Il est difficile de vivre pleinement sa vie amoureuse en Ehpad. Le besoin d'intimité, pourtant essentiel à l'équilibre de tout individu, reste insuffisamment considéré par l'établissement ou les familles qui s'octroient parfois un droit de regard abusif.
Préserver l'intimité des résidents
Des papillons dans le ventre, des confidences, des caresses, des enlacements, le simple bonheur d'être ensemble... Il n'y a pas d'âge pour aimer, et les besoins d'attachement, d'affection et d'amour ne disparaissent pas avec le temps. Quand on est âgé, « qu'il s'agisse de se tenir par la main, de s'embrasser, de dormir ensemble ou d'avoir des relations intimes, la proximité physique, corporelle, reste très importante », souligne le philosophe et éthicien Fabrice Gzil, directeur adjoint de l'Espace de réflexion éthique d'Île-de-France, dans le rapport des Petites Frères des Pauvres « Vie affective, intime et sexuelle des personnes âgées » paru en 2022[1].
C'est aussi ce que rappelle la Charte éthique et accompagnement du grand âge[2] qu'il a coordonnée en 2021, suscitant un vif intérêt dans le secteur. « Quels que soient notre âge et nos capacités, nous avons besoin de voir les personnes que nous aimons, de passer du temps avec elles, de les toucher, les prendre dans nos bras, d'être touchés », et ceci y compris en collectivité où « il doit être possible de s'isoler ou de profiter de moments avec les personnes de son choix. »
Comment faire alors pour garantir aux résidents cette vie affective et sexuelle essentielle à leur équilibre ?
La tendresse et la sexualité en Ehpad sont des sujets difficiles pour les équipes qui les considèrent encore davantage comme une problématique à résoudre plutôt qu'un élément constitutif de l'individu. En manque de formation appropriée ou de communication précise de la part de la direction de l'établissement, elles ne savent souvent pas comment se comporter ni quelle attitude adopter.
Définir le cadre de l'intimité en Ehpad
Le règlement intérieur d'un Ehpad n'interdit pas les relations sexuelles, mais ce sujet n'est souvent pas abordé avec les nouveaux arrivants et leurs familles. « Il est important de mettre des mots dès la visite d'admission, d'expliquer que le résident est libre, notamment d'avoir une vie sexuelle s'il le désire », souligne Carole Matz, directrice de l'Ehpad Le Grand Pré (groupe associatif ACPPA) dans les Bouches-du-Rhône. « D'ailleurs si la personne est consentante, on n'a pas à intervenir dans sa vie privée. Cela ne nous concerne pas. »
Reste que beaucoup de familles ne voient pas les choses ainsi. Certaines pensent qu'elles ont un droit de regard sur la vie sentimentale de leur parent âgé, et s'attendent à ce que l'équipe de l'Ehpad les tiennent informées. Certaines directions acceptent de le faire. « Les directeurs n'expliquent parfois pas à ces "enfants", qui payent la prestation pour leur parent, que l'Ehpad est un lieu de vie, soucieux du respect de l'intime », déplore Aurélie Lieuchy, formatrice spécialisée dans le grand âge, consultante du Cabinet TLC. Cela peut aller très loin. « Certaines familles exigent parfois des soignants qu'ils interdisent à leur parent de développer une relation de couple avec un autre résident » lit-on dans la note de cadrage de la Haute Autorité de santé[3].
Respecter l'intimité
Selon le rapport publié en mai 2021 sur « Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad[4] », de nombreuses saisines adressées au Défenseur des droits « portent sur de fréquentes atteintes à l'intimité et à la dignité des résidents comme, par exemple, l'impossibilité pour le résident de fermer sa chambre à clé. »
L'Ehpad Le Grand Pré a trouvé une solution pour ses couples d'amoureux : ils accrochent un panneau « Ne pas déranger » sur leur porte. C'est aussi ce que préconise la formatrice Aurélie Lieuchy. Quant à savoir si cela risque d'attirer l'attention des autres résidents, elle balaye le sujet d'un revers de la main : « Les autres résidents n'en ont rien à faire ! Cela éveille plutôt la curiosité du personnel. »
Pour l'instant, les chambres doubles ne sont pas privilégiées par les couples. Quant aux lits doubles médicalisés, ils peinent à se développer en France où « le système repose sur la vision d'une personne âgée célibataire, seule dans son lit et dans sa chambre », remarque Marick Fèvre, chargée de mission à la Fédération nationale d'éducation et de promotion de la santé.
Vérifier le consentement
« Nous sommes dans l'obligation de protéger tous les résidents, rappelle Carole Matz, directrice d'Ehpad. Selon l'état cognitif et moral de la personne, la question du consentement peut légitimement se poser. D'où l'importance de former les équipes, pour leur permettre d'analyser finement les situations. » Les troubles cognitifs modifient le discernement et accentuent le risque de relation non consentie. Quand il est impossible d'aborder directement le sujet avec la personne, les équipes doivent être capables d'observer les impacts positifs comme les comportements d'alerte (prostration, agressivité, repli sur soi, tentative de suicide).
Se former : l'exemple de Grey Pride Bienvenue
Depuis une dizaine d'années, les Ehpad proposent des actions de sensibilisation ou de formation sur la vie affective et intime des résidents ou le respect de leur vie privée. Mais elles ne concernent souvent qu'une partie du personnel, soumis par ailleurs à un fort turnover. Il est ainsi rare que la totalité des personnels d'un établissement soit formée (cadres dirigeants compris).
Parmi les dernières initiatives, on peut noter celle de l'association Grey Pride qui développe une formation/charte GreyPride Bienvenue, avec l'organisme de formation TLC Conseil. Il s'agit aussi d'accompagner les représentations des personnes âgées sur leur corps et leur désir, ainsi que celles des soignants et des familles pour, progressivement, lever les tabous.