L'âge légal de départ cristallise les débats à chaque évocation d'une réforme des retraites. Postures, psychodrames, inquiétudes... Depuis la campagne présidentielle, la boîte à claques des âges est repartie pour un tour. Avec toujours les mêmes arguments, dénis et représentations.
Réforme des retraites ? Rajeunir l'âge et donner du sens !
Rappelons que nous comptons environ 17 millions de personnes à la retraite pour 28,8 millions de personnes actives (en emploi ou non). En 2070, selon les derniers chiffres du COR (Conseil d'orientation des retraites), publiés en septembre 2022, il y aura, à législation équivalente, 23 millions de retraités, pour une population active de 28,9 millions...
Les Français se distinguent des Européens par leur refus de travailler plus longtemps. Une position largement corrélée à la situation sociale : 77 % des classes moyennes inférieures et modestes et 85 % des plus pauvres sont favorables à la retraite à 60 ans, contre seulement 35 % du côté des catégories aisées[1]. Si 42 % des Français se déclarent prêts à travailler jusqu'à 64 ou 65 ans pour avoir une bonne retraite, 62 % des cadres sont d'accord contre 39 % des ouvriers[2].
Même les retraités, les plus sceptiques face au retour à la retraite à 60 ans[3], ne sont guère favorables à l'allongement de la durée de travail. Les Français de plus de 65 ans refusent à 49 %, le droit aux seniors de rester en activité, contre 38 % du côté des Belges et 17 % pour les Allemands[4].
Ces réactions s'expliquent en grande partie par les représentations négatives sur le travail. Il reste souvent associé à de la souffrance, au sentiment d'être méprisé et au manque de sens. Il est d'ailleurs symptomatique que le terme de métier soit remplacé par poste, job, place...
À la recherche de l'envie... de travail
La période post-covid a accouché d'une autre épidémie : la disparition de l'envie de travail ! Les jeunes en particulier semblent pour une grande part d'entre eux ne plus vouloir s'investir dans le travail. Le télétravail apparaît à certain comme un droit naturel permettant d'éviter les contraintes et le collectif. Avec et après les confinements, une partie de la population a été mise longuement en chômage technique. Certains, quel que soit l'âge, y ont pris goût... D'autres ont eu envie de changer, de (re)trouver du sens dans leur activité professionnelle.
Dans ce contexte, les entreprises ont de plus en plus de mal à recruter et restent focalisées sur les jeunes, hypermotivés, super disponibles et formidablement bien formés...
Pourtant, face à cette pénurie, les seniors, avec leurs compétences et leur envie de travailler, sont une chance pour les entreprises. Le vivier est là : seulement 56,1 % des 55-64 ans sont en emploi5. Une grande partie des seniors recherche du sens. Je peux le voir à chaque rentrée de mon Master « Directeur des établissements de santé », à l'Inseec où des personnes de 45, 50, 55 ans ont candidaté pour changer de métier, se sentir utile aux plus fragiles, redonner du sens à leur parcours professionnel... Le secteur de la santé au sens large, qui voit partir de nombreux salariés exténués et démotivés, attire aussi des seniors en quête d'une utilité sociale, d'un métier de liens. Il y a comme un paradoxe...
Mais changer les représentations des seniors et favoriser leur emploi est un préalable à toute réforme des retraites. Comment évoquer l'idée de travailler plus longtemps, si les plus de 50 ans continuent d'être évincés des entreprises ? Et qu'il leur est si difficile de retrouver un emploi, même moins bien payé, après 55 ans ?
Mais à l'inverse, comment changer les représentations des recruteurs, si une large partie des seniors ne ressent plus l'envie de candidater pour un emploi ? Et si, eux aussi, pour une bonne part, se détournent de l'entreprise et font des calculs d'opportunité ?