Arrêts maladie de courte ou longue durée, accidents du travail, maternité ou encore maladies professionnelles sont autant de motifs d'absence au travail. Au-delà du coût financier induit, cet absentéisme se révèle un indicateur dégradé de la présence de risques psychosociaux (RPS) au sein des organisations de travail. C'est le cas notamment en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).
Risques psychosociaux, l'autre coût de l'absentéisme en EHPAD
Lombalgie, grippe, gastro-entérite, dépression, maladie grave, maternité ou accidents du travail/maladies professionnelles (AT/MP) sont la cause d'absences plus ou moins longues dans les organisations de travail, sachant que «?les arrêts de court terme préparent souvent ceux de longue maladie?», observe pour sa part Philippe Patry, directeur d'un EHPAD de 72 lits au sein d'une fondation reconnue d'utilité publique en Seine-et-Marne.
La santé, le secteur le plus touché
En France, selon le 11e Baromètre de l'Absentéisme et de l'Engagement Ayming?1, le taux global de l'absentéisme - dans le secteur privé - était ainsi, en 2018, de 5,10?%, soit en moyenne 18,6 jours d'absence par an et par salarié. Un taux en progression sur les trois années précédentes, dont une hausse de +?8?% par rapport à celui de 2017 surtout sur les absences de plus de 90 jours. Toutefois, ce taux varie fortement selon plusieurs facteurs (caractéristiques individuelles et contexte professionnel). D'abord, selon la catégorie socio-professionnelle, les ouvriers étant plus souvent absents que les cadres (3,10?% pour les cadres en 2018 versus 6,21?% pour les non-cadres). Puis le secteur d'activité. Celui de la santé reste le plus touché (5,62?%), «?les salariés étant soumis à de fortes contraintes organisationnelles, physiques et psychiques?»1. Le genre également. Les femmes sont bien plus absentes que les hommes (5,73?% versus 3,83?% en 2018). À cela plusieurs raisons?: «?statuts plus précaires (temps partiels notamment), postes de travail générateurs de problèmes de santé plus importants (TMS...)?», mais aussi «?arrêts maladie liés à la grossesse?»1. Elles sont aussi plus exposées aux difficultés de concilier vie professionnelle et vie personnelle 2, ce d'autant plus lorsqu'elles vivent seules avec un enfant à charge. Autre variable, l'âge. L'absentéisme croît en effet avec l'âge des salariés (2,48?% chez les 25 ans et moins, jusqu'à 7,40?% chez les 56 ans et plus). Pour autant, ce 11e Baromètre Ayming note «?une dégradation de l'absentéisme de plus de 90?jours plus forte pour les salariés de 40 ans et moins (+?23?%) que pour les salariés de 41?ans et plus (+?9?%)?». Quoi qu'il en soit, «?en EHPAD, de façon générale, plus on prend de l'âge, notamment à partir de 45 ans, plus la difficulté s'amplifie?», constate Mohamed Ahmed Bacar, infirmier coordonnateur (Idec) dans un EHPAD privé du Val-d'Oise qui compte 96 lits. Et Philippe Patry d'ajouter?: «?Les soignants en fin de carrière sont souvent fatigués.?»
La taille de l'entreprise est encore un autre élément déterminant dans la fréquence et la durée des arrêts de travail, l'absentéisme pour maladie étant bien plus important dans les grandes entreprises. De même en est-il des conditions de travail «?puisque la pénibilité du travail augmente la probabilité de prescription d'arrêt maladie. La Dares 3 met en avant le rôle significatif de l'irrégularité des horaires et [celui] de l'exposition aux contraintes physiques et psychosociales?», notent les auteurs d'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur le sujet 4.
Un coût financier conséquent
Résultat, la progression de cet absentéisme au travail - qui n'est pas cependant un phénomène nouveau - engendre un coût conséquent qui ne cesse, lui aussi parallèlement, de croître. Certes, «?le poids de la dépense d'indemnités journalières (IJ) par rapport [aux] agrégats de la dépense de santé est relativement faible puisque les IJ représentent seulement 5?% de la dépense courante de santé et 10?% de la dépense de soins de ville (soit encore 6?% de l'Ondam en 2015)?», remarque l'Igas 4. Mais l'évolution des dépenses des IJ maladie et AT-MP n'en reste pas moins "dynamique" sur la période 1998-2015, suivant «?une tendance linéaire qui a pu être évaluée par la mission [Igas, NDLR] à +180?M€ par an (de l'ordre de +?3?% par an) pour le risque maladie et +?100?M€ par an (de l'ordre de +?4?% par an) pour le risque AT-MP?». Et les auteurs d'ajouter?: «?Depuis 2014, la dépense d'IJ est plus dynamique que la dépense courante de santé (+4,2?% versus +2,4?% entre?2013 et?2014, +?2,3?% versus +1,5?% entre?2014 et?2015).?» Un constat «?également valable en comparant la dépense avec celle de soins de ville ou de l'Ondam, puisqu'elle augmente de 3,8?% entre?2014 et?2015 contre 2?% pour l'Ondam et 2,5?% pour les soins de ville (et de 4?% contre respectivement 1,8?% et 2,3?% entre?2015 et?2016).?»
De son côté, l'Institut Sapiens, think tank libéral, estime, dans une étude parue fin 2018 5, que le coût "caché" de l'absentéisme, c'est-à-dire «?jamais comptabilisé ni dans les comptes de résultat ni dans les budgets?», serait de l'ordre de «?108?milliards d'euros, soit, en ordre de grandeur, de 4,7 points de PIB?». Un manque à gagner "gigantesque" donc pour «?les entreprises, l'État, et, en bout de course, la croissance française.?»
Le sujet des RPS en toile de fond
Au-delà du coût financier réel et/ou "caché" de l'absentéisme se profile plus largement le sujet des risques psychosociaux (RPS). En effet, l'absentéisme est un indicateur dégradé parmi d'autres - comme la hausse du turn-over de personnel, une détérioration de la qualité, des symptômes de stress chronique repérés par le médecin du travail 6... - de leur présence au sein de l'entreprise. «?L'absentéisme est la signature d'un mal-être au travail?; c'est une entrée dans un sujet bien plus vaste, celui de l'engagement des salariés, constate Philippe Patry. L'absentéisme en EHPAD est aussi à mettre en lien avec l'hygiène de vie des personnels, une problématique davantage culturelle ou d'éducation?», ajoute-t-il. Et ce dernier de s'interroger par exemple sur la manière d'effectuer un soin «?lorsque l'on a le ventre vide?». D'ailleurs, «?les accidents du travail liés à la manutention des résidents ou les blessures musculaires s'observent plus volontiers le matin à froid ou en fin de matinée (glissades ou problèmes musculaires)?», renchérit-il. «?L'absentéisme fait partie des problèmes majeurs liés à la cohésion d'équipe. Difficile en effet pour les équipes de continuer à faire avec les incapacités/restrictions médicales liées au port de charge de certains de ses membres?» ou encore avec «?les glissements de fonctions?», pointe de son côté Mohamed Ahmed Bacar. Que dire encore des temps de repos non respectés par certains salariés, accentuant de fait «?les risques de blessures?», observe M. Bacar. Un constat également partagé par l'une de ses pairs, Astride L., Idec dans un EHPAD privé (105 lits) des Hauts-de-Seine?: «?Certes cela est assez spécifique à l'Ile-de-France, mais il est vrai que nos vacataires travaillent sur leurs jours de repos. Et il en est sans doute de même pour certains de nos propres salariés en CDI.?»
Des leviers d'action néanmoins possibles
Il n'y a évidemment pas de recette miracle à l'absentéisme en EHPAD comme ailleurs car ce dernier est bien évidemment multifactoriel et pour une part incompressible 7. Quoi qu'il en soit, les managers (directeurs, directeurs adjoints, cadres de santé, Idec, gouvernantes) ont en la matière chacun un rôle clé quand bien même certaines directions peuvent vouloir «?jouer?» sur les remplacements pour ajuster quelque peu leur budget?!
«?Être respectueux des personnels, attentionné à leur égard?» mais aussi «?se faire respecter?», préconise pour sa part Philippe Patry. «?Vérifier l'organisation?» est aussi important. Exemple?: si les temps partiels peuvent être "confortables" pour les structures, ces derniers peuvent, en même temps, se révéler précarisants pour les personnes concernées par ce type de contrats et être source d'absentéisme et/ou de désengagement. «?Le passage à temps complet d'une soignante alors à 80?% lui a permis d'être à nouveau fonctionnante/opérationnelle, lui évitant l'obligation d'un 2e job en parallèle?», relate ainsi ce dernier. Outre la communication, «?essentielle?», ou encore «?la culture d'une réelle cohésion d'équipe?», c'est aussi sur différents leviers organisationnels que s'appuie M. Ahmed Bacar. Parmi ces derniers «?l'inclusion de clauses de remplacement dans les fiches de poste afin de réduire autant que faire se peut l'anxiété au sein de l'équipe - les remplacements s'effectuant à tour de rôle, avec un changement de code tous les trois mois -, la délivrance éventuelle d'une prime d'assiduité, ainsi que l'appui sur un pool de vacataires (AS, AMP, infirmiers) notamment pour certains étudiants.?» C'est également sur un pool de vacataires - dont certains à 50?% font presque partie de la "maison" - que s'appuie Astride L. au sein de son établissement, lequel «?permet une meilleure réactivité ainsi que des relations beaucoup plus sereines au sein de l'équipe?» tout en évitant le manque d'effectifs. Et de poursuivre?: «?Lorsque j'élabore les plannings au mois, je tiens compte des vacances, formations et j'anticipe le renouvellement de certains arrêts en demandant notamment à l'avance les disponibilités de certains vacataires.?» Idem pour Sabine Larderet, directrice d'un EHPAD (80 lits) du secteur commercial?: «?Hormis un protocole pour en travail en mode dégradé (absence inopinée par ex), j'axe beaucoup sur un pool de vacataires fixes qui connaissent bien les résidents - et leurs familles -, leurs besoins ainsi que leur projet de vie.?» «?Avec de la bienveillance, de l'écoute, de la reconnaissance, de la valorisation et un travail de communication, nous arrivons aujourd'hui à avoir des plannings avec un effectif au complet?», remarque encore Astride L. «?La question du bien-être au travail est un axe de réflexion. Cela passe par des actions de reconnaissance salariale ou autres (Noël des enfants du personnel, ateliers de yoga du rire, de sophrologie...), mais aussi par l'accompagnement en décelant le potentiel d'évolution de certains salariés, ou encore par une dynamique positive en amenant par exemple les soignants à faire autre chose que du soin, en partageant autre chose avec les résidents?», relate de son côté Sabine Larderet. Et de conclure?: «?Le travail en maison de retraite, c'est du donnant-donnant. Chacun doit pouvoir y trouver sa place, son utilité sociale. Tout est question de motivation et de projet d'établissement.?»
Danielle Julié / Richard Capmartin
Cabinet RC Human Recruitment