiser l'espace domiciliaire.
Comment ces valeurs se traduisent-elles dans un projet architectural ?
Il faut d'abord penser le « structurel », par exemple en bannissant les pièces sans usage clair et défini ou multi-usages, de même que par exemple le terme « salon d'étage ». Qui propose aujourd'hui à sa famille de se retrouver dans « le salon d'étage » ? Nous réalisons donc une analyse de l'usage de l'espace, pour que chacun des futurs environnements et leur usage soient immédiatement compris par les habitants, y compris s'ils ont des troubles cognitifs. Notre réflexion s'articule autour du triangle Khors. A chacune des pointes figurent les soignants, les habitants et les familles. Traditionnellement, le secteur public privilégie les besoins des soignants, le secteur privé, ceux des familles et le secteur privé non lucratif, ceux de la personne âgée. Aucun de ces trois choix n'est le bon. Notre méthode consiste à passer les besoins de l'ensemble des acteurs au crible de ce triangle afin de ramener au maximum l'équilibre vers le barycentre, tout en respectant l'ADN de l'EHPAD et ses choix.
Comment cette méthode s'applique-t-elle aux travaux de second oeuvre ?
Tous les choix doivent être effectués en fonction de deux objectifs : la désinstitutionnalisation - l'aspect domestique - et la démédicalisation. Nous allons donc opter pour une maximisation des lumières naturelles ou encore pour des sols matifiés non brillants, mieux adaptés aux personnes souffrant par exemple d'hallucinations. Autre aspect fondamental, l'environnement doit présenter le maximum d'aspects sensoriels pour prévenir le déclin cognitif : la lumière doit être naturelle et homogène, les matériaux ne doivent être ni trop râpeux, ni trop lisses, l'espace acoustique doit préserver les échos de la vie, les aspects thermiques le déroulement des saisons, etc. Il faut aussi éviter les couleurs vives dans les étages car personne n'a pas envie de vivre dans le vert pomme ou le jaune !
Et qu'en est-il de l'aménagement ?
Il convient là encore de respecter les besoins physiques de la personne tout en évitant un mobilier trop institutionnel. L'autre point fondamental est le soutien à l'autonomie : l'habitant doit pouvoir continuer à faire seul des actions du quotidien. Les offices doivent par exemple rester accessibles pour qu'il puisse se servir un verre d'eau seul s'il a soif. La signalétique, directe et indirecte, doit également faire l'objet d'une grande attention. Nous conseillons par exemple des panneaux muraux multi-visuels : à l'appellation « restaurant », pourquoi ne pas associer un pictogramme et une photo pour rendre le lieu compréhensible par tous ? Je déconseille également le recours au tout technologique. Les solutions utilisées doivent avoir une utilité précise : cacher les détecteurs de chutes pour démédicaliser l'environnement, permettre des diffusions olfactives pour stimuler l'appétence ou recaler le cycle circadien, recourir à la télévision pour dialoguer avec les proches, etc.
Comment organiser la participation des soignants et des habitants à l'élaboration de ce lieu de travail et de vie ?
Nous préconisons de commencer à travailler sur des pré-projets avant de les soumettre aux soignants, puis aux habitants. Les soignants doivent être associés par exemple sur les aspects structurels, notamment sur le nombre et la capacité des espaces de stockage ou l'équipement en rails de transferts par exemple. S'agissant du second oeuvre et de l'aménagement, après les premiers jets, il faut identifier des représentants, habitants et professionnels, et travailler avec eux afin que le volume d'information reste traitable et ne génère pas de frustration sur le rendu une fois le projet finalisé.