Dans le n° 160-juin 2024  - Partie I  16753

Virage domiciliaire : Les risques du tête à queue...

Le « virage domiciliaire » est une formule qui sent bon la novlangue administrative et le poncif bureaucratique. Voici des années que ce virage est annoncé, que de nombreuses caravanes publicitaires stationnent sur les aires d'autoroute de la seniorisation... Pour autant, le bilan est maigre.

Un récent rapport de l'Igas donne du grain à moudre à ce constat[1]. Les auteurs préfèrent d'ailleurs le terme politique domiciliaire à celui de virage domiciliaire. Peut-être est-ce une précaution pour éviter de tomber dans le fossé ou de faire un tête à queue ?

Rappelons d'abord que l'idée initiale reposait sur trois hypothèses largement mises en avant avec la loi d'Adaptation de la société au vieillissement de fin 2015 : le désir social de vivre à domicile ; le concept dépassé des Ehpad ; la conviction que l'accompagnement à domicile est moins onéreux que l'accueil en Ehpad. Le scandale Orpea et la baisse du taux de présence en Ehpad suite à la crise de la Covid ont encore renforcé ces hypothèses.

Sauf que les choses sont bien plus complexes

Sur l'aspect conjoncturel, d'abord, les taux d'admission en Ehpad commencent à remonter, certains départements connaissent des situations très tendues, et les besoins sont toujours aussi forts. Mécaniquement, avec la hausse à partir de 2026 du nombre d'octogénaires - dont j'ai parlé déjà plusieurs fois dans ces colonnes - le nombre de places devra même s'accroître. Rappelons encore que plus de 70 % des habitants des Ehpad sont touchés par des bouleversements neurologiques très importants. Le scandale Orpea, sans être tombé dans l'oubli, a aussi contribué à faire bouger les lignes. Remarquons enfin que nombre de départements, communes et CCAS, pour faire face aux nécessités de mise aux normes et d'adaptation aux nouvelles attentes, sollicitent des acteurs, comme Enéal, la foncière d'Action Logement, pour reprendre les murs de leurs établissements. Les collectivités n'ont plus les capacités financières pour mener une politique d'investissement volontariste. Elles attendent aussi une ingénierie sociale pour mettre en oeuvre des services adaptés.

Transformer l'Ehpad

Cette attente sera d'autant plus cruciale que les auteurs du rapport proposent d'« engager un plan national de transformation domiciliaire des Ehpad ». Pour eux, l'accompagnement à domicile ne peut se faire alors que l'Ehpad « reste un repoussoir symbolique, à l'écart de la politique domiciliaire ». Les mots sont clairs et la vision forte. Il s'agit de s'inscrire dans « une transformation domiciliaire de l'Ehpad », avec son lot d'espaces privatifs, de liberté, de présence d'un animal de compagnie, de « délivrance des prestations de façon personnalisable »... Évidemment la question des coûts n'est pas affichée, mais il est intéressant de voir ces fonctionnaires sortir du discours dominant. Ils vont encore plus loin puisqu'ils estiment qu'une trentaine de départements auront besoin de création de places d'Ehpad, pour éviter une situation de saturation dans les années 2030...

Le virage domiciliaire n'est donc pas si simple, ni si bien parti, comme beaucoup le voudraient. Il ne se résume pas au remplacement de l'accueil en maison de retraite médicalisée par le tout domicile. L'enjeu, c'est bien d'inventer une politique globale et solidaire de la longévité où chacun se sente chez soi.


01/10/2024  - Ce qui se voit...

Luxe, calme et propreté

S'il est bien une condition indispensable au bon fonctionnement des Ehpad, c'est à n'en pas douter l'hygiène des locaux. Nettoyage, bionettoyage, hygiène du linge... Les consignes et protocoles ne manquent pas pour assurer l'organisation et l'évaluation de ces tâches quotidiennes. Et pourtant, ce travail reste invisible. Ou plutôt, il n'est visible que quand il n'est pas fait. Paradoxe ?
01/10/2024  - Billet

Les vieux aussi !

Serge Guérin me pardonnera de paraphraser le titre de son dernier ouvrage en date* pour titrer mon billet. Vous l'avez lu ou en connaissez le thème : bousculer les idées reçues sur le désintérêt des « vieux » en matière de gestes écologiques et solidaires. Tribune pour répondre à ceux qui pensent que ces générations issues de la deuxième guerre mondiale et des années cinquante ont abusé des trente glorieuses et se moquent des incidences climatiques et générationnelles futures. Elles pourraient pourtant donner des leçons d'économies à beaucoup en matière d'eau, de déchets et de courage. Une anecdote a fini de me convaincre. Récemment par une belle journée je me dirigeais vers la déchetterie suite à des travaux de jardin et je vis sur le bord de la route une personne âgée, courbée et tirant deux chariots utilisés pour les courses. Je me fis la remarque du courage de cette personne sachant que le commerçant le plus proche était à bonne distance. Sur la route de mon retour, je la revis. Quelle ne fut pas ma surprise de constater qu'en fait cette dame âgée ramassait des deux bords de la route les déchets que les « clients » de la déchetterie laissaient tomber de leurs remorques en roulant. Je ralentis pour en avoir la certitude et raconter ce vécu à l'ami Serge. Plus encore, je décidais en ces temps riches d'à priori primaires d'en faire le thème de ce billet. Méfions-nous de ces raccourcis trop faciles. Oui, les vieux « aussi » sont sensibles à ces sujets qui mobilisent beaucoup de jeunes, à juste titre. Gardons-nous de ces clichés clivants. Demain ne pourra se construire qu'en faisant société, intelligemment, avec tolérance et respect. Et dès lors, même si mon propos est naïf, il fera bon vivre ensemble. ...
01/07/2024  - Billet

La victoire appartient au plus opiniâtre

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01/06/2024  - Toucher

Découvrir le corps

Toucher des corps qui ne sont ni les nôtres ni ceux des proches aimés. Les couvrir et les découvrir, au gré des soins et des besoins de chacun. Les toucher avec pudeur et respect, dans l'intimité d'une chambre. C'est notre quotidien de soignants, qui prenons soin de ceux qui ont besoin d'assistance pour les actes simples de la vie.
16/05/2024  - Billet

Éloge du temps

Le débat sur la fin de vie est en cours. Tel un marqueur politique nécessaire, il a été décidé d'en accélérer la réflexion. Il est vrai que le sujet est plus que sensible car on le constate déjà, la sémantique le dispute au fond. On évoque un « modèle français », qui de mon point de vue sera difficile non seulement à construire mais aussi à mettre en oeuvre. Il a été dit qu'il fallait donner du temps au temps. Et cette formule est reprise bien souvent et complaisamment. Sans vouloir procrastiner, car il est légitime qu'une société évolue, j'ai pour autant l'humilité de penser que notre pays est assez enclin à légiférer et « sur-légiférer » sans s'assurer de la réelle application des lois déjà votées. Un consensus se dégage ainsi pour affirmer qu'en matière de fin de vie, la douleur est le facteur essentiel. Et que le nombre de places en soins palliatifs est non seulement insuffisant mais géographiquement injuste. Le sujet presque tabou est difficilement évoqué. Triste constat. La loi Claeys-Leonetti est incomprise, souvent non mise en oeuvre. Elle correspond pourtant à un encadrement important et nécessaire de ces moments si difficiles. ...
01/05/2024  - Billet

Marqueurs de bienveillance

Les débats sur la loi « Bien vieillir » agitent les acteurs du secteur médico-social. Le grand public est plus préoccupé par d'autres sujets sociétaux, anxiogènes et médiatiquement plus à la « une ». Encore une fois, le grand âge est victime du syndrome de l'indifférence et d'un manque de volonté politique face au mur qui se rapproche de plus en plus. C'est un combat permanent, lassant, décourageant souvent, mais essentiel cependant selon le terme si employé lors de la récente pandémie. ...
01/05/2024  - Partie IV

Pas de société de la longévité sans volonté de valoriser les métiers du care

Pour poursuivre notre série sur la valorisation des métiers du care, évoquons les initiatives visant à améliorer très concrètement le quotidien des femmes et des hommes (surtout des femmes) qui travaillent auprès des plus fragiles.
01/05/2024  - Chronique

Et si on arrêtait de cacher les vieux?

La France des vieux, c'est la France du passé, la France d'hier. Place aux jeunes, à la modernité et à l'innovation digitale ! Bien entendu, je ne suis pas sérieux... Je vous imagine déjà sursauter...
01/04/2024  - Partie III

Pas de société de la longévité sans volonté de valoriser les métiers du care

Dans les deux précédentes contributions autour de la valorisation des métiers de l'accompagnement des aînés les plus fragiles, nous évoquions les questions de management et d'évolution sociologique des manières d'aborder la vie professionnelle. Mais l'enjeu est aussi de repenser le fonctionnement administratif.