Nouveau métier, nouvelles compétences : Vincent Pereira se positionne comme poste avancé dans la lutte contre la iatrogénie médicamenteuse en Ehpad.
Un IPA vigie des risques de la polymédication
Infirmier au sein de l'Ehpad public de Régny (Loire) pendant 12 ans, le nombre important de traitements administrés aux résidents m'a toujours posé question. Voulant faire évoluer ma pratique, je me suis engagé avec le soutien de ma hiérarchie dans la formation d'infirmier en pratique avancée (IPA) mention Pathologies chroniques, en faisant d'ailleurs de la polymédication du sujet âgé le sujet de mon mémoire de fin d'études.
IPA depuis septembre dans les Ehpad de Régny et de Saint-Symphorien-de-Lay, communes rurales sous-denses en médecins, j'ai entrepris de mettre en oeuvre l'une des compétences des IPA : le renouvellement et l'adaptation de la prescription initiale du médecin. Avec pour objectif d'optimiser la prise en soin.
Polypathologies et polyrisques
Les polypathologies sont monnaie courante en Ehpad. Elles justifient l'association de plusieurs médicaments mais avec des risques iatrogènes, notamment aggravés en cas de « prescriptions mille feuilles » par différents médecins, traitants, spécialistes et parfois hospitaliers. Le seuil de polymédication est souvent établi à cinq médicaments avec au-delà un risque d'interaction de 82 %, et il est admis que l'utilisation de neuf médicaments ou plus est corrélée avec les effets indésirables chez les personnes âgées. On parlera « d'hyperpolymédication » au-delà de dix médicaments par jour.
L'enjeu est de trouver un équilibre entre le maintien d'une thérapeutique et l'interruption ou l'ajustement de prescriptions inadaptées : sous-prescription, sur-prescription, prescription inappropriée ou mésusage.
Les médicaments potentiellement inappropriés chez le sujet âgé les plus retrouvés dans la littérature scientifique sont : les psychotropes comme les neuroleptiques, benzodiazépines et hypnotiques qui aggravent les troubles cognitifs et majorent le risque de chutes ; les hypoglycémiants et notamment les sulfamides à longue durée d'action (risque de chute lié aux hypoglycémies) ; les hypotenseurs et notamment les vasodilatateurs (risque de chute par hypotension) ; les anticholinergiques qui aggravent les troubles cognitifs.
Par ailleurs, même dans le vieillissement normal, les changements physiologiques exposent les personnes âgées aux événements indésirables et interactions médicamenteuses. En effet, tout médicament doit être considéré dans le contexte d'une pharmacocinétique modifiée (absorption, distribution, métabolisme et excrétion du médicament), d'une pharmacodynamique modifiée (effets physiologiques du médicament) et de changements liés à l'âge dans la composition corporelle et la physiologie.
Évaluer la fragilité
L'évaluation de la fragilité est encore loin de faire partie de la pratique clinique de routine. Or à mon sens, l'IPA est à même de proposer des stratégies d'ajustement thérapeutique en les mettant en corrélation avec les fragilités des résidents afin de prévenir le risque de décompensation de pathologies chroniques ou d'apparition de complications évitables.
Dans ce cadre, l'évaluation gériatrique globale (EGG) est une démarche de référence. Elle permet de réaliser une photographie multidimensionnelle de l'état de santé des résidents, d'analyser le risque de pathologie iatrogène et d'assurer sur le long terme un suivi au plus près de leurs besoins.
La version simplifiée du score de risque en gériatrie de Trivalle est un outil, validé pour les personnes de plus de 65 ans, qui permet de dépister le risque d'événement indésirable médicamenteux : faible, moyen ou fort.
Lui aussi validé, le Stopp/Start est un outil de détection de la prescription médicamenteuse potentiellement inapproprié. Il est très utile pour évaluer la pertinence de certains traitements toujours en lien avec les éléments cliniques et les fragilités retrouvées lors de l'EGG.
Loin d'un simple recopiage !
Le renouvellement d'ordonnance est ainsi loin d'être un simple recopiage de ce qui a déjà été prescrit par le médecin traitant ! L'IPA s'inscrit dans une démarche de questionnement continu de l'intérêt de telle ou telle molécule avec une vision holistique. Car le traitement médicamenteux pourra par exemple être complété (ou remplacé !) par des thérapies non médicamenteuses : stimulation cognitive et sociale, travail sur les troubles de l'équilibre, lutte contre la dénutrition, la constipation... Cela va également dans le sens des recommandations de la Haute Autorité de santé d'une prise en charge non médicamenteuse réduisant sur le long terme le nombre de molécules prescrites.
Pour moi, le métier d'IPA est l'une des réponses aux enjeux actuels et futurs de santé. Le renforcement de son analyse clinique et le développement de son expertise gériatrique doivent lui permettre de développer son autonomie et sa capacité à soutenir son positionnement, complémentaire, vis-à-vis des médecins. Son rôle de transversalité lui permet de travailler en étroite collaboration avec le médecin coordonnateur, le pharmacien référent, les médecins traitants et l'équipe infirmière. Nous sommes d'ailleurs ensemble en train de réaliser un livret thérapeutique interne visant à mettre en oeuvre les traitements les plus adaptés à la population gériatrique.