Dans le n° 149-mai 2023  - Formation et recherche  14741

Quelle santé pour demain ?

La santé et l'accompagnement se détériorent en France. Pourtant plus que jamais les jeunes chercheurs s'investissent et explorent de nouvelles pistes pour améliorer la qualité de vie des résidents comme des professionnels. Explications.

Surcharge de travail, moral en berne, manque de moyens, pénurie d'effectifs... 73 % des soignants, et ce chiffre monte à 81 % chez les infirmiers, estiment que la qualité des soins se détériore en France. C'est en tous cas ce que révèle le baromètre PulseLife réalisé en mars 2023. La crise globale du système de santé pèse donc largement sur les conditions de travail des praticiens et sur les soins apportés aux patients.

Pourtant, et malgré ce constat alarmant, 68 % des soignants estiment qu'il est encore possible de pratiquer une « bonne médecine » à condition de se spécialiser. Et pour améliorer leur pratique quotidienne, l'intelligence artificielle est considérée par 80 % d'entre eux comme une aide précieuse.

Penser ensemble l'e-santé

Le 13 avril dernier s'est tenu une journée de recherche et d'échanges interdisciplinaires autour de la e-santé et de ses enjeux éthiques à l'initiative du pôle universitaire Léonard de Vinci. Étudiants, praticiens et chercheurs, représentant tour à tour le monde médical, l'ingénierie et la société, s'y sont inquiétés des usages de certains outils dont les intelligences artificielles, « qu'elles soient utilisées de manière curative ou préventive », précise Hajer Kefi, Ph.D, HDR, professor of Management Information Systems au pôle universitaire Léonard de Vinci. Si elles font espérer des améliorations de la prise en charge des patients (dans la précision des diagnostics, le choix des traitements, l'organisation des soins), elles génèrent également des inquiétudes quant à l'usage qui peut être fait des données. Le débat porte dès lors sur la possibilité d'intégrer les contraintes légales ou éthiques dès la conception des IA. « De même est évoquée ce qu'on appelle la Privacy by design », ajoute Hejer Kefi, « le fait de développer un outil qui dès sa conception respecte la vie des usagers. L'IA predictive a par exemple pu être soupçonnée de dérives éthiques. Pensée et programmée par des humains, elle en reproduirait les mêmes fonctionnements. »

Allier formation et recherche

C'est le pari remporté par IMT Atlantique Bretagne et Pays de la Loire qui a fait de « la santé du futur » son axe stratégique de formation et de recherche. Chafiaa Hamitouche, professeure au département Image et Traitement de l'Information (ITI), forme des ingénieurs capables de comprendre les enjeux et problématiques du domaine médical, afin de concevoir et élaborer ces outils. Cette formation permet d'« acquérir des connaissances à travers un parcours de soins allant du capteur à l'analyse des données de santé, en passant par le traitement de l'information, les systèmes d'information de santé, la sécurité ainsi que les aspects réglementaires et économiques ».

Dans la même démarche, IMT Atlantique propose depuis janvier 2022 un double diplôme en partenariat avec l'UFR médecine de l'université de Bretagne Occidentale. Il permet à des étudiants d'obtenir un diplôme d'ingénieur en parallèle de leur cursus de médecine. « Ce profil hybride de médecin-ingénieur connaît une très forte demande, tant de la part des industriels de la santé que des 600 entreprises de la filière de la Health Tech en France engagées dans la révolution numérique et technologique de la santé (impression 3D, IA et Big Data, objets connectés, robotique, réalité augmentée) », confirme Chafiaa Hamitouche.

Ces formations et partenariats engagés par IMT Atlantique ont déjà produit de belles réussites : Kimi, un outil de suivi de formation et forum interactif pour discuter, guider et construire des aides au diagnostic ; Missives, un projet qui vise à étudier les processus sous-jacents à l'induction du stress dans les interactions sociales virtuelles. L'objectif principal est ici d'utiliser ces nouvelles applications pour envisager des approches de traitement plus efficaces.

Le son à l'honneur

L'incubateur d'IMT Atlantique accompagne des start-up aux parcours remarqués. C'est le cas d'OSO-AI, lauréate du prix Silver Valley, qui protège les personnes fragiles et améliore la qualité de vie de leurs aidants et des soignants grâce à une technologie unique, basée sur le son.

OSO-AI est née de l'association de quatre personnalités (Claude Berrou, enseignant émérite à IMT Atlantique et membre de l'Académie des sciences, Philippe Roguedas, Gilles Debunne et Olivier Menut, dont les expériences professionnelles chez Google ou IBM apportent une expertise complémentaire).

« L'aventure de notre solution d'Oreille augmentée des soignants a démarré en 2018 », explique Philippe Roguedas. « Nous sommes partis d'un constat simple. Le son véhicule une multitude d'informations et l'intelligence artificielle peut aider à en extraire les plus prégnantes. À domicile par exemple, nous entendons de nombreux bruits que nous identifions aisément. Une fenêtre qui claque, le pas d'une personne dans une pièce, des cris, des rires ou un silence dans la chambre des enfants, la sonnerie du micro-ondes... C'est la même chose en Ehpad. Un soignant peut être attiré dans la chambre d'un résident par un son inhabituel ou anormal. Un bruit, un cri, un gémissement sont autant de signes d'alerte pour les aidants. Or confrontées à un manque de personnel, notamment la nuit, les équipes ne peuvent répondre à toutes les sollicitations et craignent souvent de passer à côté d'une situation grave. Cela génère beaucoup de stress et de tension. »

L'Oreille augmentée des soignants est une solution rassurante et simple à mettre en oeuvre. Il s'agit d'un petit boîtier composé d'un capteur branché sur secteur qui détecte les bruits inaccoutumés, signes de détresse pour les transmettre par wifi sur le smartphone du soignant.

Pendant trois ans, les chercheurs ont travaillé avec le CHU de Brest et des établissements des groupes VYV et de la Croix-Rouge française pour identifier, et reconnaître les sons importants pour un soignant ainsi que les différentes alertes générées par le résident.

Si la chute a naturellement été le point de départ, le service rendu est largement supérieur. « Au-delà des mots-clés, nous sommes aujourd'hui capables de détecter un stress dans la voix d'un résident, des gémissements ou des cris mais aussi les vomissements, les problèmes respiratoires, un état de sommeil pour éviter les réveils intempestifs... Et nous savons isoler les bruits de la télévision ou de la radio qui n'intéressent pas les soignants. » OAS est un bijou de technologie qui permet aux professionnels d'évaluer l'ampleur du besoin et son urgence.

Une intimité respectée

Le dispositif est vécu comme préservant l'intimité des résidents. Aujourd'hui les établissements sont équipés d'appels malades que seuls 20 % des résidents peuvent réellement utiliser. Les soignants sont donc contraints de pénétrer régulièrement dans les chambres. « Avec ce dispositif, la quasi-totalité des situations de détresse est détectée », ajoute Philippe Roguedas. « Cela réduit le nombre de passages et améliore le respect de l'intimité. »

Le boîtier est aujourd'hui installé dans 1 000 chambres d'Ehpad mais aussi de CCAS, soins de suite, secteur du handicap ou de la psychiatrie. Et le développement s'accélère. Les commandes devraient être multipliées par trois d'ici la fin de l'année. Si l'entreprise recrute pour répondre à la demande, elle veut déjà aller plus loin et réfléchit à une implantation domiciliaire pour compléter les offres existantes de téléassistance. On n'a pas fini d'en entendre parler...

Sélectionnée par la FHF, l'Oreille augmentée des soignants est présentée à SantExpo dans le dispositif « Hôpital de demain ». L'équipe est également présente sur le stand K49.

En savoir plus : www.oso-ai.com


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