Dans le n° 2-novembre 2010  -  Régis Aubry  156

Pour une culture de fin de vie

Créé en février 2010, l'Observatoire National de la fin de vie dispose de cinq ans pour éclairer l'opinion publique et les décideurs sur les questions touchant à la fin de vie. Pour le Docteur Régis Aubry, président de l'Observatoire, et l'équipe de chercheurs recrutée récemment, les travaux menés par l'observatoire doivent fournir au débat public et aux discussions parlementaires des données objectives, afin d'aborder sereinement un débat encore trop souvent dominé par l'émotion.

Régis Aubry est professeur associé de soins palliatifs, et responsable du département douleur-soins palliatifs du CHU de Besançon. Coordinateur du Programme national de développement des soins palliatifs 2008-2012, il préside également le tout nouvel " Observatoire national de la fin de vie ".

Quels sont aujourd'hui les principaux enjeux de la fin de vie ?

Les progrès considérables observés ces trente dernières années dans le domaine de la santé et de la médecine ont paradoxalement généré des formes inédites de vulnérabilité : le vieillissement de la population et la transformation de maladies aigues ou subaigües en maladies chroniques imposent aujourd'hui de penser différemment la question de la fin de vie, de ne plus la réduire à la question de la mort. En effet, nombreux sont ceux qui, aujourd'hui, survivent avec les conséquences d'une affection cancéreuse, neuro-dégénérative ou cardio-vasculaire dont la médecine ne parvient qu'à ralentir l'évolution. Il est donc indispensable d'étendre le champ de la " démarche palliative " à l'ensemble des prises en charge, afin d'offrir à chaque personne dont l'état le requiert un accompagnement adapté à ses besoins et à ceux de ses proches. Des efforts conséquents ont été réalisés ces deux dernières années. Le Programme national de développement des soins palliatifs 2008-2012 que je coordonne vise en premier lieu à structurer une offre de soins et de prise en charge graduée, et à diffuser la démarche palliative dans les services de soins non-spécialisés et dans les établissements médicosociaux. L'intervention des équipes mobiles ou des réseaux de soins palliatifs dans les EHPAD représente ainsi de mon point de vue un levier formidable pour développer et valoriser les compétences des équipes soignantes confrontées au quotidien aux difficultés non seulement cliniques mais aussi (et peut-être surtout) éthiques de la fin de vie. Aujourd'hui, et demain plus encore, l'enjeu est avant tout celui du management des pratiques. Décideurs, chefs d'établissements et coordinateurs sont en effet confrontés à un défi majeur : il leur faut désormais amener les équipes à construire du sens autour de l'activité qu'elles déploient aux frontières de la vie, dans un contexte où les progrès de la médecine ont paradoxalement largement accru la complexité des prises en charge

Comment est né l'Observatoire national de la fin de vie ?

La mission d'évaluation de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, présidée par le député Jean Leonetti, a mis en évidence deux constats qui ont conduit à préconiser la création d'un " Observatoire national de la fin de vie ". Le premier constat est celui l'insuffisante connaissance par les acteurs de santé des dispositions relatives aux droits des malades, et notamment celles consacrées aux décisions de limitation et d'arrêt des traitements. Le second, quant à lui, concerne l'absence de données objectives et fiables destinées à éclairer les politiques publiques autour des problématiques liées à la fin de vie. Alors que le champ de la santé est largement investi par l'" evidence-based medecine " (ou médecine fondée sur les preuves) et par une forte rationalisation des décisions publiques, les projets de textes relatifs à la fin de vie restent pour l'essentiel fondés sur des convictions personnelles et sur une dimension éminemment émotionnelle. Deux notions évidemment peu compatibles avec la rigueur nécessaire à la construction d'une politique de santé... ! On m'a donc confié, outre la mise en oeuvre du Programme national de développement des soins palliatifs 2008-2012, la mise en place des recommandations issues de la mission Leonetti, au premier rang desquelles la création d'un Observatoire national de la fin de vie.

Quelles sont les missions de cet Observatoire ?

Officiellement créé en février 2010 et effectivement mis en place en juin, l'Observatoire national de la fin de vie est composé de sept chercheurs. Quatre missions lui ont été confiées :

- établir un état des connaissances sur les conditions de la fin de vie et sur les pratiques d'accompagnement qui y sont liées

- apporter au débat public des données objectives fiables quant à la réalité des situations de fin de vie en France

- éclairer les choix réalisés en matière de politiques sanitaires et sociales

- promouvoir les projets de recherche consacrés à la fin de vie, notamment en sciences humaines et sociales, et de structurer les échanges scientifiques grâce à l'organisation de rencontres avec les différentes équipes de recherche françaises et étrangères.

L'Observatoire travaillera également à la valorisation des données existantes. En France, il arrive souvent que d'excellents travaux restent dans l'ombre. Je pense par exemple à une étude ethnographique de la population des EHPAD menée en 2006-2007 à l'initiative du Centre d'Analyse Stratégique : elle n'a jamais été valorisée auprès des professionnels ! L'extrême complexité des évolutions démographiques, épidémiologiques et sociales que nous connaissons impose que les données dont nous disposons soient portées à la connaissance des acteurs qui conduisent une démarche stratégique dans le champ des politiques du grand âge et du handicap : les conseils généraux et les agences régionales de santé bien sûr, mais aussi les directeurs d'établissements, dont la capacité à anticiper les besoins et à construire un projet stratégique en termes de " santé publique " est plus que jamais essentielle.

Comment un EHPAD peut-il exploiter ces données ?

Prenons un exemple. L'Observatoire va s'attacher à évaluer, à domicile et dans les établissements, la population requérante en soins palliatifs, selon les différents degrés de prise en charge que cela recouvre : ces données seront particulièrement utiles aux directeurs d'EHPAD pour projeter leur activité à moyen terme sur leur territoire de ressort. Je vous donne un autre exemple : l'Observatoire est chargé de piloter l'évaluation d'une expérimentation destinée à mettre en lumière la plus-value d'une présence infirmière la nuit sur la qualité de prise en charge des résidents en fin de vie. Enfin, d'une façon générale, l'Observatoire peut aider les associations de directeurs ou les groupements d'EHPAD pour leur apporter une aide méthodologique lorsqu'ils souhaitent mener des études, valoriser les travaux qui ont trait à la fin de vie en établissement, ou encore accompagner l'organisation d'une journée de réflexion de sur cette thématique, etc.

La fin de vie dans les EHPAD est d'abord une confrontation quotidienne...

Les EHPAD sont des lieux de vie, et la fin de vie est une période de la vie. Or les équipes de soin sont en prise avec des situations cliniques, sociales et psychologiques de plus en plus complexes, qui nécessitent une approche éthique à laquelle elles n'ont pas toujours été sensibilisées. Je crois qu'en définitive, le plus important c'est bien d'accompagner les professionnels dans le développement de leurs compétences, et de reconnaître la qualité du travail qu'ils accomplissent au quotidien. A priori, toute décision est acceptable si elle est construite collégialement et de façon pluridisciplinaire au sein de l'équipe, si elle associe le patient et ses proches, et surtout si elle a du " sens " pour ces trois protagonistes (patient, proches et soignants). Les équipes ne sont pas encore sereines sur ces sujets et c'est compréhensible : la fin de vie est un sujet abordé depuis peu dans les écoles d'infirmières, la sociologie est encore optionnelle en médecine, et le sujet commence tout juste à être abordé dans les formations de type D3S (Directeur d'établissements sanitaires, sociaux et medico-sociaux) ) ou CAFDES (Certificat d'Aptitude aux Fonctions de Directeur d'Etablissement ou de Service d'intervention sociale). Dans des établissements marqués par le turn-over et l'épuisement psychologique des professionnels, amener les équipes soignantes à s'interroger davantage sur le sens des décisions qu'elles construisent constitue sans doute l'un des principaux enjeux du management de demain. Dans une société rassurée par 50 ans de progrès considérables dans le champ de la santé, les personnes atteintes d'une maladie ou d'une incapacité qui met en jeu le pouvoir curatif de la médecine rappellent la fragilité et la finitude de l'existence humaine. C'est cette vulnérabilité que nous devons protéger. Simone Weil écrivait il y a quinze ans ces mots qui n'ont pas perdu leur pertinence : " la vulnérabilité des choses précieuses est belle parce que la vulnérabilité est une marque d'existence ".

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