Sujet délicat s'il en est, le sommeil est un thème particulièrement sensible chez la personne âgée, dont les besoins évoluent au fil des ans. Comment l'institution peut-elle s'organiser pour préserver ce sommeil et ainsi éviter les réveils intempestifs délétères à un repos de qualité ? C'est le dossier du mois.
Respecter le sommeil des résidents
Manque de sommeil, réveils nocturnes, insomnies, rythmes individuels non respectés, les plaintes sont nombreuses en établissement. Pourtant les équipes cherchent le plus souvent à s'adapter aux besoins propres et singuliers des résidents.
Des changements physiologiques
Avec l'avancée en âge, le besoin de sommeil évolue peu. Ce sont plutôt les conditions de ce sommeil et la répartition entre le jour et la nuit, qui peuvent changer. Le sommeil a tendance à se fragmenter, les cycles se modifient. L'endormissement se révèle plus long à venir, le sommeil profond diminue, l'envie de dormir survient plus tôt mais du coup le réveil aussi (on parle d'« avance de phase »). La somnolence diurne a tendance à augmenter avec un besoin de sieste (on parle d'un sommeil « polyphasique »).
Une mauvaise qualité de sommeil peut en revanche être responsable de nombreux maux : baisse de vigilance au cours de la journée entraînant des chutes ou des accidents domestiques, irritabilité ou anxiété, dépression mais aussi perte d'appétit ou de lien social. D'où la nécessité d'y porter une attention toute particulière. Mais attention, la plainte du sommeil est à dissocier d'une réelle pathologie du sommeil (insomnie, apnée du sommeil, trouble des jambes sans repos...) qui nécessite un traitement particulier.
Les somnifères, des usages inappropriés
« La facilité en Ehpad est souvent de prescrire des hypnotiques ou des sédatifs, même si la tendance aujourd'hui est à la déprescription », indique le Pr Kiyoka Kinugawa, responsable de l'Unité d'Explorations Fonctionnelles du sujet âgé à l'Hôpital Charles Foix (Ivry-sur-seine) et membre des conseils scientifique et d'administration de la Société Française de Gériatrie et de Gérontologie (SFGG). « Ils provoquent beaucoup d'effets secondaires chez les sujets âgés (troubles de la vigilance et majoration des risques de chutes) et n'améliorent pas la qualité du sommeil. Par ailleurs, les études évoquent de mauvais usages de ces traitements, et ciblent particulièrement les benzodiazépines et les somnifères. Les guidelines recommandent d'éviter ces médicaments et de favoriser le plus possible les solutions non pharmacologiques. » En 2021, le Journal of Alzheimer's disease report publiait les travaux du Dr Dirk Rijksen. Son étude réalisée dans 24 Ehpad aux Pays-Bas, auprès de 1 111 résidents en Unités Alzheimer révélait que la majorité des prescriptions d'anxiolytiques et d'hypnotiques était prescrite sans respecter les durées recommandées, et insuffisamment réévaluée : 100 % des anxiolytiques et 81 % des hypnotiques étaient prescrits plus de 4 semaines (durée maximale recommandée). Plus grave, à la question « la prescription était-elle appropriée ? (dosage, durée, réévaluation) », le résultat révélait un taux de 0 % pour les anxiolytiques comme pour les hypnotiques. « C'est dire si l'écart entre les recommandations et la réalité du terrain est important », confirme le Pr Kiyoka Kinugawa.
Reconnaître les causes d'un mauvais sommeil
Les raisons du « mal dormir » sont nombreuses et doivent toujours être recherchées. « Elles sont souvent de deux ordres », ajoute Kiyoka Kinugawa. Propres au résident, il s'agit de problématiques médicales : polypathologies et comorbidités entraînant des douleurs, reflux oesophagiens, gêne respiratoire liée à une insuffisance cardiaque, troubles urinaires qui obligent à se rendre aux toilettes durant la nuit, protection souillée à changer... voire la conséquence de certains médicaments qui perturbent le sommeil et créent de la somnolence en journée, ou encore de facteurs socio-psychologiques.
Mais il existe également des raisons extérieures. « On note en premier lieu l'inactivité physique, mais aussi l'absence d'interactions sociales pour rythmer la journée, d'exposition à la lumière naturelle et le fait de rester allongé, confirme Kiyoka Kinugawa. On se couche pour dormir, et on limite le temps de sieste diurne à 20 min maximum. » Le bruit est naturellement problématique la nuit, qu'il s'agisse des alarmes, appels malades, télévisions allumées ou des pas ou chariots dans les couloirs.
Pour autant, de vrais efforts ont été réalisés pour réduire le bruit, tant du point de vue architectural et des matériaux utilisés que des pratiques et habitudes des professionnels. Comme l'indique le Dr Philippe Walraet, médecin coordonnateur à Lille, la nuit peut faire resurgir des angoisses très profondes. « Certains résidents préfèrent alors dormir la porte ouverte. Cela n'est possible qu'à la condition qu'ils ne soient pas réveillés. Les professionnels tamisent dès lors la lumière des couloirs, accompagnent les déambulateurs en Pasa de nuit (Pôle d'activités et de soins adapté) et veillent à réaliser les soins nocturnes en toute discrétion. » Une démarche confirmée par Marie-Odile Vincent, directrice de la résidence Jacques Bonvoisin à Dieppe. « Aujourd'hui, on sait intervenir délicatement. Pour réaliser un soin de nuit, on allume une veilleuse ou la lumière de la salle de bain. Cela permet au résident de se rendormir plus aisément. De même, l'infirmière de nuit va systématiquement se présenter aux résidents en début de soirée. L'identifier est un facteur rassurant. Ils savent qu'elle est présente et disponible pour eux en cas de besoin. »
Accompagner le syndrome du coucher du soleil
Les professionnels connaissent bien ce syndrome de fin de journée, particulièrement présent chez les personnes présentant des troubles cognitifs. Agitation, errance, déambulations, cris, refus ou volonté de s'enfuir, sautes d'humeur... Ces manifestations anxieuses se produisent particulièrement à la tombée du jour. Leur cause précise n'est pas très bien identifiée. Il peut s'agir d'une réaction à la diminution progressive de la lumière ; d'une fatigue liée aux stimulis répétés de la journée ; d'une altération de la vision qui, la nuit venant, modifie la perception de la réalité et crée de l'angoisse ; d'un ressenti de la fatigue des aidants interprétée comme un signe de mécontentement ou d'agressivité ; d'une altération du rythme jour/nuit ; d'un inconfort lié à une protection souillée ou une envie difficile à exprimer d'aller aux toilettes ou encore de douleurs plus difficiles à supporter en fin de journée... Pour les atténuer, plusieurs pistes peuvent être envisagées, mais la première est la réassurance en offrant du calme, de l'écoute et de l'attention. Par l'observation de la personne, il est également possible de déceler les éléments déclencheurs et d'organiser les journées différemment, en concentrant les activités de stimulation cognitive et d'activité physique le matin.
Le Pasa de nuit, comme « de soirée », une réponse à l'errance nocturne
Pour lutter contre ce « syndrome du coucher de soleil », les agences régionales de santé (ARS) soutiennent l'expérimentation de Pasa de nuit. Et nouveauté, l'ARS des Pays de la Loire promeut le financement de Pasa équinoxes. Ces Pasa de soirée visent à prendre en soins des résidents présentant des troubles et une tendance à la déambulation nocturne. Ils proposent ainsi durant la soirée des activités individuelles ou collectives qui concourent à l'apaisement et à la réduction des angoisses. Ils participent également au maintien des capacités des personnes atteintes d'une maladie neurodégénérative. L'objectif du dispositif est de diminuer le recours aux médicaments et d'empêcher la rupture de prise en soins la nuit.
Il s'agit aussi d'améliorer la qualité de vie au travail des professionnels de nuit en améliorant la continuité de prise en soins au moment de la rotation des équipes de jour et de nuit. L'activité de fin de journée permet d'éviter des pics de charge de travail et de renforcer l'encadrement à un moment (le coucher du soleil) où beaucoup de résidents ont besoin d'être accompagnés.
Former les professionnels
En 2023, une étude allemande du Dr Wilfling publiée dans BMC Geriatrics a interrogé les connaissances sur le sommeil de 271 infirmières de nuit intervenant dans 138 Ehpad. Si elles se disent conscientes de l'impact des troubles du sommeil sur la santé des résidents, seules 15 % des infirmières reconnaissent que le sommeil des résidents est étudié et documenté et 22 % qu'il existe des recommandations pour prendre en charge les troubles du sommeil en Ehpad. Mais le plus inquiétant réside dans le chiffre de 93 %, qui rapportent n'avoir jamais reçu de formation sur le sommeil et la prise en charge des troubles du sommeil après leur formation initiale en soins infirmiers.