Dans les mois qui viennent la question du financement des retraites revient dans l'actualité. La longue séquence électorale que nous avons connue a vu s'opposer trois approches profondément antinomiques : retour à la retraite à 60 ans, passage rapide à la retraite à 65 ans ou projet de suppression des régimes spéciaux et d'instauration d'un système à la suédoise de compte à points proposé par le candidat Macron.
Retour à la case retraite
Rappelons d'abord que toute proposition doit se regarder et s'évaluer en fonction certes de l'idéal, mais aussi de la réalité... C'est la fameuse opposition mise en exergue par le sociologue allemand Max Weber qui opposait éthique de conviction et éthique de responsabilité : on ne peut nier le réel sauf à dissoudre la société ou courir à l'échec et aggraver la situation antérieure.
Un dispositif à bout de souffle
Dans une excellente étude réalisée pour Agipi, l'économiste Pierre Sabatier, fondateur du cabinet PrimeView, montre que le système de retraite français arrive à la limite de sa soutenabilité, avec une hausse de 30% du nombre des plus de 65 ans d'ici à 2030. Les plus de 65 ans passeront de 12,3 à 16,3 millions alors que le poids des 20-65, ceux en âge de travailler, restera stable autour de 36 millions. Ce que les économistes nomment le taux de dépendance entre les actifs qui cotisent et les retraités va passer de 3 pour 1 en 2016 à 2,2 pour 1 en 2030. Et encore il s'agit des plus de 65 ans alors qu'aujourd'hui le départ à la retraite s'effectue à 61,5 ans et que le taux d'emploi des 55-64 ans n'est que de 49% (70% en 1970). Bref une situation intenable.
1 350 € en moyenne
Il importe aussi de rappeler que l'allongement de l'espérance de vie a été d'environ neuf ans depuis 1981, date de l'abaissement de l'âge légal de départ à la retraite de 65 à 60 ans. Notons aussi que le niveau moyen des retraites va diminuer, en particulier sous l'effet du passage aux 25 meilleures années pour le calcul des pensions, de l'indexation des retraites sur l'inflation plutôt que sur les salaires et de la hausse des périodes de chômage dans les carrières.
Face à ces réalités, les réformes ont navigué entre allongement de la durée d'activité, complexe dans une période de fort chômage, et la réduction du niveau des retraites, plus que délicate avec des pensions moyennes de 1350 € par mois.
Un compte à points
L'instauration d'un compte à points, solution défendue depuis longtemps par la Cfdt, ouvre d'autres perspectives. Elle permettrait une meilleure lisibilité et éclairerait le choix informé des actifs. Elle offrirait plus d'équité entre les pensionnés en mettant tout le monde sur un pied d'égalité. Il serait alors possible de prendre réellement en compte la pénibilité de certaines activités.
Mais la réforme des retraites devrait être l'occasion d'agir sur trois leviers jusqu'ici ignoré. D'abord favoriser l'activité rétribuée des retraités, relancer les approches type retraite progressive, et permettre à celles et ceux qui le souhaitent de poursuivre leur activité plus longtemps. Aujourd'hui seulement 2,7% des plus de 65 ans sont en activité. Le deuxième axe concernerait l'aménagement des territoires et le développement des services aux personnes. Il y a fort à parier que les retraités vont de plus en plus déménager pour des régions plus calmes et au coût de la vie moins élevé. L'enjeu sera que ces migrations s'effectuent sur le sol national et que des jeunes puissent aussi y vivre pour profiter de la dynamique économique créée par cet afflux de population. Enfin, il importerait de repenser l'organisation des services aux usagers pour favoriser les mutualisations et leur adaptation au territoire, réduire leur coût et renforcer leur efficience.
Alors la réforme des retraites ne sera pas perçue comme une régression mais comme une chance.
Serge Guérin, sociologue. Professeur à l'INSEEC où il dirige le MSc Directeur des établissements de santé.
Vient de publier " La guerre des générations aura-t-elle lieu ", Calmann-Lévy.