On le sait le monde politique fonctionne sous serre. Les profils sont particulièrement restreints et la norme reste dominée par la figure du haut fonctionnaire passé par l'ENA ou par des élus venus du monde de la profession libérale. De plus en plus les parcours se professionnalisent. Les élus et leurs assistants tournent entre eux. Géroscopie a organisé un échange entre Jeanine Dubié, députée des Hautes-Pyrénées et ancienne directrice d'une maison de retraite, et Serge Guérin, sociologue, professeur à l'INSEEC Paris, et chroniqueur pour Géroscopie.
Une ancienne directrice d'EHPAD à l'Assemblée nationale
Serge Guérin?: Jeanine vous faites figure d'exception dans le monde consanguin de la politique?! Vous n'étiez en rien destinée à devenir députée??
Jeanine Dubié - C'est vrai. J'ai toujours eu des engagements. J'ai adhéré à 23 ans au Parti Radical de Gauche mais je n'étais pas programmée pour être élue. J'ai commencé à travailler en 1982 et j'ai continué jusqu'en 2012, même si j'exerçais un mandat départemental depuis 2008. Mais c'est seulement depuis que j'ai été élue à l'Assemblée que je suis dans la sphère politique à plein-temps.
Mais dès vos études, vous aviez la fibre sociale. Pas nécessairement celle d'accompagner les personnes âgées mais en tout cas celle d'être du côté du social, de l'accompagnement des autres. D'ailleurs les politiques actives et un peu novatrices autour de la personne âgée datent du milieu des années quatre-vingt.
Oui j'ai été un peu aspirée par les innovations portées à cette période. Après un Deug de psycho, j'ai fait l'école de service social de Pau durant trois ans. Mon premier poste, le 1er?janvier 1982, c'était au Centre Hospitalier de Lourdes, comme assistante sociale hospitalière. C'était formidable de pouvoir accompagner les malades et leur famille, les aider à préparer leur sortie...
On oublie trop que le soin ne se limite pas au médical, qu'il faut anticiper et penser globalement la santé de la personne. La notion d'accompagnement social comme élément du soin reste à promouvoir. Oh oui. On a diminué voire supprimé les postes d'assistantes sociales à l'hôpital pour créer des systèmes type Clic mais cela se passe à l'extérieur de l'hôpital.
De plus en plus de choses vont se faire à l'extérieur de l'hôpital... Mais revenons à vous.
J'ai très vite évolué dans le secteur des personnes âgées car Joseph Franceschi, le premier secrétaire d'État aux personnes âgées, avait initié, par la circulaire du 7?avril 1982, la notion de coordination des actions en faveur des personnes âgées. Vous voyez d'ailleurs que la notion de coordination ne date pas d'hier?! On n'avance pas si vite...
La circulaire, il y avait des moyens à l'époque, prévoyait la création de 500 postes de coordonnateurs. L'hôpital de Lourdes en a obtenu un et j'ai donc été l'un des 500 premiers coordonnateurs. Il y avait tout à faire. Il fallait mieux assurer le lien entre l'hospitalisation et le retour à domicile. C'est un sujet qui reste d'actualité et qui me semble encore devoir être amélioré.
Vous avez fait ce métier longtemps??
Jusqu'en 1990. Après j'ai été recrutée par le Conseil Général pour mettre en place le service d'accueil familial personnes âgées et handicapées, puis chargée de mission du développement local. C'était passionnant d'accompagner et d'élaborer des projets sur des territoires où les besoins étaient immenses. Dans le cadre de ces projets, je me suis attachée à promouvoir le développement de services d'accompagnement à domicile. En 2000, nouvelle étape?: nommée chargée de mission en charge des établissements à la Direction de la Solidarité Départementale (DSD), je me suis occupée de la tarification des ESMS de l'enfance, des personnes âgées et des personnes handicapées. C'est là où j'ai mesuré cette injustice incroyable de traitement des vieux par rapport aux autres publics. Il y avait un ratio de 1,2 professionnel pour un enfant, de 1 pour une personne en handicap et de 0,4 pour une personne âgée. Et les choses ne se sont pas tellement améliorées...
On revient à cette histoire de barrière d'âge parfaitement anachronique. Aujourd'hui vous êtes toujours une personne dite âgée lorsque vous franchissez la frontière invisible des 60 ans mais vous devez continuer de travailler jusqu'à au moins 62 ans quand ce n'est pas 65 ans. C'est légèrement contradictoire?! À quel moment faites-vous vos armes en maison de retraite??
Attendez un peu?! En 2001, je quitte mes fonctions pour devenir directrice de cabinet de Jean-Michel Baylet, au Conseil Général du Tarn-et-Garonne. Cela a duré presque deux ans où j'ai mesuré, de l'autre côté, les contraintes et les leviers d'un exécutif départemental. Mais j'ai voulu revenir à des fonctions plus opérationnelles. J'ai pris la direction de la maison de retraite "?Accueil du Frère Jean?", à Galan dans les Hautes-Pyrénées qui était en difficulté. Il y avait tout à faire?! Il fallait redonner une âme à la maison, réapprendre aux personnels à travailler ensemble, redéfinir les conditions de la prise en soin...
On parle d'un établissement de quelle amplitude??
Nous avions 80 résidents puis 4 accueils temporaires. C'est un EHPAD associatif.
C'était une période difficile?? Est-ce que les directives nationales aident une directrice concrètement dans son activité, par rapport à son projet??
Les cinq premières années ont été à la fois très prenantes, complexes et passionnantes?! Je me suis attachée à travailler sur la perception de la personne âgée par les personnels. Il s'agissait de faire évoluer les mentalités de l'ensemble des personnes qui d'une manière ou d'une autre sont au contact et au service de nos résidents. À mon arrivée, pour beaucoup de salariés, la personne âgée avait juste le droit de dire merci. Il fallait travailler sur la notion de respect de la personne, sur ses droits, sur la compréhension de ses fragilités. Mais je crois aussi que nous pouvons aborder ces questions, en essayant, dans la mesure des possibilités physiques et mentales, de mobiliser les facultés du résident âgé.
Le résident est pour vous un client??
Bien sûr?! C'est lui qui paye. C'est aussi pour cela que nous avons amélioré le confort de l'ensemble des espaces. Ainsi on a créé un jardin d'hiver où même les moins valides pouvaient voir évoluer les saisons. On a pensé des salons par étage, qui permettent aux résidents de se retrouver, jouer à la belote, au scrabble. On a mis, par exemple, des glaces dans les chambres. Alors qu'à l'époque on disait que c'était inutile voire dangereux pour les personnes touchées par des maladies neurologiques. Pour moi c'est important que la personne puisse se voir. Elle a le droit de faire attention à elle, de s'habiller, d'être coquette...
Il fallait aussi expliquer aux familles, que de laisser la personne faire des choses, même peu, même mal, même lentement, c'est mieux que de faire à sa place...
Essayer de faire ensemble aussi... Vous êtes arrivée au moment de la mise en route des conventions tripartites obligatoires. Cela a-t-il joué un rôle dans votre démarche??
Assurément oui. L'obligation de conventionner conduit à faire évoluer le projet d'établissement. À professionnaliser les approches, à se donner un cadre pour suivre les évolutions. Souvent les autorités de tarification pèsent trop lourdement sur nos activités, mais ces conventions ont plutôt, je crois, permis de structurer nos approches. Cela a conduit aussi à travailler sur les pratiques, les protocoles...
Reste que tout cela nécessite des moyens et du temps. Ce sont plus de 8?M€ qui ont été investis dans les travaux de rénovation et de mise aux normes.
Vous parlez de cette période avec des étoiles dans les yeux?!
Ce fut la période professionnelle la plus belle de ma vie?!
Avant de devenir députée, vous avez été élue au Département. Vous avez mené les deux activités de front??
Oui. Je suis passée à 80?% pour exercer mon mandat. Je n'avais pas de fonctions exécutives mais j'ai tenté de faire passer des messages. Par exemple sur la stupidité de la tarification qui fait que pour avoir des ressources il vaut mieux avoir des GIR 1-2. Donc il n'y a pas d'intérêt financier à soutenir l'autonomie des personnes. C'est absurde?!
En 2012, vous remportez l'élection. Une directrice d'EHPAD à l'Assemblée... Quel bilan en tirez-vous après trois ans??
C'est un monde assez fermé, déroutant, avec des codes que j'ai mis du temps à comprendre. Il faut du temps pour trouver sa place lorsque l'on n'est pas du sérail. Je voulais rester en lien avec le terrain, les problèmes des gens et en même temps prendre ma part au débat, tenter de faire bouger les choses, alerter... Je n'ai aujourd'hui qu'un seul mandat et si je le perds, mon parachute c'est mon métier. Cela me donne une certaine sérénité, une certaine capacité à m'affirmer, à défendre mes idées et faire passer les messages.
Pour terminer, on a le sentiment que la question du vieillissement n'est pas très présente dans l'agenda politique, vous confirmez??
Malheureusement oui. La loi qui fut initiée par Michèle Delaunay est très positive, en particulier par rapport au soutien aux aidants, mais on est encore une fois passé à côté de l'enjeu majeur?: instituer une protection sociale du grand âge. Ce que vous avez appelé la seniorisation est loin d'être une prise de conscience de la majorité des politiques...