La Drees publie une comparaison inédite des caractéristiques des personnes de 60 ans ou plus selon leur lieu de vie, domicile ou Ehpad. Les résultats documentent utilement la réflexion à mener sur les politiques publiques du grand âge.
Une étude de la Drees surligne les enjeux du virage domiciliaire
Veuvage, nombre d'enfants vivants, revenus, fonctionnalité de la marche, de l'utilisation des mains, problèmes de mémoire... Un dossier de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) fait une comparaison inédite des caractéristiques des plus de 60 ans selon leur lieu de vie, à domicile ou en établissement[1]. En effet, le traitement de données personnelles Care, pour « Capacités, aides et ressources des seniors », destiné à l'étude statistique de la perte d'autonomie des personnes âgées et réclamé depuis longtemps par les chercheurs, a obtenu son feu vert par un décret du 26 mars 2015. Son ambition ? Mieux connaître les conditions de vie des seniors, leurs relations avec leur entourage, leurs difficultés à réaliser certaines activités de la vie quotidienne, leur recours aux soins ou aux aides techniques, les aides financières et humaines qu'ils reçoivent pour surmonter ces éventuelles difficultés...
Deux focales pour une même photo
Les deux premières enquêtes Care-Ménages et Care-Institutions ont été menées par la Drees en 2015 et 2016 auprès d'environ 14 000 personnes âgées. Elles les ont interrogées pour la première fois avec des indicateurs harmonisés et comparables. Care-Ménages a été précédée d'une enquête « Vie quotidienne et santé » permettant de disposer d'une première estimation du niveau de dépendance des personnes pour constituer un échantillon pertinent.
Care-Institutions a été réalisée par Kantar Public (ex-TNS Sofres) dans 700 Ehpad, Ehpa et Usld répartis sur 30 départements auprès d'environ 3 000 résidents et autant de proches qui leur apportent leur soutien.
Les résultats clés de l'étude présentés par Delphine Roy (Drees et Institut des politiques publiques) confirment certaines données dont on disposait par croisement statistique mais, grâce à ses deux focales, affinent la photo :
- La vie en établissement concerne 9 % des 75 ans ou plus, essentiellement des femmes ;
- Des caractéristiques sociodémographiques très différentes sont relevées entre domicile et établissement avant 80 ans, mais elles convergent aux âges élevés ;
- Les moins de 80 ans en établissement forment une population socialement défavorisée ;
- Le nombre de limitations fonctionnelles et sensorielles est assez proche, mais les limitations motrices et cognitives sont bien plus présentes en établissement ;
- Les résidents d'Ehpad de moins de 75 ans sont massivement sous protection juridique.
Cette étude met donc en évidence à la fois les différences entre les personnes âgées à domicile et en établissement, à âge comparable (notamment en termes de prévalence des limitations fonctionnelles), mais aussi certaines ressemblances, surtout aux grands âges, comme sur les limitations sensorielles et physiques ou les caractéristiques socio-économiques.
Dualité des publics en Ehpad
Elle insiste sur la dualité des publics accueillis en Ehpad, en deçà et au-delà de l'âge de 75 ans, avec deux types de population sous un même toit. On le sait, les personnes qui entrent « jeunes » en établissement pour personnes âgées, entre 60 et 75 ans, présentent un profil particulier, davantage marqué par l'isolement social et par de faibles ressources. On y compte des personnes handicapées vieillissantes, aux besoins d'aide assez importants, ou présentant des troubles psychiques. En revanche, chez les résidents les plus âgés, les limitations sensorielles et physiques sont assez proches des personnes vivant à domicile, mais les limitations cognitives beaucoup plus présentes. Une dualité déjà connue, mais pour la première fois documentée dans toutes ses dimensions : limitations fonctionnelles, caractéristiques démographiques, diplômes, revenus, existence d'une protection juridique...
À ce sujet, la Drees a récemment rappelé qu'à photographie constante, il faudrait pouvoir accueillir 108 000 personnes âgées supplémentaires en établissement d'ici à 2030. Cette étude inédite a donc pour mérite d'interroger les conditions concrètes dans lesquelles sera négocié le virage domiciliaire souhaité par les personnes âgées et voulu par le gouvernement, avec, à la clé, l'enjeu d'un maintien à domicile d'envergure, voire total, des publics actuels des Ehpad. Il s'agit de mettre en oeuvre et financer une (ré)orientation majeure des politiques publiques du grand âge. Et cette étude apporte indiscutablement un éclairage étayé sur les limites à (se) poser avant de désinstitutionnaliser...