Phénomène largement méconnu, le suicide des personnes âgées est un véritable problème de santé publique... auquel les établissements d'hébergement pour personnes âgées n'échappent pas. Alain Sagne, maître de conférences à l'université Lyon2, engage à repérer la crise suicidaire.
Repérer la crise suicidaire
Chaque année 3 000 personnes âgées de plus de 65 ans se suicident. " Le suicide n'est pas plus acceptable chez une personne âgée que chez un adolescent ", s'indigne Alain Sagne, maître de conférences en psychologie à l'université Lyon2 et formateur* au sein de l'Association Loire Prévention Suicide. Le suicide des personnes âgées reste encore un sujet tabou aussi la prévention n'est pas chose aisée. A ceux qui amalgament suicide et euthanasie, Alain Sagne adresse un message : " Le suicide n'est jamais un choix, c'est la réponse à une souffrance. "
Les comportements qui alertent
Le psychologue mise d'abord sur le repérage de la crise suicidaire. Au programme : vigilance, dialogue et franc parler. Comment repérer la crise suicidaire ? Ici, les statistiques sont un recours utile. Ainsi, dans 90% des cas de suicide, la personne âgée était dépressive. " La dépression est d'une part sous-diagnostiquée, d'autre part mal soignée, affirme Alain Sagne. Les symptômes de la dépression, troubles alimentaires, troubles du sommeil, lassitude,... sont encore compris comme signes naturels du grand âge. Il y a encore des résistances chez les professionnels !" La somatisation (mal de dos par exemple) peut être le signe d'une dépression masquée. La crise suicidaire, qui dure entre six et huit semaines, est insidieuse. Il convient de s'attacher aux petits changements de comportement : un résident reste dans sa chambre, évite le contact, refuse des soins. Il dit qu'il n'a le goût à rien, donne ses objets personnels,... ou adopte un comportement soumis, " désaffectivé ". La vigilance passe aussi par la juste estimation des événements de rupture : un veuvage doublé d'une entrée en établissement, période critique, peut donner un cocktail rapidement explosif.
Parler de la mort
Ce repérage n'est pas toujours facile pour des soignants, surtout face aux personnes désorientées (cumule de démence et de dépression). Certains soignants ont peur de la mort, d'autres se situent dans l'affect. Face à une allusion au suicide, ils basculent la conversation sur les petits-enfants ou moralisent. En aucun cas, le soignant ne peut se laisser enfermer dans le secret : quelle souffrance pour lui si la personne passe à l'acte... Il doit annoncer qu'il s'en réfère à l'équipe, au médecin, au psychologue de l'établissement. Ils organiseront des entretiens et la mobilisation des soignants autour de la personne souffrante pour un maintien du dialogue et des échanges. " Dans ces échanges il est important de laisser la personne exprimer ses représentations de la mort, celle du néant souvent, du vide interne, de la laisser se souvenir en notre présence des moments heureux de sa vie et parler de l'imaginaire, insiste Alain Sagne. Il s'agit de se situer dans la sphère émotionnelle pour que la personne se sente écoutée, comprise, voire autorisée à parler de sa souffrance." Si un résident dit " j'en ai marre de vivre ", lui demander s'il veut en parler, puis ce qu'il ressent, puis le cas échéant, si ce mal-être pourrait conduire à un suicide. Parallèlement il convient de mettre en place des temps de plaisir partagés en groupe pour éviter au soignant une trop grande empathie ou compassion du fait de la dépression active dans la relation.
Investiguer sur le moyen et la date
Dans l'évaluation du " potentiel suicidaire ", il faut être attentif aux moyens et à l'urgence. A partir de 65 ans, les tentatives de suicide aboutissent souvent : une mort pour 1,2 tentatives chez les hommes, une pour trois chez les femmes. " Demander si la personne a des idées noires ne sert à rien, poursuit Alain Sagne. Quand on a choisi la date et le moyen, on n'a plus d'idées noires. La personne a-t-elle choisi une date ? Si oui, a-t-elle choisi le moyen ? Si la personne mentionne les médicaments, investiguer encore : où sont-ils ? peut-elle les montrer ? Le plus étonnant, c'est que les personnes répondent." Ainsi le spécialiste est déjà reparti du domicile d'une vieille dame avec une boîte contenant des centaines de médicaments prêts pour le jour J. En établissement, les moyens existent aussi. Récemment un soignant a sauvé une résidente qui cherchait à s'étrangler avec son foulard... une autre résidente s'est suicidée lors d'une sortie avec sa famille... et que dire des chutes dans les escaliers ?
Dans la terra incognita du suicide, la parole, l'échange et la formation des équipes sont les meilleurs outils de la prévention.
* aux côtés de Jean-Louis Terra, Professeur de Psychiatrie, responsable national de la formation sur le repérage de la crise suicidaire
Facteurs de risque :
Détérioration de l'état de santé physique mentale, dépendance :
- Symptômes inhérents à la dépression
- Maladie invalidante, handicap
- Facultés sensorielles diminuées
- Perte de la motricité
Bouleversements de l'environnement :
- Veuvage (surtout chez l'homme)
- Deuil d'un proche
- Suicide d'un proche
Délitement des liens sociaux et/ou dépendance :
- Absence, éloignement de la famille et de l'entourage
- Retraite mal préparée, mal vécue
- Perte de l'identité sociale
- Dépendance sociale
Maltraitance, précarisation :
- Situation de maltraitance physique, verbale, psychologique
- Précarité financière
Source : Focus sur la prévention des conduites suicidaires chez les personnes âgées - Centre Jean Bergeret /Centre Régional de Prévention des Conduites Suicidaires Rhône-Alpes
Facteurs de protection :
- Qualité des liens familiaux
- Qualité de l'environnement
- Maintien du dialogue et des échanges
- Renforcement de la solidarité face à la " dégradation " physique, morale
- Prise en compte et l'acceptation du vieillir par l'entourage
- Capacité d'en parler à une personne de son choix
- Croyance, foi
Les modes de suicide :
- Pour les hommes : pendaison, une arme à feu.
- Le saut d'un lieu élevé est plutôt le fait des plus de 85 ans.
- Pour les femmes : ingestion de médicaments, pendaison, précipitation.
(La mortalité par suicide, Etudes et résultats, n°702, 2009)
Trouver de l'aide : exemple de la région Rhône-Alpes
L'ARS finance depuis 2008 un Centre de Ressources de Prévention des conduites Suicidaires, au sein du Centre Jean Bergeret. Le centre recense les actions organisées dans les départements.
En Rhône-Alpes, deux organismes sont spécialement à la disposition des établissements et des personnels qui souhaitent monter des actions de prévention : le réseau Equilibre (Association Loire Prévention Suicide) et la Cellule de Prévention des Situations de détresse de la personne Âgée (Association d'Action Gérontologique du Bassin Burgien Centre Psychothérapique de l'Ain).