Comment engager dans la durée les acteurs de terrain ? En favorisant la participation des équipes aux décisions qui les concernent. Si le domicile est déjà engagé dans la démarche, les établissements médico-sociaux ouvrent une nouvelle voie vers l'innovation managériale.
Réenchanter le médico-social pour mieux travailler ensemble, une juste utopie ?
Depuis quelques années, le vent du changement souffle dans certaines structures médico-sociales. Cette tendance nous vient du monde du domicile : en s'inspirant de l'initiative hollandaise Buurtzorg, ou d'autres courants comme le « lean management », de nombreuses structures d'aide à domicile ont fait évoluer leur organisation et leur manière de travailler : « équipes autonomes », « à responsabilités partagées », les dénominations diffèrent mais l'intention est la même : construire un futur désirable, dans lequel les professionnels de terrain prennent part aux décisions au lieu de les subir, retrouvant ainsi progressivement le sens de leur métier.
Cette tendance, relayée en 2019 dans les rapports Libault et El Khomri, a été abondamment mise en exergue, si bien qu'elle a pu être perçue par certains comme un « passage obligé », une injonction à se transformer. Alors non, donner plus d'autonomie aux professionnels n'est en aucun cas un dogme ni une finalité, mais bel et bien un moyen d'engager dans la durée les personnes passionnées par notre beau métier, et qui l'exercent au quotidien.
Il ne s'agit pas de mettre en avant une organisation figée au sein de laquelle il faudrait suivre une recette ou un rétroplanning à la lettre et organiser les choses de manière précise et séquencée. Mais, au contraire, de s'inspirer d'une philosophie qui permet aux bonnes personnes de prendre les bonnes décisions.
Un travail collectif, pensé et partagé
La démarche est enthousiasmante car elle permet de se réinterroger sur les raisons du travail commun et la manière de l'exercer. Elle consiste à redéfinir le projet de service ou projet d'établissement, qui est souvent écrit dans un bureau à la dernière minute quelques jours avant l'échéance légale. Cette réflexion est un formidable moyen de réécrire ensemble un cap commun. Car ce travail est bien collectif. Ici encore, ce n'est pas la direction de la structure qui va tout faire en solo, c'est une « équipe projet », constituée de plusieurs personnes qui reflètent et représentent chaque métier de la structure.
On dit souvent que les deux principales caractéristiques d'une transformation se résument par deux adjectifs : « lente » et « volontaire ». Lente, car il ne faut pas chercher à maîtriser le calendrier : changer sa manière de travailler ne consiste pas tant à modifier ce qui se voit qu'à modifier ce qui ne se voit pas, à savoir la culture de sa structure. Pour ce faire, on n'appuie pas sur un bouton « on/off », on incarne le changement, on le rend possible, on le partage, on le rend désirable. Tout cela prend du temps, surtout dans une structure dont la culture est forte - souvent bonne par ailleurs - et dont certaines composantes vont être bousculées. Volontaire ensuite, car, avec le recul dont nous disposons aujourd'hui sur une cinquantaine de structures ayant significativement avancé, aucune ne va plus loin dans la transformation que le chemin pris par son dirigeant. Cela peut paraître paradoxal car tout l'enjeu ici est d'inciter le dirigeant à « abandonner » une partie de son pouvoir. Pourtant, si le dirigeant annonce haut et fort de grands changements à venir mais qu'il ne modifie en rien son comportement, s'il annonce mieux répartir les responsabilités mais qu'il continue à décider seul, sans consulter, alors les équipes sentiront une dissonance, et le projet global sera menacé.
Le chemin plus intéressant que la destination
La route est différente pour chaque structure, l'objectif n'est donc pas d'aller le plus loin possible dans l'autonomie. J'en veux pour preuve la récente visite d'un confrère dans une structure ayant commencé un travail de transformation. Notre confrère s'étonnait en fin de visite : « Ils ont peut-être changé beaucoup de choses, mais chez moi je pense qu'on est déjà, à ce stade, allé plus loin dans l'autonomie. » Peut-être. Sûrement. Mais la question n'est pas là. La structure visitée avait beaucoup fait bouger les lignes en interne, l'équipe sur place était très enthousiaste de vivre ces changements, la motivation était revenue, l'absentéisme avait décliné. Là est l'essentiel, se créer son propre chemin, redonner du sens pour engager dans la durée.
La communication, facteur clé
Si une équipe projet, fût-elle pluridisciplinaire, chemine et définit les contours d'une transformation sans régulièrement partager les fruits de son travail au reste de la structure, et sans prendre en considération les avis de chacun, alors un écart peut se creuser avec les équipes sur le terrain. L'adage « tout ce qui se fait pour moi mais sans moi se fait contre moi » a malheureusement parfois été vérifié.
Depuis deux ans, de plus en plus d'établissements se posent des questions sur leur manière de travailler, de s'organiser. Le scandale Orpea a accéléré la tendance. Contrairement au monde du domicile qui pouvait s'appuyer sur un cas concret - Buurtzorg - presque tout, ici, est à réinventer : l'autonomie est moins une finalité qu'au domicile car les collègues ne sont jamais loin. Il conviendra, au cas par cas, de définir où il est pertinent de placer le curseur. La question de l'organisation au travail ne résout pas tous les problèmes - par exemple, la question de la prévention et de la sinistralité - mais elle fait avancer la structure. Mieux, elle redonne espoir à beaucoup, ce qui n'est pas superflu...
Le Club du Prendre Soin, le réseau des établissements médico-sociaux engagés sur l'innovation managériale
Animé par Compani, ce collectif est composé de directions d'établissements médico-sociaux publics et privés qui partagent une envie de changer la manière dont elles travaillent, avec trois fils rouges : engagement, confiance, collaboration. Ayant vocation à être ouvert à tous, le club propose trois types de temps :
- partages, échanges sur nos succès et nos difficultés,
- production de contenus sur les enjeux qui nous lient,
- témoignages lors d'événements réunissant l'ensemble de l'écosystème.
Thibault de Saint-Blancard
Co-fondateur Alenvi et Compani