En ces temps de tensions, il nous a semblé primordial de donner la parole aux acteurs de terrain. Lettre ouverte d'une directrice d'EHPAD, à Beauchalot (31)
Que d'injonctions paradoxales, que d'exigences de résultats quand les moyens deviennent si minimalistes !
Ces derniers jours, la médiatisation autour des EHPAD a été aussi importante qu'intense. La grève du 30 janvier s'est accompagnée de témoignages d'une extrême violence. Le recours à des phrases et expressions choc comme « toilettes à la chaîne », « pour faire manger les résidents, un à chaque bras »... visait à décrire une réalité qui, au fond, n'a pas été vraiment développée.
Des familles sont venues nous voir au sein de l'EHPAD qui héberge leur parent, afin de vérifier ces informations. Dans les propos tenus, l'accent a toujours été mis sur l'hygiène et l'alimentation. Or, ce sont précisément deux points d'attention des professionnels.
Alors qu'en est-il, du moins de mon point de vue, dans la majorité des EHPAD, et en tous cas dans tous ceux que je connais ?
Pour éclairer mon propos, j'aborderai deux sujets : l'un relatif à un contexte qui nous échappe mais auquel nous devons nous adapter, l'autre concernant ce que nous parvenons à faire avec les moyens alloués.
Vers une dotation globale
La réforme de la tarification des EHPAD a plusieurs impacts dont le principal est le passage d'un financement de la dépendance « par résident » à une dotation globale. La dotation est basée sur un mode de calcul complexe avec des variables telles que les sommes allouées ne correspondent pas forcément aux besoins de terrain. Globalement, cette dotation n'est pas avantageuse pour les établissements et sa mise en oeuvre a été tellement complexe que certains départements ne l'ont appliquée que partiellement (TSA 11/12/2017-Tarification des EHPAD : certains départements ont refusé d'appliquer la convergence négative ). A ce point s'ajoute un mode de calcul des tarifs de la dépendance ( pour les résidents devant s'en acquitter ; hors département et hébergements temporaires ) qui a produit une baisse pour nombre d'EHPAD. Concernant les effectifs, ils sont le plus souvent encore définis dans les conventions tripartites ( ARS, Conseil Départemental EHPAD ) et il n'existe pas de marge de manoeuvre.
Des professionnels engagés
Alors, bien sûr les effectifs sont minimaux, bien sûr il faut manifester le manque de moyens, mais nous pouvons aussi souligner combien, dans ces difficultés, les professionnels font preuve d'investissement, de bienveillance envers les personnes âgées et combien les besoins fondamentaux (en référence aux 14 besoins fondamentaux de Virginia Henderson ), dont celui de se divertir, sont satisfaits. Les professionnels font des établissements des lieux de vie. Partout des animations sont organisées, dans tous les établissements les besoins collectifs sont pris en compte et les besoins individuels sont considérés dans le cadre des projets personnalisés. En parallèle, nous satisfaisons aux obligations de qualité, de sécurité, de contrôles. Nous accompagnons, nous évaluons et faisons progresser nos pratiques avec les moyens dont nous disposons, mais nous ne pouvons être tenus pour responsables de l'avancée en âge avec l'apparition de maladies ou l'aggravation d'un état général.
Ont beaucoup été évoquées les limites, mais trop peu les exigences des autorités de tarification comme des familles auxquelles nous répondons, au quotidien, par la production d'écrits pour les premières, par l'accompagnement individuel pour les secondes.
On ne peut nier la lassitude des professionnels confrontés aux faibles effectifs, à la maladie, à la mort, au défilé des résidents, aux exigences des familles, au turn-over des professionnels, aux ordres des directions pour être en adéquation avec les injonctions des autorités de tarification.
Je ne peux ici que saluer la motivation, peut-être même le courage des professionnels qui continuent à s'occuper de nos ainés. Je ne peux également que saluer le soutien apporté aux équipes par les psychologues, cadres de santé ou infirmièr(e)s coordina(teurs)trices, médecins coordonnateurs, équipes administratives et logistiques.
Quel paradoxe, que d 'injonctions paradoxales, quelles exigences de résultats quand les moyens sont et deviennent minimalistes!
Je veux, pour terminer, insister sur le fait que les professionnels que nous sommes oeuvrons tous au quotidien, dans les limites que sont les nôtres, pour le bien-être des résidents.
Sylvie Lacoste-Mans
Directrice EHPAD La Bastide
Auditions à la Commission des affaires sociales du Sénat
Après le 1er mouvement de grève le 30 janvier dernier, et avant le prochain programmé au 15 mars, la commission des affaires sociales du Sénat ouvre un cycle d'auditions
À l'initiative de son président, Alain Milon (Les Républicains - Vaucluse), la commission des affaires sociales du Sénat et son rapporteur médico-social, Bernard Bonne (Les Républicains - Loire) ont ouvert un cycle d'auditions sur la prise en charge en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).
La décision de la commission fait suite à plusieurs mobilisations de personnels d'établissements, dénonçant des conditions de travail et de rémunération préjudiciables au bon exercice de leur mission. Le Gouvernement réserve pour l'heure ses réponses au rendu des conclusions d'un groupe de travail ministériel sur la qualité de vie au travail dans les EHPAD et sur les carrières.
Lors du vote de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, la commission avait averti le Gouvernement des conséquences encore incertaines d'une réforme tarifaire des établissements qui prévoit la redéfinition en profondeur des modalités de versement par les conseils départementaux de la dotation relative à la dépendance.
Le rapporteur médico-social avait notamment souligné que malgré "le caractère nécessaire de la réforme tarifaire des EHPAD", "l'introduction du point Gir départemental posait la question cruciale de l'égalité territoriale de la réponse des pouvoirs publics face à la perte de l'autonomie" et que, sans estimation objective des effets de la réforme, le risque d'exposition des "résidents modestes de ces établissements à une augmentation intolérable de leur reste à charge" était réel.
L'application pleine et entière de la réforme tarifaire n'étant néanmoins prévue que pour 2024, la commission entend se pencher sur les causes plus immédiates de ces mobilisations, plus spécifiquement liées aux limites du modèle de ressources humaines des EHPAD (recrutement, formation, rémunération).
Après Marie-Anne Montchamp, présidente du Conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), Anne Burstin ou Simon Kieffer, directeur des établissements et services médico-sociaux, le 6 février, la commission entendra Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé en clôture des travaux.