La dépression chez la personne âgée, notamment en institution, présente des caractéristiques bien précises. Les soignants doivent en tenir compte afin de la dépister et?la prendre en charge.
Risque dépressif chez la personne âgée : de la détection à la prise en charge
Entre 8 et 16 % des plus de 65 ans sont concernés par la dépression, et ce chiffre augmente de 10 à 45 % pour les personnes vivant en institution, notamment en Ehpad[1]. La dépression se caractérise par un ensemble de symptômes : humeur dépressive, baisse de l'estime de soi, perte d'intérêt et de plaisir, sentiment de culpabilité, indécision. « Une subtilité est toutefois à saisir chez le résident âgé, pointe Ariane Nguyen, psychologue clinicienne à Nantes. Son tableau dépressif tourne autour de deux caractéristiques principales, la douleur et l'apathie, différentes des symptômes relevés chez une personne jeune. »,
Des caractéristiques propres au sujet âgé
La personne âgée dépressive va présenter davantage de symptomatologies somatiques. « Contrairement aux plus jeunes, ses plaintes ne vont pas concerner prioritairement l'humeur notamment une tristesse, mais davantage des douleurs physiques, des troubles du sommeil ou encore de l'appétit », souligne Ariane Nguyen. Les soignants en institution doivent y prêter attention. « Face à une personne âgée formulant une plainte somatique répétée, ils doivent s'interroger sur l'éventualité d'un tableau dépressif, prévient-elle. D'autant plus en cas de récurrence de la plainte, c'est-à-dire si la demande exprimée par le patient ne trouve pas de solution avec une prise en charge thérapeutique (pharmacologique/médicale/paramédicale) ou si elle devient l'élément central des rendez-vous. »
Seconde caractéristique : l'absence d'émotion exprimée ou l'apathie. Le patient va par exemple arrêter de se mobiliser, d'être aidant au cours d'une prise en charge, ce qui peut devenir lourd pour le soignant. « La subtilité pour le soignant est de parvenir à distinguer ce qui relève d'une perte de capacité physique liée à l'âge et de l'expression d'une dépression », met-elle en garde.
Les causes du syndrome dépressif
Les origines du syndrome dépressif sont multiples. « La base repose sur un sentiment d'impuissance empêchant d'agir, de penser et de ressentir », explique Ariane Nguyen. Le Pr Martin Seligman parle d'impuissance acquise : l'individu est confronté à des non-choix comme le fait de vivre en institution sans l'avoir choisi, tout en n'ayant plus la possibilité et les capacités de rester chez lui. « Ne plus être maître de sa vie peut amener à vouloir y renoncer », souligne la psychologue. À l'impuissance liée au non-choix s'ajoute celle due à une baisse des capacités physiques et cognitives, lui ôtant pouvoir d'action et autonomie.
Le risque dépressif peut être accentué par l'isolement social et sensoriel, ressenti par certains résidents en Ehpad. « Pour le comprendre, il suffit de repenser au confinement. Nous étions tous isolés de nos familles et amis, sans contact avec la nature, privés de la possibilité de sentir les odeurs ou le vent, rappelle Ariane Nguyen. Cet isolement accentue le tableau dépressif car les êtres humains ont toujours évolué grâce à la force du groupe. Nous avons besoin d'interactions humaines pour "vivre". »
Des réponses variées
Que faire lorsqu'un soignant s'interroge sur un syndrome dépressif chez un résident ? « Il est important, selon moi, de le partager avec ses collègues, estime Ariane Nguyen. Je pense qu'aucun professionnel ne doit porter plus qu'un autre une problématique d'humeur d'un résident. » La situation doit être discutée en staff, afin de mener une réflexion en pluriprofessionnalité, par exemple dans les temps de projet personnalisé du résident. « Les solutions doivent être pensées en groupe, chacun pouvant apporter une réponse en fonction de ses compétences », ajoute-t-elle.
L'une des mesures à envisager consiste toutefois à redonner du pouvoir d'action à la personne âgée. « Il faut qu'elle retrouve de l'importance et de la responsabilité », indique-t-elle. La démarche rejoint celle de la petite enfance. « Dans les deux cas, nous sommes face à des personnes vulnérables et dépendantes de l'autre pour les actes de la vie quotidienne, rapporte Ariane Nguyen. À la différence que l'une est dans l'acquisition de l'autonomie, l'autre en train de la perdre. » Pour stimuler la personne âgée ou la maintenir dans ses capacités, il faut la rendre actrice, lui permettre de décider pour elle-même et d'agir, en lui donnant par exemple le choix de sa tenue.
Il est aussi possible de solliciter son potentiel sensoriel et moteur. « Proposer des activités visant à mettre le corps, et donc la tête, en action, permet à la personne âgée de vivre un moment agréable », précise-t-elle. Il ne faut pas hésiter à parfumer, coiffer et maquiller les résidentes qui le souhaitent, privilégier le toucher-massage, pour leur offrir une niche sensorielle et affective. Cette démarche peut également être mise en oeuvre lors d'une mobilisation par un professionnel, par exemple un kinésithérapeute. « Il invite le résident à agir, à se mobiliser par lui-même, explique-t-elle. Bien entendu, il faut savoir où placer le curseur et avancer à tâtons. Dans certains cas, il peut être utile d'imposer une contrainte, dans d'autres, faire preuve d'un peu de souplesse. »
Autre moyen d'action : réinscrire la personne âgée, perçue comme inactive, dans un ordre social, « en favorisant les contacts entre soignants/résidents, à travers des liens intergénérationnels voire avec des animaux », conseille-t-elle.
La mise en place de ces outils n'implique pas pour autant de tendre vers un objectif de guérison. « Qu'elles soient ou non en bonne santé, les personnes âgées s'orientent inévitablement vers un déclin, il faut l'accepter », rappelle Ariane Nguyen. De fait, il ne faut pas se concentrer sur un objectif de guérison, au risque d'ailleurs de générer une forme de démotivation chez les soignants n'y parvenant pas. « Il vaut mieux chercher à déployer toutes les petites zones confortables pour la personne âgée, car le soin n'est pas nécessairement synonyme de guérison mais chaque petit mieux est une victoire », conclut-elle.