Concilier la maîtrise du risque et le respect de la liberté individuelle des résidents : un véritable casse-tête éthique pour les directeurs d'EHPAD et les équipes. Un équilibre difficile à atteindre au regard de l'inflation des normes qui standardisent l'accompagnement des personnes âgées accueillies.
Sortir les EHPAD de la risquophobie
Le crédo du "risque zéro", ancré dans la société, pousse les pouvoirs publics à encadrer, réglementer de plus en plus le fonctionnement quotidien des EHPAD. Le principe de précaution et de sécurité est devenu une épée de Damoclès au-dessus de la tête des responsables d'établissements. Le risque pour un directeur ou une structure de voir sa responsabilité engagée sur le plan indemnitaire et/ou pénal fait le lit des dérives sécuritaires et de risquophobie au détriment du droit au choix des résidents.
L'ensemble des fédérations du secteur du grand âge dénonce, de longue date, une inflation normative financièrement coûteuse pour les EHPAD, mais également liberticide pour les résidents et réduisant comme peau de chagrin les moyens d'action des directeurs.
Une pression ?toujours plus forte
Les pouvoirs publics, certaines familles de résidents, voire le grand public attendent, à tort, des EHPAD une obligation de résultat en termes de sécurité des résidents. Or, juridiquement, les établissements sont tenus à une obligation de moyens. «Les établissements accueillant des personnes âgées subissent continuellement une pression toujours plus forte pour normaliser leur fonctionnement et rationaliser leurs dépenses. Une organisation trop rigide alliée à un souci d'écarter tout risque de mise en cause de la responsabilité des professionnels peut conduire à la négation progressive de la liberté, du droit au risque et du droit au choix des personnes âgées vivant en établissement ou à leur domicile, mettant à mal la dignité même de ces personnes comme expression d'un droit fondamental reconnu à tout être humain. Le droit au choix est celui de l'exercice de la liberté. La notion de liberté ne peut être dissociée de celle de la responsabilité. Il est difficile d'admettre que la liberté puisse être un exercice dangereux et nuisible pour soi ou pour les autres?», soulignaient, déjà en 2001, Alain Villez et Jean-Jacques Amyot, co-auteurs de l'ouvrage Risque, responsabilité, éthique dans les pratiques gérontologiques.
Plus de dix ans après, la nécessaire conciliation entre sécurité et bien-être des personnes hébergées conduit encore et toujours les équipes à s'interroger sur les pratiques professionnelles. «Perpétuellement écartelés entre soupçon de négligence, déni de soin et excès de pouvoir, les soignants sont en recherche de repères et de référentiels», selon la formule d'Alain Villez.
Poser les responsabilités ?de chacun
Quelle marge de manoeuvre? Dans le volet 4 de sa recommandation sur la qualité de vie en EHPAD, publiée en novembre?2012, l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) appelle les professionnels à «poser clairement les responsabilités de chacun dans les risques que veut prendre le résident». Un équilibre à trouver entre droits des personnes, respect des normes et droit au risque. Et l'ANESM de recommander notamment de «noter dans le dossier du résident les engagements réciproques du résident et des professionnels sur la prise de risque souhaitée par le résident, les moyens mis en place par l'équipe pour permettre cette prise de risque, les conditions de suivi et de réévaluation.» Pour sa part, chaque année, la Fondation de France encourage les initiatives et les projets dans le respect du droit au choix et au risque des personnes âgées. Cet appel à projets vise à récompenser les établissements, services ou associations, «qui améliorent la concertation autour des situations jugées à risque, favorisent la reconnaissance des capacités des personnes âgées ainsi que la prise en compte de leur parole et le respect de leurs choix, quel que soit leur état de santé ou leur âge». Bref, à sortir de la risquophobie.