Dans notre chronique précédente, je m'étais arrêté sur la tentation de valoriser les aidants comme une manière d'organiser et de légitimer la réduction du rôle de l'État. Les aidants de proche apparaissant alors comme des supplétifs de la solidarité et de la santé publique qui permettent au système de soin de se maintenir sans se remettre en question.
Pour une éthique concrète de la sollicitude
Le care, l'éthique de sollicitude se retrouvent détournées comme politique globale du soin et de l'accompagnement dont l'efficience justifie et favorise le recul de l'État. On mettra le curseur sur la morale individuelle, sur la responsabilité d'individus qui seraient autonomes par rapport à leur environnement. C'est un peu la démarche de conservatisme compassionnel développé en particulier par une partie des conservateurs britanniques.
Il y a une autre lecture du care, que se relie au solidarisme, doctrine sociale initiée par Léon Bourgois et d'autres à la fin du XIXe. Il s'agit là d'inscrire la solidarité dans le concret, en partant de la société civile plutôt que de directives venues d'en haut. L'objectif des solidaristes était déjà de permettre à chacun de faire son chemin. Une société n'est pas l'agrégat de volontés autonomes mais se définie par le sentiment d'interdépendance entre les personnes. Dans ce cadre, le soin mutuel prend son sens. Il faut donc que l'État soit présent pour construire des filières valorisées autour des métiers du soin, cela implique des efforts de formation et déroulé de carrière et de renforcer le nombre d'intervenants professionnels, mais aussi de mettre des moyens pour accompagner les professionnels comme les aidants informels, pour réaliser des plates-formes de soin (Centres de la santé où les professionnels du soin travaillent ensemble et de manière transversale en privilégiant l'accompagnement et le suivi, hôpitaux, lieux d'accueil et de soutien à la petite enfance, aux très âgés, aux handicapés, aux fragiles...), pour construire et valoriser les filières autour des services à la personne. Un des enjeux majeurs est de sortir d'une logique de financement à l'acte pour aller vers une rémunération du suivi sur la durée. C'est-à-dire d'intégrer l'accompagnement médical qui inclut l'écoute et le conseil, l'éducation thérapeutique...
Il importe donc de mettre en place une véritable stratégie de santé publique accompagnant les aidants. Si la Loi d'adaptation de la société au vieillissement porte pour la première fois des avancées et surtout une prise de conscience, elle n'est pas à la hauteur des enjeux. De fait elle reconnaît le rôle des aidants et ouvre à des droits spécifiques. En particulier, elle permet, mais de manière bien trop limitée, d'instaurer un droit au répit pour les aidants. Le soutien aux aidants passe par la possibilité pour ces derniers d'avoir du temps pour soi, pour respirer, pour penser... Le projet de Maison du répit à Lyon, porté par la Fondation France Répit, les initiatives prises par certaines collectivités comme le Conseil Départemental du Nord-Pas-de-Calais, montrent que la solidarité de proximité prend largement le relais de l'État. Ces initiatives proviennent de collectivités territoriales mais aussi et surtout d'associations, d'entreprises ou encore de collectifs informels. Cette société civile produit de la solidarité concrète, s'organise, s'autonomise par rapport à un État trop gras, trop peu efficient, trop loin...
Pour autant, il ne s'agit pas que ce dernier se lave les mains de la situation, en profite pour laisser les individus, les familles en particulier, agir seuls. C'est à la collectivité nationale de soutenir un cadre, de proposer une vision, de procéder à des choix et des arbitrages financiers pour, par exemple, démultiplier les Maisons des aidants, renforcer le nombre et la formation des intervenants professionnels, d'instaurer un réel droit de compensation sociale pour les aidants en activité professionnelle, de développer des mesures fiscales ou administratives favorisant la vie quotidienne des aidants... C'est une Loi d'adaptation de la santé à la longévité qu'il faudrait inventer...