Avec ce gain historique de temps de vie supplémentaire par rapports à nos aînés, la société de la longévité devrait offrir à chacun plus de temps pour s'épanouir, pour se former, pour être heureux... En un peu plus d'un siècle, nous avons collectivement gagné plus de 36 ans de vie supplémentaire.
Société de la longévité, retraite, paradoxe du temps court et malheur de l'attente
D'une certaine manière l'augmentation formidable du temps de vie à la retraite (cette «?après-midi de la vie?» inventée et généralisée à partir des ordonnances de 1945, issue du programme du Conseil National de la Résistance dénommé «?Les jours heureux?») symbolise cette révolution silencieuse et majeure. Rappelons simplement qu'au moment de l'instauration de la retraite à 65 ans, l'espérance de vie était de 67,5 ans... Aujourd'hui, l'âge légal de la retraite est fixé à 62 ans, pour une espérance de vie au-dessus de 82 ans. En arrivant à la retraite, chaque personne a devant elle plus d'un quart de siècle pour inventer une nouvelle étape de vie. Les forts remous autour de la réforme des retraites s'expliquent par l'importance pour l'ensemble de la population de ce temps de vie.
À la recherche du temps perdu...
Mais d'une certaine manière la retraite fait exception, dans une société de la longévité où chacun a plutôt l'impression de manquer de temps, de souffrir de stress, de courir sans cesse... Le temps perdu dans les embouteillages, les accidents et pannes dans les transports en commun, les heures passées au téléphone, sur ordinateur ou devant des machines robotisées pour accéder à un service, à une information, en tapant sur son clavier et en tentant, parfois désespérément, de suivre les ordres (disons les indications...) d'une voix métallique... C'est aussi cela la société de la longévité?: un sentiment désagréable de perdre du temps, d'être un simple presse-bouton, de faire ce qu'avant un professionnel faisait pour vous et plus vite... L'innovation technologique donne souvent l'impression négative d'une déshumanisation des relations et d'être comme utilisateur pourvoyeur de service. Sans d'ailleurs que le prix pour ce service de moindre qualité n'ait nécessairement baissé (le transport par rail a fortement augmenté, tandis que l'aérien s'est littéralement écroulé). Nous sommes depuis longtemps entrés dans une société de services nous dit-on... C'est une réalité économique, sociale, comptable. Mais pas toujours culturelle et quotidienne.
Idéologie court-termiste
Les entreprises cotées sont pilotées par des logiques financières où il faut rendre des comptes à chaque trimestre. Les chaînes d'informations en continue sont des ogres jamais repus d'images instantanées et les réseaux sociaux fonctionnent à l'émotion de l'instant. Cette idéologie du court terme explique pour partie le mépris pour l'expérience, l'ode continue à la jeunesse, la valorisation de la nouveauté... Étonnez-vous, ensuite, que l'âge soit la première des stigmatisations dans l'entreprise. Étonnez-vous que dès 45 ans, le salarié soit considéré comme un senior, un pré retraité en puissance... Jamais l'espérance de vie n'a été aussi longue, et jamais l'espérance de vie au travail n'a été si courte.
Serge Guérin
Professeur à l'INSEEC SBE directeur de MSc « Directeur des établissements de santé ». Auteur de Les Quincados, Calmann-Lévy, 2019 et co-auteur de Médecines Complémentaires et Alternatives. Pour et Contre ?, Michalon, 2019