Dans le n° 19-avril 2012  -  Chronique de Serge Guérin  761

Qualité sociale : questions de temps...

Dès lors que l'on entend prendre en compte la valeur d'usage, au sens de la qualité sociale, de l'action cela revient à récuser le paradigme de la productivité : il ne s'agit pas de produire le plus de biens et services le plus vite possible, mais de générer du lien social, du bien vivre. Le temps n'est plus l'ennemi à abattre, mais bien au contraire la valeur centrale. Il s'agit de prendre le temps pour faire avec la personne, pour écouter l'autre, bref pour prendre soin. Il s'agit de passer d'une société de la course contre la montre, d'une société qui n'a pas le temps à une société qui se soucie de nous "laisser du temps".

On notera d'ailleurs le paradoxe d'une société qui porte en valeur la rapidité et qui souffre du manque de temps, d'une société qui a inventé le TGV ou le transport aérien mais qui voit les embouteillages s'accroître. Le paradoxe d'une économie qui ne jure que par les flux tendus, la réponse en " temps réel "... et qui, du coup, est fragilisée par le petit détail, le grain de sable, l'incident, la rupture dans la chaîne d'approvisionnement... Une société qui ne sait plus gérer l'aléa, qui se perd dès que l'imprévu fait son apparition... Le paradoxe d'une société qui célèbre la vitesse et qui honnit la perte de temps alors que justement le progrès scientifique et médical et les effets de la protection sociale nous ont conduits à bénéficier collectivement de beaucoup plus de temps disponible à travers la hausse continue de l'espérance de vie... Jean Viard montre ainsi que nous sommes dans une civilisation des loisirs, que jamais nous avons consacré si peu de temps au travail (1). Pour autant, jamais sans doute, nous n'avons eu autant l'impression d'être autant pris par le temps...

Accélération de la vitesse

Hartmut Rosa, pour sa part, pose l'hypothèse que le mal-être vient en grande partie d'une indigestion de la vitesse (2). Non seulement, la société moderne se caractérise par une accélération de la vitesse de l'innovation technologique, mais elle est aussi caractérisée par un mouvement d'accélération des changements sociaux, dont la recomposition des familles en est l'une des expressions les plus sidérantes, et par l'accélération du rythme de vie qui produit un stress croissant.

La vitesse est devenue la valeur cardinale, la nouvelle idéologie alors que dans le même temps, la révolution démographique se traduit par le vieillissement... accéléré de la société, et la conscience de la finitude du monde devrait conduire à ralentir la machine.

N'oublions pas que la révolution démographique du vieillissement devrait conduire à une révolution du rapport au temps : jamais nous n'avons vécu si longtemps et donc avec autant de temps pour faire les choses ; jamais, non plus, nous avons eu autant de temps à vivre sans la contrainte horaire, sans la dictature de la montre. En effet, le temps de la retraite, est le seul moment dans le cycle de vie d'une personne consciente où elle peut décider seule de ses horaires. Sauf lorsqu'elle vient vivre en maison de retraite ou qu'elle bénéficie de services à la personne où bien souvent les horaires lui sont à nouveau imposés...

Prendre le temps

Mais à ce paradoxe s'en ajoute un second : en partie en raison du vieillissement de la population, jamais le monde des services n'a eu autant d'importance sur le plan de l'économie générale et des styles de vie des personnes. Or, c'est dans les services que la question de la productivité paraît devoir être la plus interrogée. Que signifie, en effet, vouloir aller plus vite dans ce contexte ? S'agit-il d'enseigner à plus d'enfants à la fois en estimant que chacun n'a pas besoin d'un accompagnement personnalisé ? S'agit-il de corriger plus vite des copies ? (3) S'agit-il de soigner plus vite un patient en mécanisant un peu plus les gestes techniques et en réduisant encore l'attention à la personne ? S'agit-il d'obliger les personnes très âgées à prendre leur repas plus rapidement en diminuant encore les moments d'échanges ? On ne prend pas soin de l'autre en regardant sa montre mais en étant dans l'attention et l'empathie. Dans ces métiers, la première compétence devrait être celle de savoir et pouvoir prendre le temps, de savoir écouter. Une large part de ces services sont des services de la présence, ici et maintenant.

Serge Guérin

Professeur à l'ESG Management School

Dernier ouvrage : " La nouvelle société des seniors ", Michalon 2011

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Serge Guérin me pardonnera de paraphraser le titre de son dernier ouvrage en date* pour titrer mon billet. Vous l'avez lu ou en connaissez le thème : bousculer les idées reçues sur le désintérêt des « vieux » en matière de gestes écologiques et solidaires. Tribune pour répondre à ceux qui pensent que ces générations issues de la deuxième guerre mondiale et des années cinquante ont abusé des trente glorieuses et se moquent des incidences climatiques et générationnelles futures. Elles pourraient pourtant donner des leçons d'économies à beaucoup en matière d'eau, de déchets et de courage. Une anecdote a fini de me convaincre. Récemment par une belle journée je me dirigeais vers la déchetterie suite à des travaux de jardin et je vis sur le bord de la route une personne âgée, courbée et tirant deux chariots utilisés pour les courses. Je me fis la remarque du courage de cette personne sachant que le commerçant le plus proche était à bonne distance. Sur la route de mon retour, je la revis. Quelle ne fut pas ma surprise de constater qu'en fait cette dame âgée ramassait des deux bords de la route les déchets que les « clients » de la déchetterie laissaient tomber de leurs remorques en roulant. Je ralentis pour en avoir la certitude et raconter ce vécu à l'ami Serge. Plus encore, je décidais en ces temps riches d'à priori primaires d'en faire le thème de ce billet. Méfions-nous de ces raccourcis trop faciles. Oui, les vieux « aussi » sont sensibles à ces sujets qui mobilisent beaucoup de jeunes, à juste titre. Gardons-nous de ces clichés clivants. Demain ne pourra se construire qu'en faisant société, intelligemment, avec tolérance et respect. Et dès lors, même si mon propos est naïf, il fera bon vivre ensemble. ...
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Charles Memoune, fondateur et ancien associé de référence du réseau Bridge, souhaite répondre à un article de geroscopie.fr du 4 septembre, suscité par une pétition (toujours) en ligne de directeurs d'Ehpad de son ex-groupe.
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