Trois questions à Solenne Brugère, avocate, cabinet B Ethics
Que pensez-vous de cette recommandation ?
L'installation des caméras dans les chambres par les Ehpad soulevait des interrogations juridiques et éthiques. Dans l'équilibre à trouver avec l'objectif de sécurité, elle confirme la primauté du respect de la vie privée et de l'intimité des résidentes et résidents, pour protéger leur vie affective, sexuelle, familiale, ainsi que la proportionnalité du contrôle de l'activité des équipes. Dans notre rapport de 2019, Fabrice Gzil et moi-même avions mis en garde contre la tentation d'installer des caméras « anti-maltraitance » en continu. Nous avions conseillé de ne pas suivre les exemples québécois ou texan, trop attentatoires aux droits, libertés et à la dignité, et risquant de rompre le lien de confiance avec les familles, qui sont quant à elles invitées à agir en concertation avec l'Ehpad si elles souhaitent installer une caméra. Le cadre de la Cnil est clair et précautionneux : la pose de caméra est un ultime recours.
Lever le doute, dites-vous, mais les Ehpad sont-ils outillés pour mener des enquêtes internes ?
L'enquête interne vise à vérifier si un geste, une parole, une action ou un défaut d'action peut constituer une maltraitance au sens de la définition créée par la loi Taquet du 7 février 2022, qui inclut la violence physique citée dans la recommandation, mais aussi sexuelle, verbale, médicamenteuse, les négligences de soins, etc. Elle s'articule avec l'obligation d'information des autorités posée par L. 331-8-1 du CASF et celle de signalement de l'article 434-3 du Code pénal. Une nouveauté est aussi à prendre en compte : la loi « Bien vieillir » du 8 avril 2024 vient de créer une cellule chargée, au niveau régional, de recueillir, suivre et traiter les signalements de maltraitances... Dans l'attente d'un éventuel protocole, je compte proposer une méthodologie dans mon guide pratique en cours de préparation.
Et l'analyse d'impact relative à la protection des données ? Là aussi, les Ehpad ne vont-ils pas se sentir démunis ?
L'AIPD est obligatoire lorsqu'un traitement de données personnelles est susceptible d'engendrer un risque élevé pour les droits et libertés. Les données de santé de personnes vulnérables par exemple : les Ehpad sont donc soumis à cette obligation que beaucoup vont découvrir via cette recommandation de la Cnil !
La Cnil a édité un guide pour réaliser cet outil afin d'avoir un traitement conforme et respectueux de la vie privée. Avec les directions, nous pouvons aussi saisir la Cnil pour vérifier leur conformité. Il ne faut pas hésiter.