Jean-Louis Sanchez est fondateur et délégué général de l'ODAS (Observatoire national de l'action sociale). Il a publié plusieurs livres sur les questions sociales et la problématique du vieillissement. Son dernier ouvrage, La Promesse de l'autre, s'appuie sur cette expérience pour questionner notre conception du vivre ensemble et de proposer un nouveau contrat social. Au coeur du sujet, une nouvelle conception de la citoyenneté, de la solidarité et de la manière de gouverner.
Vers un nouveau contrat social
Pouvez-vous nous présenter l'ODAS (Observatoire national de l'action sociale) ?
L'ODAS est un organisme indépendant créé en 1990 pour analyser les dispositifs et les pratiques mis en oeuvre pour répondre aux besoins sociaux, mais aussi à la problématique du vivre-ensemble. En effet, progressivement il est passé de la connaissance des publics précarisés à celle de l'ensemble de la société, ce qui lui permet non seulement d'évaluer les politiques sociales mais aussi toutes celles qui peuvent créer du lien social et éducatif. 90% des départements français, 60% des grandes villes, les organismes de protection sociale, et les grandes associations sont membres de l'ODAS.
Quelle est la particularité de l'ODAS par rapport à d'autres observatoires ?
Nous n'offrons pas de services. Nous observons pour faire bouger les réponses ! En France, on a l'habitude de penser l'action publique sur le terrain de la solidarité principalement. On cible la difficulté, on apporte la réponse à la personne. Cette culture, qui relève de la culture sanitaire, coûte cher et elle stigmatise les populations. Ce n'est pas la bonne méthode.
Nous souhaitons faire sortir l'action sociale de cette impasse pour qu'elle soit plus préventive, et même au-delà soucieuse de participer à l'amélioration du vivre-ensemble, ce que les Québecois appellent prévenance.
Vous souhaitez la duplication de bonnes initiatives locales pour renforcer le vivre-ensemble. Est-ce possible?
Le système français se caractérise par un excès de normes, ce qui conduit à étouffer les initiatives locales. Au Québec, des bénévoles peuvent confectionner des repas chez eux et les servir aux personnes âgées. C'est difficile à imaginer en France. Quand on n'a pas d'idées au niveau national, on a des normes ! Les idées existent au niveau local mais les normes empêchent leur déploiement. De plus, la complexité du paysage institutionnel rend l'action illisible. Les gens ne savent plus qui fait quoi, ni qui porte les responsabilités. Il devient urgent de clarifier et simplifier le millefeuille administratif. La démocratie nécessite des repères qui se sont effacés. Il faut savoir qui est responsable: le maire, le président du conseil général, l'Etat...
Quelle est la question majeure des Ehpad aujourd'hui ?
Actuellement les Ehpad font face à une quasi-interdiction de développer la vie sociale et ce à cause de normes asphyxiantes : les ateliers cuisine, les ateliers jardinage... tout est compliqué ! Les départements doivent obtenir des décharges de responsabilité des familles. Il est temps de mettre fin à la prégnance sur tout du principe de précaution. Il faut travailler pour que les établissements puissent disposer de plus de liberté. Je vous cite une anecdote : dans un Ehpad, une personne désorientée est sortie à l'insu de tous. Quelle a été la préconisation de l'ARS (Agence régionale de santé) ? Que les portes vitrées soient recouvertes de fausses bibliothèques ! C'est ubuesque...
Comment faire avancer la réflexion ?
Il faut proposer un nouveau contrat social qui repense notre façon de concevoir la démocratie, la solidarité. C'est une révolution culturelle qui nous attend. Je me suis attaché dans mon livre* à proposer des scénarios sur des initiatives déjà testées localement.
Ce dont je suis convaincu c'est que plus on fait confiance aux gens, plus ils étonnent par leur créativité et leur mobilisation. Ce n'est pas la qualité de nos concitoyens qui est en cause. Le problème, c'est l'absence d'une motivation pour aller de l'avant. Reprenons la devise de la France : Liberté, égalité, fraternité. La liberté et l'égalité, c'est la responsabilité de l'Etat. La fraternité, c'est la responsabilité du local. Voilà une vraie source de projets pour les collectivités locales ! Il faut donc inciter chacun à devenir un acteur utile pour son quartier. De leur côté, les fonctionnaires doivent se réapproprier la notion de mission, qui va au-delà de la simple exécution d'une tâche. Les responsables locaux eux doivent être plus soucieux de projets à long terme et aussi d'évaluation. Si l'on va dans ces directions, la reconstruction de la démocratie pourra s'engager avec les maires : ils ont tout pour réussir les changements de mentalité. Il faut donc repenser la décentralisation. Elle n'est pas seulement un outil d'amélioration des réponses, elle doit être aussi un outil de protection de la République. Et pour cela, il faut faire confiance aux élus locaux et rejeter l'idée que l'Etat peut faire mieux.
Quel est votre état d'esprit ?
Il faut faire confiance à la capacité d'innovation de notre pays. La France est un laboratoire, elle porte le drapeau de l'humanisme et elle a vocation à apporter de la lumière au-delà de nos frontières. Avec le développement de la vulnérabilité, nos concitoyens se posent des questions sur leur avenir et savent que cela passe par le changement des mentalités, des postures pour faire vivre la nécessaire interdépendance entre habitants, entre générations, entre quartiers. En somme, agir pour une France plus fraternelle.
A lire : "La Promesse de l'autre" (éditions LLL)
Dans ce tout récent ouvrage, Jean-Louis Sanchez nous invite à bâtir un nouveau contrat social, dont il propose non seulement les grandes lignes mais aussi les axes opérationnels. Une ambition que l'auteur développe en s'appuyant sur les 22 ans d'observation de l'ODAS, et en s'inspirant de nombreuses pratiques locales prometteuses. Un livre indispensable pour transformer l'énergie du rejet en énergie du changement, et endiguer la déliquescence du vivre-ensemble.