Lors des 40è journées annuelles de la SFGG, le 16 décembre 2020, Delphine Dupré-Lévêque est intervenue sur le thème de la prise en soins des aidants. En voici une synthèse pour les lecteurs de Géroscopie.
Prise en soins des aidants : entre nature et culture
Un point de vue anthropologique
Aujourd'hui en France, environ 8,5 millions de personnes accompagnent au quotidien un proche fragilisé, dont plus de la moitié sont des personnes âgées.
Pendant longtemps, ces « aidants » sont restés invisibles, confinés dans la sphère de l'intime. Pourtant, dès les années 1990, de nombreuses études sociodémographiques et anthropologiques ont observé une évolution des structures familiales. Allongement de la durée de vie, départ tardif des enfants (décohabitation tardive), hausse des divorces, des familles monoparentales, et ce dans toute l'Europe, sont autant de bouleversements sociétaux qui, dans un contexte de vieillissement de la population et de crise économique, ont conduit les chercheurs à s'interroger sur le rôle des solidarités familiales et les risques pour notre système de protection sociale.
Claudine Attias-Donfut (Caisse nationale d'assurance vieillesse) a mené en 1995 une étude qui fait aujourd'hui référence, sur la solidarité familiale en France. Elle y montre que chaque génération apporte une aide spécifique et distincte, mais que la génération des 49-53 ans (génération pivot) aide plus qu'elle ne reçoit. Cette étude analyse aussi la nature de l'aide par génération, le sexe et la catégorie socio-professionnelle.
Des aides multiformes
Sans détailler l'ensemble des éléments, on observe que les aides prennent des formes diverses. Elles peuvent être d'ordre financier (des plus âgés vers les plus jeunes) ou en nature. Les aides en nature concernent surtout le bricolage et le jardinage qui sont plutôt l'apanage des hommes alors que les femmes s'occupent surtout du ménage, de l'entretien du linge, des repas, des courses, des soins à la personne et de la garde des petits-enfants. En revanche, les aides administratives sont réalisées par les hommes comme par les femmes. On note aussi que l'ensemble de ces aides évoluent dès lors que la famille passe de 3 à 4 générations.
Les grands-parents consacrent beaucoup de temps à leurs petits-enfants (53 % des grands-pères, 64 % des grands-mères). Pour autant, ces nouveaux grands-parents n'abandonnent pas leurs parents âgés, lorsqu'ils deviennent arrières-grands-parents. Aide au bricolage, jardinage, tâches administratives diminuent mais l'aide au ménage et aux courses se maintient. L'aide au soin en santé diminue légèrement mais plus d'une femme sur trois (de la génération intermédiaire et désormais grand-mère) assume régulièrement ce soutien aux plus âgés.
La nature et la densité des aides diffèrent selon les CSP. Ainsi, 94 % des ouvriers et agriculteurs apportent une aide matérielle à leurs parents âgés alors que les aides financières sont faibles. Les soutiens financiers sont plus importants chez les cadres mais l'aide matérielle y est aussi la plus faible.
Si cette étude confirme que les solidarités familiales persistent et restent denses, il est important, dès lors qu'on s'intéresse aux aidants, de considérer la spécificité de leur parcours de vie, tant familial que professionnel, comme de leur culture familiale.
Des disparités culturelles
Les recherches en anthropologie de la famille permettent d'aller encore plus loin dans l'analyse de ces différences, y compris au sein même de l'hexagone. Dans le Sud-Ouest de la France, prédomine le modèle familial dénommé modèle « famille-souche », qui impose plus que partout ailleurs une cohabitation intergénérationnelle pour la prise en soins des aînés. Ces traditions « obligations » se transmettent de générations en générations et même si elles ne se matérialisent plus de la même manière (pas de cohabitation intergénérationnelle systématique), les personnes issues de cette culture familiale gardent, encore aujourd'hui, un engagement symbolique traditionnel.
Une étude sur les cohabitations intergénérationnelles basée sur une analyse comparative France-Espagne, réalisée en 2012 par l'Ined, met en évidence le fait que dans le Sud-Ouest et en Corse, et particulièrement en milieu rural, la corésidence avec une personne âgée perdure.
En un siècle, c'est la durée de cette cohabitation qui a le plus évolué. Même si en théorie 3 à 4 générations, notamment dans le cadre des familles-souches, pouvaient vivre sous le même toit, les espérances de vie permettaient rarement de dépasser trois générations. Il n'y avait souvent qu'un vieux parent survivant et la cohabitation intergénérationnelle ne durait pas. Ces situations restaient exceptionnelles. Aujourd'hui, ces cohabitations concernent deux générations de retraités. Les enfants aidants ont 70 ans et leurs parents aidés souvent plus de 90 ans.
Les cultures familiales sont-elles un gage de qualité de l'aide ?
L'étude réalisée par Élodie Alberola et Jörg Müller (Crédoc, octobre 2020), « Aider un proche : une situation à risque », s'intéresse à la perception du vécu de celui que l'on reconnaît et dénomme comme l'aidant. Elle montre que de nombreux facteurs entrent en ligne de compte. Qui est la personne aidée ? A quelle fréquence, et pour quelles activités ? A quels degrés et par qui suis-je moi-même aidé ? Enfin, l'aide est-elle toujours vécue comme un fardeau ou peut-elle être vécue positivement ?
Selon cette étude, une large majorité des aidants vit plutôt bien ce rôle. Un aidant sur trois estime que cette relation l'a rapproché de la personne aidée. Malgré tout, pour certains, cette aide a un impact sur la vie professionnelle, la vie de couple, la vie de famille au sens large, dans sa relation avec ses enfants. Le rôle de la fratrie est très peu étudié. Pourtant le fait d'avoir ou non des enfants et leur nombre a un impact déterminant sur les conditions du maintien à domicile des personnes âgées. Une proportion importante de personnes âgées n'ayant pas ou plus d'enfant vit en Ehpad. Il semblerait à l'inverse que le fait d'avoir 2 enfants vivants est un facteur « protecteur de l'entrée en établissement ». Les travaux conduits il y a quelques années montraient que les enfants, s'ils ne sont que deux, arrivent à s'entendre et à se répartir mieux les aides pour un meilleur équilibre sur la durée.
Selon le Crédoc, un aidant sur cinq est dans une relation conflictuelle avec un autre aidant au moment de prendre des décisions, comme l'intervention d'un tiers ou l'entrée dans un établissement. Ces conflits interviennent à des moments précis, au bout d'une certaine durée. Plus d'un aidant sur deux a l'impression que cette relation implique des sacrifices. Un chiffre à mettre en lien avec le fait d'être seul ou non à aider. Cette impression de sacrifice est particulièrement vraie lorsqu'il s'agit du conjoint. L'aide est quasi permanente et l'aidant développe le sentiment que personne ne peut le remplacer. Dans cette situation, un aidant sur dix déclare avoir lui aussi besoin d'aide.
L'aide, une notion subjective
Certains aidants la subissent mais pour beaucoup, il s'agit de « donner comme ils ont reçu ». Pour autant, cela n'est en rien un gage de qualité. Certaines femmes retraitées se retrouvent aidantes principales d'une mère, d'une tante, d'une belle-mère, parfois les trois à la fois, mais restent aussi une grand-mère indispensable pour le maintien de l'activité professionnelle de leur enfant, et sans soutien. Parfois même, elles seront rémunérées comme aidantes au titre de l'APA. Cette aide naturelle devient un vrai travail.
Les aidants ne bénéficient d'aucune formation aux gestes et aides techniques (comme les lève-malades). Ils s'épuisent, souffrent physiquement et sont souvent seuls. Ce huis-clos peut entraîner des situations de maltraitance. Les aidants devraient régulièrement bénéficier d'un bilan pour identifier leurs besoins en répit, soutien technique et/ou psychologique. Ils devraient bénéficier d'un plan d'accompagnement singulier dès lors que cette aide devient un fardeau (physique et/ou psychique) et/ou réduit leur vie sociale.