Dans la même semaine, j'ai eu à vivre deux moments d'échanges et de dialogues autour des thématiques liées à la révolution culturelle et sociale qu'entraîne la rupture démographique du vieillissement. D'un côté, les 2es Rencontres de l'innovation sociale à Rennes, des 23 et 24 janvier, étaient centrées sur le thème "Intergénération, solidarité, inclusion dans le logement social" ; de l'autre, à Dijon, du 26 au 29 janvier, le colloque "Droit de vieillir" a balayé, dans une perspective sociologique, un très large spectre de problématiques touchant au vieillissement à travers le monde.
Société du vieillissement, société de l'innovation
Les Rencontres organisées par le Fonds pour l'Innovation sociale de la Fédération des ESH (Entreprises sociales pour l'habitat) ont permis à plus de 200 personnes (bailleurs sociaux, associatifs, élus...) d'échanger sur des initiatives menées dans le parc social et favorisant le logement intergénérationnel.
Ces rencontres ont débuté par une visite de la résidence intergénérationnelle Simone de Beauvoir de Rennes (je reviendrai sur cette initiative dans une prochaine chronique) qui intègre sur un même espace des logements destinés aux plus âgés, avec des lieux pour les étudiants de l'IRTS et d'une IFSI, des logements pour des familles relevant du parc social ou du privé, sans oublier un habitat pour des personnes fragilisées par des handicaps physiques ou psychiques. Cette résidence réellement intergénérationnelle a été en particulier porté par le Ville de Rennes et le bailleur social Espacil habitat. Le lendemain, huit initiatives et projets menés conjointement par un bailleur social et une association de terrain ont été présentés, discutés, débattus... Ce que l'on peut retirer de ces échanges, outre, la diversité des idées et des histoires, c'est combien la question de l'intergénération prend une place centrale pour les acteurs de la ville. L'intergénération est vécue soit comme un levier en faveur de la production de lien social (avec par exemple la mise en oeuvre de jardins partagés comme à Cambrais par la Maison du Cil et l'association le Codes), soit comme un vecteur en faveur de l'inclusion sociale. Par exemple, le bailleur Neolia et la MJC Palentes sont venus expliquer comment ils avaient mis en oeuvre une action où des jeunes étaient formés et accompagnés pour réhabiliter des logements de personnes âgées. De leur côté, le bailleur Efidis et le Centre social 13 pour Tous ont témoigné d'une initiative où ils ont accompagné des femmes, de toute génération, pour qu'elles puissent reprendre leur place dans l'espace public et ne pas être cantonnées aux sorties des écoles et aux centres commerciaux. Un travail mené par une photographe a abouti à une exposition installant des portraits de femmes habitant le quartier.
Ces initiatives marquent combien la question du vieillissement oblige à repenser les conditions de l'intergénération et du vivre ensemble. Si la période est marquée par une souffrance sociale et une dérive vers toujours plus de précarité, dans le même temps, on voit aussi poindre des initiatives qui pollinisent la société et réinventent les solidarités.
De la même façon, à Dijon, le Riactis (réseau international de chercheurs en sociologie du vieillissement) qui organisait ces rencontres avec la Ville de Dijon et le Pôle de gérontologie interrégional (PGI) a permis de présenter plus d'une centaine d'études et de recherches et quantité de débats, forums, café des âges... À travers ces journées, il était possible de sentir, palper, comprendre combien la société des seniors est entrain de changer la société globale. Combien la question du vieillissement oblige à repenser les politiques d'habitat, de santé, de transport... Il a aussi été question de l'avenir des maisons de retraite, des enjeux spécifiques du vieillissement dans certaines zones géo-économiques.
Des travaux universitaires ont montré combien aussi, il est nécessaire de réfléchir aux conditions d'exercice de la parole pour les seniors, qu'ils soient de jeunes retraités, des aînés ou des personnes âgées en grande fragilité. Les journées du Riactis à Dijon ont aussi été l'occasion de la constitution du " réseau francophone des villes amies des aînés " qui entend permettre aux villes concernées de mieux mutualiser les expériences et les projets.
Cette succession de débats, de rencontres, de partage d'expériences montre combien la société du vieillissement ouvre vers une culture de l'innovation. Un constat qui va à l'inverse du discours dominant voulant laisser croire que le vieillissement ne peut qu'entraîner le déclin.
Serge Guérin
Professeur à l'ESG Management School
Vient de publier " La nouvelle société des seniors ", Michalon 2011