Didier Sapy, directeur de la FNAQPA (Fédération Nationale Avenir et Qualité de vie pour Personnes Âgées) porte un regard mitigé sur l'action des ministres de tutelle du secteur. D'un côté il reconnaît une approche plus large et plus transversale, compréhensible par tous, de l'autre il fustige la volonté de standardisation des établissements et la déviance du budget de la CNSA.
Un triple A... et quelques réserves
Le futur projet de loi sur l'autonomie comprendra trois grands volets : " anticipation-prévention ", " adaptation de notre société au vieillissement " et " accompagnement de la perte d'autonomie ". Que pensez-vous de ce triple A ?
J'ai deux remarques sur le triple A. D'abord on change de sémantique, ensuite on élargit la problématique à la société.
Le changement de sémantique est le bienvenu. On parle d'adaptation, d'accompagnement, de vieillissement. C'est plus positif que les termes de " prise en charge " ou " EHPAD ". Cette sémantique révèle un changement d'approche : on élargit la thématique du grand âge à toute la société. L'adaptation au vieillissement, c'est exactement de cela qu'il s'agit. Les personnes âgées ne sont plus les mêmes.
La philosophie générale est intéressante, le vocabulaire parle aux gens. Tout cela dénote de la part de la ministre une volonté de sortir de la prise en charge institutionnelle et médicale. Enfin, j'ai entendu plusieurs interventions de Madame Delaunay, je l'ai rencontrée au Ministère puisqu'elle a reçu la FNAQPA, comme les autres organisations. Je trouve qu'elle est cohérente, dans cette philosophie et dans la stratégie par rapport à la préparation de la loi. Nous avons donc beaucoup d'attentes sur cette nouvelle vision, ce décloisonnement.
Anticipation, Adaptation, Accompagnement... que vous inspire le " triple A " de Madame Delaunay ?
Le point positif c'est que la ministre ne refait pas le monde en demandant des rapports sur des axes déjà explorés. L'autre point fort, c'est la complémentarité des missions. Si les rapporteurs s'entendent, cela a l'air d'être le cas, cela peut être très productif.
Le volet Anticipation-prévention est confié au Comité " Avancée en âge : prévention et qualité de vie ". Je trouve l'approche intéressante : le comité travaille très en amont. Il ne regarde pas seulement ce que doivent faire les gens de 60 ans pour éviter des problèmes à 70 ans... il prend les choses plus tôt et c'est bien.
Le deuxième volet, l'adaptation de la société au vieillissement est un sujet qui vous tient à coeur...
Oui, il soulève la question de transversalité dans les politiques publiques. Actuellement cette transversalité n'existe pas ou très peu. Les élus locaux, les documents administratifs qui devraient tenir compte des personnes âgées, les PLU (Plan Local d'Urbanisme) ou les plans de déplacements urbains...) s'en soucient peu.
Adapter la société au vieillissement, c'est favoriser le parcours résidentiel de la personne, un parcours qui doit être personnalisé. Cela demande de partir des attentes de la personne, de son milieu de vie, pour construire des réponses. Ne partons plus des structures existantes, du cloisonnement Domicile/établissement, de besoins déterminés par les professionnels, les soignants ou les pouvoirs publics... Enfin la mission confiée à Luc Broussy sur l'adaptation de la société au vieillissement devrait j'espère déboucher sur des propositions innovantes.
Enfin, la mission Pinville doit identifier les bonnes pratiques en matière de prévention et d'adaptation au vieillissement en Europe. Elle s'intéressera plus particulièrement au Québec, en Suède et en Espagne. Pourquoi ces pays ? Je ne sais pas. En tout cas, le benchmarking (analyse comparative) est toujours utile. Et si cela aboutit à ce que la loi s'inspire de ce qui se fait en Suède ou au Québec, notamment sur la mise en oeuvre de projets de vie individuels, alors tant mieux.
Tout serait donc positif dans ce travail ?
Le seul bémol que je mets sur ces missions concerne le délai. Je ne comprends pas pourquoi on demande aux rapporteurs de remettre leurs travaux en décembre 2012 alors que la loi est prévue en 2014. N'est-ce pas confondre vitesse et précipitation ? Un travail de qualité demande du temps. Parallèlement, tout cela ne nous dit pas ce que contiendra le projet de loi et quels seront les moyens qu'on y affectera... L'ambition est large, les moyens le seront-ils ? Nous nous méfions : en quinze ans, nous avons été échaudés. Peut-être une loi " Autonomie ", peut-être en 2014...
Les discussions sur le PLFSS sont en cours. Que pensez-vous des orientations qui ont été prises ?
Dans l'état actuel du PLFSS, il y a eu des arbitrages positifs. Avec 1,4 %, le taux directeur de soins redevient sérieux. De même, les crédits de médicalisation sont raisonnables. Néanmoins, le maintien de la convergence tarifaire est décevant. Les montants en jeu sont tellement symboliques qu'on ne comprend pas. On la comprend encore moins en sachant qu'il y a un an, Marisol Touraine et Michèle Delaunay, alors dans l'opposition, signaient des documents contre la convergence. Les ministres n'ont donc pas pris conscience que cette mesure est inéquitable et mal conçue ?
Je m'insurge également contre la déviance de la construction du budget de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie). Le PAI (Plan d'aide à l'investissement) est devenu un outil majeur et pourrait même être plus conséquent. Toutefois il a été créé sur les réserves de la CNSA, il est donc financé par des crédits qui devraient servir à recruter du personnel soignant dans les établissements ! Il y a deux ans, l'amendement Poletti a mis en place un prélèvement sur la CSA (contribution solidarité autonomie) pour financer le PAI, et cette mesure semble se pérenniser. Je ne suis pas d'accord sur ce mode de financement. De plus, l'utilisation des réserves est devenue un sujet de discussion prioritaire à la CNSA. Le vrai sujet devrait être : comment faire pour ne pas constituer des réserves et pour que l'argent parvienne à destination ? Michèle Delaunay a dit qu'elle allait se saisir du dossier, je ne vois rien venir. En septembre, nous étions prêts à travailler avec l'État pour bien terminer l'année et éviter ces réserves. Notre offre de services est restée lettre morte. Nous entendons des rumeurs sur la sous-consommation de 2012. Pourquoi ne pas en discuter maintenant plutôt que d'être mis devant le fait accompli ? Une bonne chose toutefois : les réserves de la CNSA n'ont pas été utilisées pour construire l'OGD (objectif global de dépenses). Mais je persiste à dire que renoncer à la convergence tarifaire aurait été un signe plus fort et moins coûteux.
Qu'en pensent les adhérents de la FNAQPA ?
En l'état des choses, les problèmes des directeurs d'établissements et services restent sans réponse. On parle partout de long terme alors que les directeurs eux sont sur le court terme. Ils ont du mal à accepter que la réflexion porte sur ce qui se fera dans 20 ans. C'est un travers qu'on a déjà connu. J'avais deux grands-mères en maison de retraite. Ce qui était prévu pour 2050 ne changeait pas leur quotidien ! Le problème du champ de réflexion gérontologique, c'est qu'il se structure sur des politiques à long terme - c'est un cas assez rare d'ailleurs. Mais à force de chercher des solutions à long terme, on en oublie un peu de résoudre les problèmes immédiats, et c'est cela qu'attendent d'abord nos adhérents.
Comment regardez-vous l'avenir ?
Nous avons l'impression d'être en résistance profonde contre la volonté des pouvoirs publics de standardisation, de " sanitarisation " des établissements. Les EHPAD sont des lieux de vie, nonobstant le sigle qui n'est pas très vivant... Le terme " maison de retraite " contenait au moins le mot maison. Pour les résidents, les soignants et les dirigeants, cette notion est essentielle.
Actuellement l'EHPAD tend à être du sanitaire sous-financé. Rappelons que le modèle EHPAD est multiple. Il varie selon le territoire, selon l'articulation des acteurs, leur complémentarité sur ces territoires. Certains EHPAD peuvent avoir un projet d'établissement autour de la grande dépendance, de techniques de soins plus fortes. Ce n'est pas le cas de tous. Certes la blouse blanche est rassurante mais il n'y a pas que cela dans la vie d'un établissement. Les attentes des résidents ne sont pas tournées vers le médical. Le soin est un moyen de la qualité de vie, pas un objectif en soi. La majorité des établissements, je parle toujours des adhérents de la FNAQPA, ne veulent pas perdre de vue la dimension sociale de l'accompagnement. L'avenir de l'accompagnement passera par le développement d'un projet social, qui correspond au projet individuel des habitants. Le logement-foyer est considéré comme un domicile, l'EHPAD doit l'être tout autant.