Dans le n° 95-juillet 2018  - Maryse Duval, directrice générale du GROUPE SOS Seniors  9961

Sommes-nous prêts à payer 300 euros d'impôts supplémentaires par an pour financer la perte d'autonomie ?

Entreprise sociale, le GROUPE SOS Seniors entend mettre l'efficacité économique au service de l'intérêt général. Surloyer solidaire, innovations technologiques, prévention, création de plateforme gérontologique... L'EHPAD de demain se construit dès maintenant. Interview.

Agnès Buzyn vient de dévoiler sa feuille de route. Qu'en pensez-vous ?

Maryse Duval: Les annonces faites par Madame la ministre sont en lien direct avec les propositions de notre plaidoyer publié en mai dernier. Il nous faut aujourd'hui penser un nouveau modèle de tarification, et résoudre les difficultés liées à la désertification médicale. Il y a de moins en moins de gériatres. Déplacer un senior d'un EHPAD dans un hôpital, reste toujours très traumatisant et onéreux. Et faire attendre une personne de 90 ans 6 heures sur un brancard, ce n'est vraiment plus possible. La télémédecine, la téléconsultation, la téléexpertise sont autant d'outils qui devraient simplifier l'approche médicale de demain.

Dans la même ligne, il nous faut repenser le rôle du médecin coordonnateur. Madame Buzyn a beaucoup insisté sur ce sujet. Le médecin co doit devenir un véritable prescripteur de soins. Quand 15 ou 20 médecins traitants différents interviennent dans un EHPAD, c'est forcément trop compliqué. Et c'est sans compter le fait que les médecins traitants se déplacent de moins en moins jusqu'à l'EHPAD, car c'est une perte de temps pour eux. On a tout à gagner en orientant le choix des résidents vers un médecin unique, qui serait le médecin coordonnateur.

La prévention semble être une valeur partagée...

Maryse Duval: C'est en effet le 3ème axe largement développé par Madame Buzyn et un élément prioritaire pour nous. Nous développons la prévention grâce à notre dispositif Seniors CONNECT + qui permet de prendre en soin les personnes vivant dans un rayon de 5 à 10 km autour de l'EHPAD. Nous sommes convaincus que la prévention va permettre de diminuer la dépendance. On vit tous de plus en plus longtemps mais les deux dernières années de la vie restent difficiles. Comment peut-on limiter cette dépendance qui est coûteuse pour la société et désagréable pour les personnes âgées conscientes de leur détérioration physique et intellectuelle ? Or en les stimulant, en réalisant des bilans de santé récurrents, on réussit à diminuer la perte d'autonomie. Cela passe par la pratique d'activités physiques dans l'EHPAD, la lutte contre la dénutrition, le fait de proposer des ateliers numériques pour maintenir le lien avec les proches ou de planifier une vie sociale très active...

Que pensez-vous du débat autour d'un 5è risque ?

Maryse Duval: La vraie question est de savoir si nous sommes, chacun d'entre nous, prêts à payer 300 euros de plus d'impôts par an. Nous allons vivre de plus en plus longtemps. Or nous voudrions tous partir à la retraite à 60 ans, vivre 25 ans avec le même niveau de revenus, en ne participant pas aux efforts de la société, bénéficier d'un EHPAD bon marché. Il va bien falloir mettre les pieds dans le plat. Et régler cette question du financement de la dépendance car c'est le nerf de la guerre. Mais nous n'échapperons pas selon moi à un paiement individuel d'une assurance dépendance. Le modèle japonais propose de cotiser à partir de 40 ans, un âge où l'individu est un petit peu plus à l'aise financièrement. Le montant est fixé à 40 euros par mois... Il faudrait étudier sa transposition dans le modèle français. Mais je pense qu'on n'échappera pas à ce financement et la logique japonaise me semble pertinente..

Comment appréhendez-vous le virage numérique ?

Maryse Duval: On a encore aujourd'hui des EHPAD qui ne sont pas équipés à 100% de wifi. Et des établissements qui vieillissent. Or la digitalisation, l'équipement ultra moderne se paye, souvent dans le prix de journée, et ce même si on s'appelle SOS.

Concrètement, et pour exemple, les premiers chariots de télémédecine qui nous ont été livrés n'étaient pas à la hauteur de nos espérances. Nous appréhendons de nouvelles technologies mais devons gérer des injonctions contradictoires comme celle de la protection des données. Comment transférer les données de télémédecine ? Comment le dossier unique prôné de toute part ne va t-il pas se heurter à la protection des données ?

Aujourd'hui il faut investiguer de nouvelles pistes numériques. Nous aimerions disposer de solutions en matière de reconnaissance vocale, car nous perdons beaucoup de temps à tracer les actes, voire de reconnaissance faciale, pour fluidifier la circulation dans les EHPAD. Les acteurs de la silver éco travaillent sur des sujets, qui ne sont pas forcément les nôtres. Nous avons besoin de solutions concrètes comme des robots humanoïdes pour favoriser les transferts de personnes, une aide à la manutention des sacs de linge, au port des déchets, ou produits d'incontinence particulièrement lourds...

Mais la vraie difficulté aujourd'hui reste quand même le recrutement ?

Maryse Duval : Avec 4,2 millions de personnes de plus de 85 ans en 2050, il manquera 9 millions d'infirmières sur la grande Europe. Ces chiffres interpellent. Aujourd'hui sur les EHPAD frontaliers du Luxembourg, nous n'arrivons pas à recruter d'infirmières ou d'aides soignantes. Nous manquons déjà cruellement de personnels. Mme Buzyn le signalait récemment, même en ouvrant les robinets, nous ne sommes pas en capacité de recruter, il n'y a pas assez de personnels formés. Il nous faut développer de vrais projets d'établissements, mais aussi trouver de nouveaux financements. Au Luxembourg par exemple, une aide soignante touche 2,5 fois le salaire français. Il est donc urgent de travailler à la valorisation de ces métiers.

Comment est perçu votre surloyer solidaire ?

Maryse Duval : C'est une initiative particulièrement bien reçue. Il s'agit d'expliquer en toute transparence qu'à l'image de la crèche ou de la cantine scolaire, le montant de l'EHPAD est défini en fonction des revenus de chacun. On reste dans des prix d'hébergement mensuels très en deçà du privé lucratif mais ce dispositif permet de disposer de marges de manoeuvre supplémentaires dans le tout habilité à l'aide sociale pour financer des travaux, des projets d'animation, des postes... Le but est bien d'optimiser la gestion de nos EHPAD, et les résultats sont très encourageants car chaque trimestre, de nouveaux départements nous rejoignent. Cela prouve que nous sommes sur la bonne voie.



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