Des caméras dans les chambres d'Ehpad ? Ce sera possible, mais seulement en cas de suspicion de maltraitance, en dernier recours et dans des conditions très restrictives.
Vidéosurveillance dans les chambres : le oui très restrictif de la Cnil
Une affaire emblématique de 2019 a posé de manière très déstabilisante la question éthico-juridique de la vidéosurveillance dans une chambre d'Ehpad : un aide-soignant travaillant de nuit dans un Ehpad d'Arcueil avait été filmé en train d'insupportablement maltraiter une résidente par la caméra espion posée par ses filles - elles avaient vainement fait part de leurs doutes à la direction. Il avait finalement été condamné à cinq ans de prison dont deux avec sursis.
Face aux interrogations de terrain, l'éthicien Fabrice Gzil et l'avocate Solenne Brugère (voir « Trois questions ») ont abordé la question et ses enjeux dans un rapport de 2019, « Vieillissement et nouvelles technologies », remis à la filière Silver économie.
Puis le scandale Orpea a mis les familles en alerte maximum, laissant désemparés les directeurs d'Ehpad sur ce qu'ils pouvaient faire. Ou pas. Après une consultation publique en 2023, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) vient de se positionner clairement : « Les Ehpad ne sont pas censés installer des dispositifs de vidéosurveillance dans les chambres des résidents, sauf circonstances exceptionnelles ». Dans sa recommandation publiée le 2 mai, elle donne néanmoins un cadre à cette installation en la circonscrivant à un motif unique : la suspicion de maltraitance.
Elle ne peut être envisagée (ponctuellement) qu'à deux conditions cumulatives :
- en cas de suspicion étayée de mauvais traitement (hématomes constatés, changements comportementaux, etc.) malgré les dispositifs alternatifs mis en place, par exemple un bouton d'appel d'urgence sans fil, des procédures internes de détection des événements indésirables, des procédures de signalement et de suivi d'événements préoccupants, la création d'équipes de travail afin de permettre l'intervention des soignants en binôme ;
- et après échec des procédures d'enquêtes internes si celles-ci n'ont pas permis de lever le doute sur une situation de maltraitance ou d'en déterminer l'origine.
Des garanties impératives
Hors de ce cas de figure, le respect de la vie privée et de l'intimité des personnes hébergées reste l'enjeu premier, donc pas de vidéosurveillance de service aux résidents ou de sécurité par exemple pour alerter en cas de chutes ou d'accidents - il existe des capteurs de présence, des bracelets de détection, des boitiers infrarouges... Par ailleurs, l'autre enjeu, de taille, est la proportionnalité du contrôle d'activité des salariés : les chambres sont aussi des lieux de travail, ne l'oublions pas.
Pour toutes ces raisons, l'Ehpad doit s'entourer des garanties fixées par la Cnil :
- limiter l'activation dans le temps ;
- désactiver le dispositif de vidéosurveillance lors des visites des proches, sauf si le soupçon de maltraitance porte sur ces derniers ;
- établir et appliquer un cadre interne déterminant les conditions justifiant l'installation d'un dispositif de vidéosurveillance. La procédure devra avoir été préalablement présentée au Conseil de la vie sociale, qui pourra formuler des propositions ;
- informer les salariés de manière individuelle, par exemple lors de la signature du contrat de travail, et collective par voie d'affichage ;
- recueillir le consentement des personnes hébergées ou lorsque la personne n'est pas en mesure de consentir, dans le respect des règles spécifiques liées à la protection des majeurs ;
- « flouter », dans la mesure du possible, les parties intimes de la personne concernée lors des soins au lit - la prise d'images dans les lieux d'intimité (toilettes, douches) doit être proscrite sauf circonstances exceptionnelles ;
- insérer au sein du règlement intérieur la possibilité qu'un dispositif de vidéosurveillance soit mis en place dans la chambre d'un résident en cas de suspicions fortes de maltraitance et y faire notamment figurer les modalités de visionnage ;
- sensibiliser et former le personnel chargé de gérer et de mettre en oeuvre ces dispositifs.
Une analyse d'impact
Par ailleurs, au regard des risques élevés pour les droits et libertés, les Ehpad devront réaliser une analyse d'impact relative à la protection des données (AIPD), outil qui permet de construire un traitement conforme au RGPD et respectueux de la vie privée. Une telle AIPD ne peut évidemment être réalisée en urgence, elle nécessite un travail d'élaboration qui s'appuiera sur l'ensemble des garanties énoncées par la recommandation.
Enfin, la Cnil insiste, sa recommandation ne concerne que les seuls Ehpad. S'ils sont préoccupés, les proches des résidents, sont invités, eux, à se rapprocher des directions d'établissement. La démarche est désormais balisée et pour le bien du résident, l'objectif commun vise... à ce qu'il soit inutile de dégainer une vidéosurveillance !