Après une campagne présidentielle qui a évité les sujets liés à l'âge ou à la perte d'autonomie,... Serge Guérin explore quelques pistes. Face aux contraintes budgétaires, le "care" et l'innovation sociale apparaissent comme des leviers de croissance et de pacification de la société.
Sortir de l'équation budgétaire
La question du grand âge et de l'accompagnement de la perte d'autonomie ont été peu abordées dans la campagne électorale.
Ce n'est rien de le dire : le silence fut assourdissant. Les candidats ont mis de côté le vieillissement. Nicolas Sarkozy, n'ayant pas tenu son engagement de 2007, ne pouvait guère aborder le sujet. François Hollande a promis une loi-cadre sur le vieillissement et la dépendance mais n'a pas évoqué de budget.
Comment interpréter ce comportement des candidats ?
Ce silence interroge sur la capacité des politiques - et celle de l'espace public - à prendre conscience d'une réalité. Une réalité politique, économique et humaine car elle concerne des personnes en difficulté : les personnes en perte d'autonomie mais aussi leurs enfants ou leurs "aidants " qu'ils soient professionnels ou bénévoles.
Le 5e risque, l'intergénérationnel, l'implication des seniors dans la vie sociale, n'ont pas été mentionnés. C'est dommage car on aurait pu sortir de l'équation budgétaire, ouvrir le débat sur l'innovation sociale, sur le levier économique et social que représente le " care ". Cela aurait apporté une bouffée d'oxygène, une autre vision de la société et de l'avenir. Les 15 millions de retraités sont des acteurs de la société ! On n'a pas parlé non plus d'innovation technologique ni des services à la personne, lesquels sont un énorme gisement d'emplois non délocalisables, de tout niveau de qualification et de proximité.
Que peut-on attendre du président " du changement " ?
On peut se demander maintenant comment les enjeux de la perte d'autonomie vont être portés... En effet, comment, à moyens budgétaires contraints, peut-on aider les personnes fragilisées, les retraités dont une majorité relève des catégories populaires ? Rappelons que la retraite moyenne est de seulement 1 300 euros par mois. François Hollande s'est positionné pour une société pacifiée, pleine d'échanges et de coopération. Dans cet esprit, le " contrat intergénérationnel " est un symbole. Il faut le développer au-delà de l'emploi, le mettre en oeuvre entre les retraités et les autres générations. C'est parce qu'on vivra ensemble qu'on vivra plus longtemps et mieux. Je rêve d'un " Ministère des Solidarités et de l'intergénération ", qui valorise et accompagne les coopérations intergénérationnelles, les initiatives solidaires, l'économie sociale et les associations. Dans ce cadre, il faut souligner combien les retraités sont des acteurs essentiels de la solidarité, via le monde associatif, leur engagement dans les communes ou leur rôle d'aidants. Notre pays compte 4 millions d'aidants qui accompagnent à la fois les effets des maladies d'Alzheimer et autre et les simples effets du vieillissement. Il faudrait réfléchir à un statut pour l'aidant. Il définirait des droits, une rémunération ou a minima une aide fiscale, et des devoirs, en particulier celui de se former.
Faut-il plus de moyens aux politiques de santé ?
Avec le logement et l'emploi, la santé est une de nos préoccupations majeures. Rappelons que la majeure partie de la hausse des dépenses de santé n'est pas liée au vieillissement mais à l'innovation technologique, la consommation de médicaments.... Il faut certes renforcer les moyens investis dans la santé mais en misant d'abord sur la prévention qui permet d'améliorer, d'éloigner, de minorer ou d'éviter la survenue de maladies et les effets de l'avancée en âge. Dans cette optique, la dimension humaniste rejoint la problématique d'une meilleure gestion des ressources publiques. Les centres de prévention centrés sur une démarche personnalisée, peuvent sensibiliser et modifier les comportements, bien mieux que n'importe quelle campagne nationale très coûteuse _ et trop générale pour être utile. Faire un bilan de santé, rencontrer une diététicienne ou un tabacologue, tester son équilibre, sa vue et aménager son domicile en conséquence... sont autant d'outils personnalisés qui aident à rester autonomes plus longtemps. Il faut, je crois, s'inspirer des centres de prévention AGIRC-ARCO crées il y a plus de 30 ans et dont les résultats sont probants : 45% des personnes qui en ont bénéficié déclarent avoir changé leur comportement dans un sens de vie plus durable.
Il y a beaucoup d'autres exemples à suivre. Je pense à l'association Siel Bleu qui depuis 15 ans propose des activités physiques, réalisées par des pédagogues spécialisées, aux personnes âgées, mais aussi aux personnes en situation de handicap ou dans les entreprises. L'activité physique, y compris avec les plus âgés, surtout si elle s'inscrit dans une démarche plus globale, permet très vite aux personnes concernées d'être en meilleure situation, plus en relation avec les autres... Et de réduire leur consommation de médicaments. Une étude du cabinet Mc Kinsey a démontré qu'une généralisation de la démarche de Siel Bleu, uniquement centrée sur deux pathologies majeures (les chutes et le diabète de type II) ferait économiser à l'Etat 15 milliards d'euros sur trois ans.
Sur le plan social, la prévention est une démarche positive, elle propose du mieux vivre, aide à se projeter. Sur le plan économique, la prévention optimise la dépense publique. En prolongeant la période d'autonomie, elle réduit le nombre des bénéficiaires et la durée de l'aide. On préserve ainsi plus de moyens pour financer la perte d'autonomie, qui heureusement, il faut le rappeler, ne concerne qu'une minorité des seniors.
De quels autres leviers dispose François Hollande ?
La nouvelle décentralisation doit ouvrir le champ à des réponses adaptées aux conditions de chaque territoire et aux types de populations qui y vivent. L'enjeu, en particulier, est de résorber les inégalités géographiques qui touchent la France périphérique dont parle le géographe Christophe Guilluy : zones rurales, bourgs et villes éloignés des grandes métropoles.
L'État peut être accompagnant. Il peut assouplir la législation qui freine le développement d'initiatives comme le " balluchonnage ". Il peut favoriser le développement de nouvelles formes d'habitat : habitat choisi, partagé, intergénérationnel.... Les nouveaux seniors voudront dépasser l'opposition entre le vivre chez soi ou la maison de retraite médicalisée. Il faudra alors penser à des normes plus simples que celles qui submergent les EHPAD.
Par ailleurs, François Hollande s'est engagé à mettre en place un système de financement plus efficace pour les PME. Il importe de l'élargir à l'économie sociale : elle contribue bien heureusement à proposer des solutions d'accompagnement des plus âgés à des tarifs accessibles.
Tout n'est donc pas une question d'argent ?
On peut aussi mieux exploiter l'existant. Ainsi les EHPAD peuvent devenir des structures de soin ouvertes à tous. Les personnes âgées doivent-elles aller chez le médecin à chaque fois qu'elles ont une inquiétude ou doivent renouveler une ordonnance ? C'est une rente pour le corps médical ! L'impératif de prévention et la contrainte d'économie des deniers publics sont une formidable occasion d'innover. Par exemple en développant la rémunération au forfait des médecins, seul moyen de favoriser la prévention, ou encore en autorisant les infirmières et les pharmaciens à réaliser certains actes. Une partie de la réponse au problème des déserts médicaux réside dans une approche transversale, dans cette logique de réseau. L'EHPAD peut sans doute assurer tout ou partie des soins pour les populations environnantes et reprendre la fonction de l'hôpital de proximité, devenir un pôle de ressources médicales et de prévention, être un centre d'activités et de relations sociales...
Il y a encore d'autres leviers. Ainsi les entreprises sont de plus en plus confrontées à des salariés seniors dont les parents et les proches peuvent en perte d'autonomie. Les grandes entreprises, comme les collectivités locales, devront aider leurs salariés à s'informer sur la prévention, à trouver et mobiliser les dispositifs de prise en charge de la perte d'autonomie... L'Assemblée Nationale a adopté en janvier dernier la proposition de loi visant à permettre le don de jours de repos (RTT) à un parent d'un enfant gravement malade. On pourrait l'étendre aux personnes en perte d'autonomie. Enfin, de leur côté, les écoles peuvent agir aussi, monter des partenariats. Savez-vous que certains enfants d'école primaire ne voient jamais de personnes âgées ? La question du vieillissement c'est celle de toute la société.