trois questions à Edwige Picard, psychologue en Csapa et formatrice
L'alcool questionne-t-il les pratiques institutionnelles en Ehpad ?
Oui, et les formations que j'anime aujourd'hui à l'initiative de la Fnadepa témoignent d'un vrai intérêt. Quand j'ai commencé en gérontologie, il y a treize ans, les stagiaires me faisaient remonter une situation fréquente : il ou elle est agressif/ve, il ou elle a des comportements totalement inadaptés, le médecin est appelé, il prend la décision d'un arrêt brutal de l'alcool, abstinence totale, le résident est mis en sevrage « sauvage »... Il était décidé que ce n'était pas bon pour lui. C'est moins vrai aujourd'hui mais, à l'inverse, des stratégies de banalisation et de minimisation sont parfois à l'oeuvre.
C'est-à-dire ?
Il est vieux, c'est son petit plaisir, on va le lui laisser. L'entourage intervient d'ailleurs souvent en ce sens. Mais dans les deux cas, sevrage sauvage ou « petit plaisir » sans accompagnement, le problème n'est pas tant la consommation que les effets de la consommation : le comportement. Si on ne questionne pas la personne qui consomme de l'alcool, il n'y a pas d'altérité. La personne âgée est chosifiée, infantilisée, et parfois assignée comme intempérant notoire. Or, il n'y a pas d'âge pour arrêter, certains résidents sont très fiers de le faire, même tardivement. En addictologie, responsabiliser et rendre de l'autonomie est au coeur de la prévention et de la réduction des risques et des dommages. Ce « petit plaisir », il faut en parler avec les résidents, chercher à en connaître les motivations - parfois des histoires de vie douloureuses. Chez des personnes qui consomment depuis longtemps, l'entrée en Ehpad peut être l'occasion de juguler la mise en risque. Il faut débanaliser.
Comment ?
Par le passé, des Ehpad mettaient à disposition un quart de vin à midi, un quart de vin le soir, plus un apéritif le week-end. Quand on sait que les recommandations de l'American Geriatrics Society, c'est moins d'un verre par jour passé 65 ans ! Or, certaines personnes âgées peuvent se mettre à consommer après leur entrée en Ehpad, parce que cette entrée a été un choc pour elles et parce qu'il y a une facilité d'accès au produit.
Il faut donc travailler sur les règles de l'établissement, sur les relations avec les familles et sur les représentations du personnel - les formations sont importantes, les équipes sont souvent démunies. Et il est vraiment utile de créer et pérenniser des liens avec les acteurs de l'addictologie, pour des évaluations, et pourquoi pas des consultations avancées ou à la demande.