Dans le n° 101-février 2019  - Gilets jaunes, Gilets gris  10316

Pourquoi les gilets gris ? Du côté de la puissance de l'oubli

Une des caractéristiques du mouvement des Gilets Jaunes de 2018-2019, qui restera dans les annales politiques et sociales du pays, tient à la forte présence sur les carrefours, ronds-points et dans les manifestations de femmes seules, de seniors et de retraités. Il y a aussi une représentation très significative et inhabituelle de femmes exerçant un métier du soin et de l'accompagnement des plus fragiles (aînés, enfants, personnes en situation de handicap...). Le plus souvent ces personnes qui manifestent, prennent la parole sur les ronds-points, discutent et témoignent, n'étaient jamais descendues dans la rue.

Une large partie de ces personnes, anonymes et sans voix, ont, souvent pour la première fois de leur vie, pu rencontrer d'autres gens, échanger, découvrir les joies de la convivialité et de l'échange. Petit air de fête qui explique aussi pourquoi, il est ensuite si difficile de revenir à une vie plus banale. Juste avant Mai 68, l'éditorialiste du quotidien Le Monde , Pierre Viansson-Ponté , avait publié un papier intitulé « La France s'ennuie ». L'article restera célèbre pour avoir à sa façon annoncé le mouvement de Mai 68. Il avait montré qu'au-delà de la consommation, le besoin de sens et de perspectives touchait une large partie de la société.

La perte de liens sociaux

Or, au-delà des questions de pouvoirs d'achat, de sentiment d'être pris pour les dindons de la farce, de se vivre comme invisible et négligé, de se sentir sans aucune prise sur son destin individuel comme collectif, de souffrir d'un manque évident de reconnaissance, il faut aussi rechercher du côté de la puissance de l'oubli. L'un des ressorts du mouvement des Gilets Jaunes s'explique par cela aussi : des femmes seules, des seniors esseulés, des quadras qui n'invitent personne chez eux, des quinquas qui n'ont que la télévision comme compagnie... La France périphérique souffre du manque de services publics mais aussi de lieux de loisirs et de culture et surtout de lien social.

Mépris pour une génération

Bien sûr cette proportion inhabituelle de gilets gris s'explique largement par la hausse de la CSG pour les retraités y compris modestes et l'abandon de l'indexation des retraites sur l'inflation alors que cette dernière repart à la hausse. Mais le discours qui fut associé à ces décisions, était encore plus insupportable car il s'agissait d'un mélange de mépris pour la « génération dorée », d'ignorance du rôle des retraités dans la consommation, les solidarités familiales et le lien social, via en particulier leur implication dans le tissu associatif et le bénévolat de proximité, et de volonté d'associer la retraite à un privilège.

Dernière chose : dans le cadre du « grand débat », le gouvernement a présenté la répartition des dépenses publiques. On découvre avec stupeur que les retraites représentent 46,6% du total des dépenses sociales ! Le message est clair : les retraités bénéficient beaucoup de la solidarité... Sauf que la présentation « oublie » que les retraités ont cotisé en amont et que dans d'autres pays, le niveau est moindre car la part de capitalisation individuelle est plus forte. Le mauvais procès fait aux retraités ne semble pas devoir cesser de sitôt...

Serge Guérin

Sociologue. Professeur à l'INSEEC. Co-auteur de La guerre des générations aura-t-elle lieu ?, Calmann-Lévy, 2017 et de La Silver économie, La Charte, 2018.

01/10/2024  - Ce qui se voit...

Luxe, calme et propreté

S'il est bien une condition indispensable au bon fonctionnement des Ehpad, c'est à n'en pas douter l'hygiène des locaux. Nettoyage, bionettoyage, hygiène du linge... Les consignes et protocoles ne manquent pas pour assurer l'organisation et l'évaluation de ces tâches quotidiennes. Et pourtant, ce travail reste invisible. Ou plutôt, il n'est visible que quand il n'est pas fait. Paradoxe ?
01/10/2024  - Billet

Les vieux aussi !

Serge Guérin me pardonnera de paraphraser le titre de son dernier ouvrage en date* pour titrer mon billet. Vous l'avez lu ou en connaissez le thème : bousculer les idées reçues sur le désintérêt des « vieux » en matière de gestes écologiques et solidaires. Tribune pour répondre à ceux qui pensent que ces générations issues de la deuxième guerre mondiale et des années cinquante ont abusé des trente glorieuses et se moquent des incidences climatiques et générationnelles futures. Elles pourraient pourtant donner des leçons d'économies à beaucoup en matière d'eau, de déchets et de courage. Une anecdote a fini de me convaincre. Récemment par une belle journée je me dirigeais vers la déchetterie suite à des travaux de jardin et je vis sur le bord de la route une personne âgée, courbée et tirant deux chariots utilisés pour les courses. Je me fis la remarque du courage de cette personne sachant que le commerçant le plus proche était à bonne distance. Sur la route de mon retour, je la revis. Quelle ne fut pas ma surprise de constater qu'en fait cette dame âgée ramassait des deux bords de la route les déchets que les « clients » de la déchetterie laissaient tomber de leurs remorques en roulant. Je ralentis pour en avoir la certitude et raconter ce vécu à l'ami Serge. Plus encore, je décidais en ces temps riches d'à priori primaires d'en faire le thème de ce billet. Méfions-nous de ces raccourcis trop faciles. Oui, les vieux « aussi » sont sensibles à ces sujets qui mobilisent beaucoup de jeunes, à juste titre. Gardons-nous de ces clichés clivants. Demain ne pourra se construire qu'en faisant société, intelligemment, avec tolérance et respect. Et dès lors, même si mon propos est naïf, il fera bon vivre ensemble. ...
01/07/2024  - Billet

La victoire appartient au plus opiniâtre

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01/06/2024  - Toucher

Découvrir le corps

Toucher des corps qui ne sont ni les nôtres ni ceux des proches aimés. Les couvrir et les découvrir, au gré des soins et des besoins de chacun. Les toucher avec pudeur et respect, dans l'intimité d'une chambre. C'est notre quotidien de soignants, qui prenons soin de ceux qui ont besoin d'assistance pour les actes simples de la vie.
01/06/2024  - Partie I

Virage domiciliaire: Les risques du tête à queue...

Le « virage domiciliaire » est une formule qui sent bon la novlangue administrative et le poncif bureaucratique. Voici des années que ce virage est annoncé, que de nombreuses caravanes publicitaires stationnent sur les aires d'autoroute de la seniorisation... Pour autant, le bilan est maigre.
16/05/2024  - Billet

Éloge du temps

Le débat sur la fin de vie est en cours. Tel un marqueur politique nécessaire, il a été décidé d'en accélérer la réflexion. Il est vrai que le sujet est plus que sensible car on le constate déjà, la sémantique le dispute au fond. On évoque un « modèle français », qui de mon point de vue sera difficile non seulement à construire mais aussi à mettre en oeuvre. Il a été dit qu'il fallait donner du temps au temps. Et cette formule est reprise bien souvent et complaisamment. Sans vouloir procrastiner, car il est légitime qu'une société évolue, j'ai pour autant l'humilité de penser que notre pays est assez enclin à légiférer et « sur-légiférer » sans s'assurer de la réelle application des lois déjà votées. Un consensus se dégage ainsi pour affirmer qu'en matière de fin de vie, la douleur est le facteur essentiel. Et que le nombre de places en soins palliatifs est non seulement insuffisant mais géographiquement injuste. Le sujet presque tabou est difficilement évoqué. Triste constat. La loi Claeys-Leonetti est incomprise, souvent non mise en oeuvre. Elle correspond pourtant à un encadrement important et nécessaire de ces moments si difficiles. ...
01/05/2024  - Billet

Marqueurs de bienveillance

Les débats sur la loi « Bien vieillir » agitent les acteurs du secteur médico-social. Le grand public est plus préoccupé par d'autres sujets sociétaux, anxiogènes et médiatiquement plus à la « une ». Encore une fois, le grand âge est victime du syndrome de l'indifférence et d'un manque de volonté politique face au mur qui se rapproche de plus en plus. C'est un combat permanent, lassant, décourageant souvent, mais essentiel cependant selon le terme si employé lors de la récente pandémie. ...
01/05/2024  - Partie IV

Pas de société de la longévité sans volonté de valoriser les métiers du care

Pour poursuivre notre série sur la valorisation des métiers du care, évoquons les initiatives visant à améliorer très concrètement le quotidien des femmes et des hommes (surtout des femmes) qui travaillent auprès des plus fragiles.
01/05/2024  - Chronique

Et si on arrêtait de cacher les vieux?

La France des vieux, c'est la France du passé, la France d'hier. Place aux jeunes, à la modernité et à l'innovation digitale ! Bien entendu, je ne suis pas sérieux... Je vous imagine déjà sursauter...