Le « virage domiciliaire » est une formule qui sent bon la novlangue administrative et le poncif bureaucratique. Voici des années que ce virage est annoncé, que de nombreuses caravanes publicitaires stationnent sur les aires d'autoroute de la seniorisation... Pour autant, le bilan est maigre.
Virage domiciliaire : Les risques du tête à queue...
Un récent rapport de l'Igas donne du grain à moudre à ce constat[1]. Les auteurs préfèrent d'ailleurs le terme politique domiciliaire à celui de virage domiciliaire. Peut-être est-ce une précaution pour éviter de tomber dans le fossé ou de faire un tête à queue ?
Rappelons d'abord que l'idée initiale reposait sur trois hypothèses largement mises en avant avec la loi d'Adaptation de la société au vieillissement de fin 2015 : le désir social de vivre à domicile ; le concept dépassé des Ehpad ; la conviction que l'accompagnement à domicile est moins onéreux que l'accueil en Ehpad. Le scandale Orpea et la baisse du taux de présence en Ehpad suite à la crise de la Covid ont encore renforcé ces hypothèses.
Sauf que les choses sont bien plus complexes
Sur l'aspect conjoncturel, d'abord, les taux d'admission en Ehpad commencent à remonter, certains départements connaissent des situations très tendues, et les besoins sont toujours aussi forts. Mécaniquement, avec la hausse à partir de 2026 du nombre d'octogénaires - dont j'ai parlé déjà plusieurs fois dans ces colonnes - le nombre de places devra même s'accroître. Rappelons encore que plus de 70 % des habitants des Ehpad sont touchés par des bouleversements neurologiques très importants. Le scandale Orpea, sans être tombé dans l'oubli, a aussi contribué à faire bouger les lignes. Remarquons enfin que nombre de départements, communes et CCAS, pour faire face aux nécessités de mise aux normes et d'adaptation aux nouvelles attentes, sollicitent des acteurs, comme Enéal, la foncière d'Action Logement, pour reprendre les murs de leurs établissements. Les collectivités n'ont plus les capacités financières pour mener une politique d'investissement volontariste. Elles attendent aussi une ingénierie sociale pour mettre en oeuvre des services adaptés.
Transformer l'Ehpad
Cette attente sera d'autant plus cruciale que les auteurs du rapport proposent d'« engager un plan national de transformation domiciliaire des Ehpad ». Pour eux, l'accompagnement à domicile ne peut se faire alors que l'Ehpad « reste un repoussoir symbolique, à l'écart de la politique domiciliaire ». Les mots sont clairs et la vision forte. Il s'agit de s'inscrire dans « une transformation domiciliaire de l'Ehpad », avec son lot d'espaces privatifs, de liberté, de présence d'un animal de compagnie, de « délivrance des prestations de façon personnalisable »... Évidemment la question des coûts n'est pas affichée, mais il est intéressant de voir ces fonctionnaires sortir du discours dominant. Ils vont encore plus loin puisqu'ils estiment qu'une trentaine de départements auront besoin de création de places d'Ehpad, pour éviter une situation de saturation dans les années 2030...
Le virage domiciliaire n'est donc pas si simple, ni si bien parti, comme beaucoup le voudraient. Il ne se résume pas au remplacement de l'accueil en maison de retraite médicalisée par le tout domicile. L'enjeu, c'est bien d'inventer une politique globale et solidaire de la longévité où chacun se sente chez soi.