Un an après la mise en oeuvre de la réforme de la tarification des EHPAD, la convergence des dotations dépendance se fait dans la douleur -et la colère- notamment pour le secteur public. En ligne de mire : le point GIR départemental qui conduit à de fortes disparités entre EHPAD et entre départements. Après la mission Iborra qui qualifiait, en septembre dernier, la nouvelle tarification de "kafkaïenne", un rapport parlementaire recommande un moratoire d'un an pour « définir les ajustements nécessaires ».
Réforme tarifaire des EHPAD : un moratoire pour sortir de la crise ?
Le bras de fer continue. L'année 2018 débutera par une forte mobilisation sociale dans les EHPAD. Cinq fédérations syndicales santé-sociales (CFDT, CFTC, CGT, FO et Unsa) appellent à une grève nationale, le 30 janvier, afin de protester contre « l'insuffisance des effectifs et des moyens » dans l'accompagnement aux personnes âgées et contre la réforme de tarification qui génère « une baisse drastique de dotation entraînant des réductions de postes. »
Alors que la réforme tarifaire des EHPAD a pour principe fondateur, l'équité dans la répartition des financements des établissements, les modalités de calcul du forfait global relatif à la dépendance ont abouti à de grandes disparités territoriales. Si la valeur moyenne de points GIR départementaux est de 7 €, les valeurs minimale et maximale sont respectivement de 5,68 € (Alpes-Maritimes) et 9,47 € (Corse du Sud) et la moitié des valeurs de points sont comprises entre 6,7 et 7,4 €.
La mise en oeuvre de cette convergence tarifaire a été un véritable casse-tête pour les conseils départementaux. Six départements n'ont pas voulu publier leur valeur de point GIR et 19 départements ont refusé d'appliquer la réforme en 2017 après avoir constaté les difficultés importantes causées aux établissements mais devront le faire en 2018. Certains conseils départementaux ne sont pas en mesure de soutenir la baisse du budget des EHPAD mis en difficulté par la réforme, du fait de la baisse de dotation globale de fonctionnement (DGF) des collectivités territoriales.
Déséquilibres entre secteur public et privé
Dans un rapport d'information sur la mise en application de loi d'adaptation de la société au vieillissement, présenté le 5 décembre devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, Agnès Firmin Le Bodo, députée (UDI, Agir et Indépendants) de Seine-Maritime, et Charlotte Lecocq, députée (LREM) du Nord, sont revenues sur « les transferts financiers massifs et imprévus » des établissements publics vers les établissements privés au titre de la convergence des tarifs dépendance. Au regard des auditions menées, les deux députés concluent que la convergente tarifaire a engendré de nombreux déséquilibres qui n'étaient « ni souhaités par le législateur, ni même anticipés ».
De nombreux établissements -pour l'essentiel des EHPAD publics- voient leur forfait dépendance diminuer sensiblement. A titre d'exemples, dans l'Isère, la moitié des EHPAD connaît une convergence positive et la moitié une convergence négative, alors que la totalité des établissements voyant leurs dotations augmenter sont des EHPAD privés commerciaux. Dans l'Aude, 4 EHPAD perdent plus de 20 % de leur dotation dépendance ; dans le Puy de Dôme, les baisses de dotations s'élèvent à près de 2 millions d'euros, réparties entre 38 établissements.
Dans ce contexte, les co-rapporteures proposent « d'appliquer un moratoire d'un an à la convergence des forfaits dépendance afin de définir au plus vite les ajustements nécessaires ». Cette suspension d'un an de l'application de la convergence tarifaire dépendance est « indispensable pour effectuer les simulations qui n'ont malheureusement - et étonnamment - pas été réalisées avant l'entrée en vigueur de la réforme. »
Tenir compte du statut des EHPAD
« Il ne s'agit en aucun cas d'abandonner une réforme qui suscite, aujourd'hui encore, un large consensus sur son principe. Le temps de la suspension doit être mis à profit pour évaluer précisément les transferts, apprécier leurs conséquences et définir les ajustements nécessaires, le cas échéant par voie d'amendement parlementaire. », propose le rapport.
Parmi les ajustements envisagés, la différenciation du point GIR départemental selon le statut des établissements (public, privé associatif et privé à but lucratif). Cette mesure permettrait d'intégrer dans l'équation tarifaire des différences objectives de situation et d'obligations qui impactent la structure des dépenses des EHPAD. « Les différences de conventions collectives du personnel induisent des écarts de coût de la masse salariale. Celle-ci est d'autant plus déterminante qu'elle couvre 90 % des dépenses de la section dépendance », rappellent les co-rapporteures.
Ainsi à l'instar de la mission Iborra en septembre dernier, les deux parlementaires suggèrent donc au gouvernement de faire évoluer la réforme tarifaire. Le message sera-t-il reçu ? « L'obligation de publier une valeur de point GIR départemental rend désormais très lisibles des politiques départementales qui étaient auparavant masquées par 7 000 décisions tarifaires prises pour chaque EHPAD », se défend le Ministère des Solidarités et de la Santé. « La réforme ne renforce pas ces inégalités, elle rend seulement plus visibles les différentes orientations des conseils départementaux en matière de financement des EHPAD dans le cadre d'une politique décentralisée. »
Ce sujet de la suspension de la convergence tarifaire qui a sensiblement marqué l'année 2017 sera, sans nul doute, au centre de la prochaine réunion du comité de suivi de la réforme de la tarification des EHPAD prévue en janvier.