Dans le n° 1-octobre 2010  -  Enquête  160

Une profession à la loupe

Après deux mois d'enquête et de traitement des données, nous vous livrons en exclusivité les résultats de l'étude menée par Géroscopie pour les décideurs en gérontologie, Astriance et Alteo Conseil. Analyse d'une profession.

METHODOLOGIE

La cible de cette enquête est l'ensemble des directeurs de maison de retraite de France, dont le nombre estimé par le client était de 9-10.000. Pour une telle population, pour que les résultats soient significatifs avec une marge d'erreur de 5%, Altéo Conseil a recommandé d'administrer 368 questionnaires. Un questionnaire a été rédigé par le client. Afin de vérifier la compréhension du questionnaire Altéo Conseil l'a testé auprès de 3 personnes. Géroscopie Magazine a fourni à Altéo Conseil un listing comportant les adresses courriels de 4 795 établissements EHPA(D). Le questionnaire a été envoyé aux cibles par voie électronique, ainsi que par l'intermédiaire du magazine Géroscopie. Leurs réponses ont été collectées directement sur internet, grâce au département Assurance Qualité de Rouen Business School, et transmises à Altéo Conseil sur un fichier compatible avec le logiciel Sphinx 2005. Les chefs de projet d'Altéo Conseil se sont chargés de la communication, des relances et du suivi nécessaires pour cette enquête auprès de ces cibles. L'administration des questionnaires devait se poursuivre jusqu'à atteindre 368 réponses au total. Selon le souhait du client, elle a été maintenue jusqu'à atteindre 390 réponses. Un masque de saisie a été réalisé par Altéo Conseil afin de saisir grâce au logiciel de traitement des données Sphinx 2005 les questionnaires reçus. Les questionnaires étaient saisis directement lorsque les responsables d'établissement répondaient aux questionnaires sur Internet. Géroscopie Magazine avait déjà récupéré une centaine de questionnaires. Altéo Conseil a saisi ces questionnaires et à les a intégrés dans l'analyse.

Analyse

Les Chargés d'études ont analysé les données statistiques obtenues précédemment et ont fourni au client des informations pertinentes concernant les directeurs de maison de retraite de France, selon les axes d'analyse suivants :

- Parcours des directeurs d'EHPA(D)

- Attractivité du secteur des EHPA(D)

- Profil(s) pour le secteur des EHPA(D

Le Parcours des directeurs d'EHPA(D)

Les résultats obtenus montrent que parmi les directeurs ayant répondu à l'enquête, la plupart dirigent des établissements privés (72,9%) :

- 38,0% dans le secteur privé associatif

- 34,9% dans le privé commercial

- 27,2% dans le secteur public

Plus du tiers (37,7%) des directeurs ont toujours travaillé dans ce secteur. Les autres proviennent principalement des secteurs suivants :

- Secteurs social (20,4%)

- Secteur hospitalier (19,9%) [+ infirmiers/aide aux personnes (9%)]

- Peu de métiers financiers ou de gestion (9%)

Les EHPA(D) recrutent surtout dans des secteurs semblables. Les profils de secteurs moins escomptés mais potentiellement intéressants (tels que la gestion et la finance) sont peu représentés. L'ancienneté dans ce métier est élevée : 44,6% des directeurs interrogés sont dans le secteur depuis plus de 10 ans. 71,3% des directeurs ont intégré le secteur des EHPA(D) au poste de directeur. Le fait que 44,9% des directeurs affirment être arrivées " un peu par hasard " dans ce secteur indique qu'il n'est pas assez mis en valeur. Par contre il parvient bien à retenir ceux qui l'intègrent : 83,9% veulent y poursuivre leur carrière.

Les 3 principales motivations pour rester sont :

- Secteur en mutation. Volonté de contribuer à son évolution (28,2%)

- Sympathie pour les personnes agées (17,2%) et vocation sociale (15,3%)

- Secteur diversifié et enrichissant (14,1%)

L'Attractivité du secteur

Plus des deux tiers (67,7%) des directeurs d'EHPAD interrogés recommandent leur secteur à leur entourage. Ceci est un signe positif d'attractivité, légèrement plus prononcé dans le Privé Commercial (73,5%).

Les 3 arguments utilisés par les directeurs pour vendre leur secteur sont :

- La richesse relationnelle (29,9%)

- Les opportunités d'emploi et de carrière (22,4%)

- L'avenir du secteur vis-à-vis de l'évolution démographique (21,2%)

Même si les valeurs humanistes (16,7%) valorisent beaucoup ce métier, celles-ci n'apparaissent pas en haut de tableau. Selon ces réponses, s'engager en tant que directeur d'EHPAD c'est " donner un sens à sa vie professionnelle ".

A l'inverse les 3 principaux contre-arguments des directeurs sont :

- La charge de travail (32,5%)

- Les lourdes responsabilités (19,7%)

- La complexification du métier à cause des contraintes réglementaires (18,0%)

Ces arguments et ces contre-arguments sont présents dans des proportions similaires dans chaque branche d'activité avec cependant quelques nuances.

- Si tous les directeurs insistent sur la richesse relationnelle, la branche " Privé Commercial " la met au même niveau que la diversité et la polyvalence du métier...

- ...alors que les autres branches donnent plus de poids à l'argument sur l'avenir du secteur. Quant aux contre-arguments des directeurs :

- Ceux provenant de la branche " Privé Commercial " font ressortir la lourdeur des responsabilités sur les épaules des cadres,...

- ...alors que ceux du " Public " et du " Privé Associatif " considèrent le métier comme étant de plus en plus difficile, notamment à cause du manque de moyens, mais aussi à cause du cadre législatif et règlementaire de plus en plus contraignant.

La " grande famille " des EHPAD, reconnue par 40,5% des directeurs interrogés, semble être un milieu peu attractif pour les diplômés : cette question divise en deux parties égales les directeurs. En approfondissant, ce sont en réalité les directeurs du Public qui sont les plus pessimistes à ce sujet (62,5%) alors que près de 54% des directeurs du Privé reconnaissent l'attractivité du secteur pour les jeunes diplômés.

Les trois principaux arguments qui justifient l'attractivité du secteur pour les diplômés sont :

- La diversité et la polyvalence du métier (20,6%)

- Le secteur est porteur en innovation et prometteur en offres d'emploi (16,9%)

- L'expérience dans ce secteur est enrichissante et s'avère être un bon tremplin pour le début d'une carrière (15,3%) Les trois principaux contre-arguments pour justifier le manque d'attrait du secteur sont :

- Le fait que le salaire n'est pas à la hauteur des responsabilités (38,9%)

- Le manque de reconnaissance du métier par le grand public (20,7%)

L'excès de responsabilités sur les épaules du directeur (17,7%) D'autres contre-arguments sont développés notamment le " carcan administratif ". Trop de contraintes régissent l'activité des directeurs ce qui ne fait qu'augmenter leur charge de travail. Celle-ci requiert une vocation, ou au moins une solide motivation. 58,7% des directeurs interrogés affirment que l'on peut parler de vocation dans leur métier.

 Enfin les 5 exemples d'actions les plus cités à mettre en place pour améliorer l'attractivité du secteur sont :

- Améliorer la rémunération (40,3%)

- Améliorer la reconnaissance du secteur notamment par sa promotion (36,2%)

- Octroyer plus de moyens dans l'optique de recruter plus de cadres (26,4%)

- Développer la promotion interne en augmentant les formations (11,8%)

- Structurer les établissements et leurs partenaires (11,0%)

 Le secteur semble posséder un réel potentiel en termes d'attractivité, mais celui-ci n'est pas exploité à cause d'un déficit de reconnaissance en interne (salaire) et en externe (image grand public). Les Profils pour le secteur des EHPA(D) Les profils qui semblent les plus manquer aujourd'hui dans les EHPAD sont les aides soignants et les infirmiers, réclamés par près du quart des dirigeants de ces établissements (24,4%). En seconde position, et de manière assez significative, 18,7% d'entre eux reconnaissent le besoin en adjoint de direction : ces profils sont recherchés pour leurs compétences managériales, mais aussi pour soulager le directeur d'une partie de sa charge de travail. Les profils qui risquent de manquer le plus dans l'avenir sont très proche des profils manquants aujourd'hui. 3 types de profils ont été identifiés :

- Les cadres diplômés Qualifiés en gestion et en management, les cadres sont recherchés parce que la gestion d'un EHPAD se rapproche de plus en plus à celle d'une entreprise classique. Aujourd'hui, il semble manquer de personnel d'encadrement dans ces établissements.

- Le personnel médical Il manque du personnel médical à différents niveaux : pas seulement des médecins, mais surtout des aides soignants et des infirmiers. Parfois les dirigeants insistent sur le besoin d'accompagnement et d'animation que les aides soignants peuvent apporter.

- Les spécialistes Les EHPAD ont besoin de spécialistes pour améliorer l'accompagnement des personnes âgées. Du personnel expérimenté et qualifié en gérontologie est demandé, mais aussi des professions de spécialistes, comme les ergothérapeutes, spécialisés dans l'aide aux personnes âgées à sortir de leurs dépendances.

 Si le secteur des EHPAD a de l'avenir, de nombreux défis l'attendent, notamment dans la gestion des ressources humaines : 59% des directeurs d'établissements interrogés pensent que l'effet " Papy-boom " sera très difficilement compensé par des ressources internes. Sur cette question, nous constatons une vraie divergence entre les directeurs de différentes branches : les directeurs les plus pessimistes sont ceux du Public (69,8%) alors que ceux du Privé Commercial (47,1%) sont plus optimistes. Le secteur des EHPAD est en développement en ce moment, d'où un fort besoin en personnel d'encadrement. Ce développement est amené à se poursuivre durant les prochaines années, ainsi les directeurs tentent de prévenir des prochains problèmes de ressources humaines qu'ils rencontrent déjà chez eux parfois. Un réel travail de promotion du métier semble nécessaire pour attirer plus de jeunes diplômés et contrecarrer la mauvaise image que conserve le grand public de ce secteur. Certains directeurs n'hésitent pas à accuser les medias d'alimenter des préjugés par la diffusion de reportages sur des scandales particuliers, au détriment de tous les autres établissements. Enfin, un effort interne d'organisation et de structuration des établissements pourrait être mis en place pour faire des économies d'échelles, et augmenter les moyens humains.

Recommandations Suite à cette étude, Altéo Conseil a pu identifier les attentes des directeurs d'EHPAD par rapport aux perspectives qu'offre leur secteur. Celui-ci semble posséder un réel potentiel de développement dans l'avenir, mais certains freins nuisent à cette dynamique. Par conséquent, pour améliorer l'attractivité du métier de directeurs d'EHPAD, Altéo Conseil recommande 5 pistes de réflexion :

- Améliorer la rémunération des directeurs

- Améliorer la reconnaissance du secteur notamment par sa promotion

- Octroyer plus de moyens dans l'optique de recruter plus de cadres

- Développer la promotion interne en augmentant les formations

- Structurer les établissements et leurs partenaires Améliorer la rémunération des directeurs Les directeurs d'EHPAD interrogés font noter que leur métier comporte une charge de travail très importante ainsi que de lourdes responsabilités. A cela s'ajoute une complexification juridique et le relatif alourdissement des démarches administratives, tout ceci cumulé avec un sentiment général de manque de reconnaissance. Compte tenu de ces conditions de travail, la rémunération des directeurs d'EHPAD parait insuffisante. Et la vocation humaniste qui anime bon nombre des acteurs du secteur ne suffit pas toujours à compenser ces difficultés. Améliorer la rémunération rendrait le secteur des EHPAD plus attractif (pensée partagée par 40,3% des directeurs) et atténuerait le sentiment de manque de reconnaissance qui constitue un autre problème du secteur. Améliorer la reconnaissance du secteur notamment par sa promotion Le manque de reconnaissance du secteur des EHPA(D) est un problème dont se plaint la plupart des directeurs. C'est un problème général qui inclut un manque de reconnaissance de la part des familles des pensionnaires, de la part de l'État, qui n'accorde pas des moyens suffisants, et de la part de la société en général, qui tend à ne pas donner la juste importance au problème de la dépendance des personnes âgées. La profession est de façon générale méconnue du grand public, et des profils qui sont de plus en plus adaptés à ce secteur (étant donné son évolution) ne pensent pas spontanément à celui-ci comme à un potentiel choix de carrière. Pourtant ce secteur présente de multiples intérêts. Avant tout il se distingue par son utilité sociale. Mais au-delà de cette dimension, ses acteurs vantent aussi la diversité des tâches, et la qualité des rapports humains qui font sa richesse. De plus c'est un secteur en pleine mutation et en expansion, ce qui ouvre de nombreuses opportunités de carrière pour de multiples profils. Ainsi des reportages télévisuels pourraient traiter de la vie dans les EHPAD et de ses atouts. Dresser une image positive et rassurante du secteur semble une nécessité face aux préjugés que véhicule le grand public contre ce secteur. Sensibiliser la société à la fragilité des personnes âgées et promouvoir les atouts du secteur des EHPA(D) permettraient d'améliorer l'image du secteur. Une meilleure reconnaissance augmenterait la satisfaction des professionnels du secteur, ainsi que son attractivité, facilitant le recrutement des profils nécessaires à soutenir et accompagner l'évolution du secteur. Octroyer plus de moyens dans l'optique de recruter plus de cadres Le manque de moyens est l'une des raisons principales qui poussent les directeurs à ne pas conseiller ce secteur à leur entourage. Cette réalité existe dans toutes les branches, mais surtout dans le Public et le Privé Associatif. (cf question 12) Ce manque de moyens alourdit considérablement les tâches des directeurs, puisqu'ils doivent " faire toujours mieux avec toujours moins [de moyens] ". Ceci s'ajoute à la complexification des contraintes réglementaires qui alourdissent d'autant plus les responsabilités et la pression sur les épaules des directeurs. Ce manque de moyens a donc deux aspects : un manque de moyens financiers et un manque de moyens d'actions face à une législation tentaculaire. L'accumulation des réformes du secteur a contribué à créer cette situation usante pour les directeurs. Ainsi pour libérer les directeurs d'une partie de leur charge de travail, il semble nécessaire d'agir sur deux aspects :

- Moyens d'actions : En clarifiant les réglementations, notamment dans le rapport aux familles et aux salariés, les directeurs pourraient avoir davantage de marge de manoeuvre. Ainsi ils pourront se concentrer sur l'amélioration de la qualité de vie des résidents au lieu de s'épuiser contre ces normes administratives. Un directeur a même avoué devoir " passer son temps à se justifier ".

- Moyens financiers : Le personnel encadrant chaque établissement semble ne pas suffire. Leur gestion pourrait être améliorée grâce au recrutement d'adjoints de direction. Ceux-ci permettront d'alléger la charge de travail de directeur.

Développer la promotion interne en augmentant les formations 59% des directeurs pensent que l'effet " Papy-boom " sera compensé par des ressources internes avec beaucoup de difficulté. Ceci s'explique par l'insuffisance de promotion interne. La plupart des directeurs intègrent le secteur au poste de directeur (71,3%). Or une expérience en soin peut être un véritable atout pour les directeurs qui sont souvent amenés à intervenir de manière transversale dans leur établissement. Les dirigeants qui proviennent d'autres secteurs (social, commerciale, financier, divers...) ont aussi besoin de formations spécifiques aux problématiques de la gérontologie. Aujourd'hui la plupart des nouveaux directeurs sont formés sur le terrain. Organiser des formations pour les directeurs et le personnel des EHPAD pour les sensibiliser aux méthodes de management modernes ou à des problématiques de gérontologie spécifiques semble être un levier encore peu exploité pour améliorer l'attractivité du secteur. Structurer les établissements et leurs partenaires Si 40,5% des directeurs interrogés considèrent leur secteur comme une grande famille, les EHPAD semblent être un secteur bien éclaté. D'ailleurs un directeur nous révèle que s'il existe une entraide parmi les directeurs du Public et du Privé Associatif, la compétition plus rude entre les directeurs du Privé Commercial nuit à la collaboration entre établissements. Pourtant les directeurs souhaitent une meilleure structuration de leur secteur. Les établissements, quel que soit leur branche (Privé associatif, Privé commercial, et Public), ont des besoins très similaires, donc leurs fournisseurs sont souvent identiques. L'organisation en fédération des EHPAD pourrait permettre une meilleure utilisation des ressources humaines (médicales et spécialisées). Par la construction de partenariats avec les prestataires de services communs, les EHPAD pourraient réaliser des économies d'échelles. Ainsi les initiatives comme les Clubs Entreprises Partenaires (ex : FNADEPA, Fédération Nationale des Associations d'Etablissement et services pour Personnes Agées) mérite d'être développées et de s'étendre à toutes les branches d'activité. Enfin, une meilleure structuration des EHPAD renforcerait le lien entre les directeurs et pourrait favoriser les échanges d'expérience en fonction de leur degré d'ancienneté au sein du secteur. Ceci favoriserait d'autant plus l'attractivité du secteur, et par la même occasion renforcerait le " sentiment de grande famille ".

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