Les soignants exerçant au sein des établissements pour personnes âgées sont majoritairement des femmes, davantage concernées par les maladies professionnelles. La prévention est de mise.
Santé au travail : quelles spécificités féminines ?
D'après une étude publiée en juin 2022 par l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), les maladies professionnelles reconnues sont en augmentation très forte et constante pour les hommes et les femmes depuis 2001 : + 108 %. Cependant, de 2001 à 2019, elles progressent nettement plus rapidement pour les femmes (+ 158,7 %) que pour les hommes (+ 73,6 %). Dans les secteurs de la santé et du social notamment, les femmes exercent des métiers et occupent des postes de travail où les risques professionnels sont vraisemblablement sous-évalués et où les politiques de prévention sont encore insuffisamment développées. « Lors de l'entretien infirmier ou de la visite médicale, nous adoptons une démarche structurée commune à tous les salariés, mais nous adaptons notre interrogatoire et l'examen clinique à la profession de la personne prise en charge, indique le Dr Rostom Kerkacha, médecin de santé au travail chez Objectif santé travail. Cela nous permet de nous orienter par rapport aux risques identifiés dans les différents secteurs d'activités. »
Se former pour lutter contre les troubles musculo-squelettiques
Toujours d'après l'étude de l'Anact, les femmes sont davantage concernées par les troubles musculo-squelettiques (TMS) que les hommes. « De nombreuses soignantes exercent dans des établissements où elles prennent en charge des patients lourds, aussi bien en poids qu'en charge mentale et en sollicitations, explique le Dr Adrian Chaboche, médecin généraliste au sein du centre Vitruve à Paris. Elles me confient que physiquement, ce n'est pas facile, et il ne s'agit pas ici d'être dans le cliché de la femme fragile, mais bien de noter que les difficultés rencontrées sont liées aux différences de corps entre les hommes et les femmes ». « Nous en tenons compte dans notre évaluation, dans nos messages de prévention et lors de l'examen médical », poursuit le Dr Kerkacha. Les professionnels des services de santé au travail vont plus particulièrement s'intéresser aux problématiques rachidiennes ou aux membres supérieurs (épaules, coudes, poignets), premières zones concernées par des TMS. En prévention primaire et secondaire, « nous effectuons des rappels sur les bons gestes de manutention, sur l'importance d'utiliser du matériel et de savoir correctement s'en servir », indique le Dr Kerkacha. En prévention tertiaire, la maladie étant déjà présente, se pose alors la question du maintien dans l'emploi. « C'est le cas par exemple pour les lombalgies et sciatalgies en lien avec la manutention de la personne », ajoute Valérie Taffoureau, infirmière de santé au travail chez Objectif santé travail. « Lorsque la fragilité est installée, la personne doit quasi quotidiennement effectuer du renforcement musculaire afin de contrebalancer le travail demandé. » Une démarche d'autant plus importante que la souffrance physique peut participer à un épuisement professionnel.
Dialoguer pour éviter l'épuisement professionnel
L'épuisement professionnel est lié à une charge émotionnelle très importante, avec une volonté de bien faire, mais sans nécessairement disposer ni du temps ni des moyens pour y parvenir. « La situation peut être aggravée par le contact et la prise en charge des résidents atteints de troubles cognitifs », indique le Dr Kerkacha. De nombreux facteurs peuvent alourdir la charge mentale, et il relève de la médecine du travail de les détecter afin d'agir en prévention. « Le climat social de l'établissement, le turnover et l'absentéisme, qui impliquent parfois, pour ceux qui restent, de revenir travailler pendant leurs congés, entraînent de la fatigue génératrice d'épuisement professionnel », donne en exemple Valérie Taffoureau. En prévention, les échanges entre la direction, les responsables, les cadres et les équipes sont essentiels. La direction doit être à l'écoute des besoins des soignantes en termes de formation à des prises en charge ou encore de matériels adaptés aux résidents, ce qui participe à la reconnaissance du travail des salariés. « Pour lutter contre l'épuisement professionnel et encourager l'esprit d'équipe, il peut être utile de mettre en place des groupes de parole afin d'échanger sur la relation thérapeutique aux résidents », conseille le Dr Chaboche.
« L'évaluation des risques relève de la responsabilité des employeurs et donne des clefs pour prendre des mesures adaptées, souligne le Dr Kerkacha. Les services de santé au travail peuvent les accompagner en prévention individuelle ou collective, pour les mettre en place. Nous pouvons aussi faire intervenir des professionnels comme des ergonomes ou des psychologues. » C'est d'autant plus important que de nombreuses femmes cumulent souvent une « double journée », chargées d'assurer les tâches quotidiennes au sein de leur foyer. « La structuration familiale peut certes engendrer une fatigue mentale plus lourde chez certaines soignantes, mais pour d'autres, le fait de s'occuper de leur famille leur apporte aussi un regain d'énergie », tempère le Dr Chaboche.
La particularité de la grossesse
Dès l'annonce d'une grossesse, des mesures spécifiques doivent être mises en oeuvre, dont la prévention infectieuse avec l'application de gestes barrières. « En tant que soignantes, elles connaissent naturellement les règles de base, mais il est toujours utile de les rappeler, comme nous l'avons appris pendant la crise sanitaire », indique Valérie Taffoureau.
Une attention particulière doit être portée aux TMS, notamment durant les premiers mois. Parce qu'elles n'ont pas de ventre, les soignantes estiment pouvoir continuer à porter des patients. « Des aménagements de poste sans manutention manuelle lourde sont à mettre en place afin d'éviter des complications de la grossesse », prévient Valérie Taffoureau. Les services de santé au travail sont à leur disposition car « les situations diffèrent d'une femme à une autre. Il est donc difficile de faire passer des messages généraux », ajoute-t-elle. « Dans tous les cas, la femme enceinte est protégée par la loi et l'employeur est tenu de prendre en considération les aménagements nécessaires », insiste le Dr Kerkacha.